Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
S
S

sacre,

cérémonie religieuse qui confère au roi un caractère divin, et le place au-dessus de tous les laïcs.

Les premiers rois sacrés apparaissent dans l'Ancien Testament : dans le Livre des Rois, le grand prêtre oint le prince d'une huile sainte destinée à lui communiquer force et grâce divines, avant de lui remettre le diadème, insigne de son pouvoir. Cette cérémonie permettait de désigner clairement le nouveau roi et d'assurer son inviolabilité. Elle était également supposée changer le cœur et l'esprit du monarque, et lui donner les qualités nécessaires à l'exercice de sa fonction.

L'origine du sacre.

• Le sacre était inconnu à Rome et à Byzance. Quant à l'accession au pouvoir des rois germaniques, elle était seulement marquée par des rites laïcs tels que la remise de la lance ou l'élévation sur le pavois. Les rois se distinguaient alors des autres guerriers par le port d'une couronne, de vêtements royaux, et par la longueur de leurs cheveux ; leur personne était naturellement sacrée car la légende leur attribuait une ascendance divine. Leur charisme était attesté par leurs victoires ainsi que par l'abondance des récoltes. Le sacre était également inconnu des premiers rois chrétiens : tous les Mérovingiens après Clovis se contentaient de leur charisme personnel et des effets divins du baptême.

Le rituel sacral réapparaît en 672 dans l'Espagne wisigothique, lors du quatrième concile de Tolède, où les évêques veulent protéger le nouveau souverain contre la rébellion des grands et les tentatives de ceux qui veulent attenter à sa vie. Mais le premier roi franc sacré est le Carolingien Pépin le Bref (751) : la cérémonie lui permet d'éliminer le prétendant mérovingien et d'affermir, avec l'aide de l'Église, une légitimité contestée.

Le sacre fait du roi - ou de l'empereur, après 800 - un élu de Dieu et un protecteur de l'Église. Lorsqu'au XIe siècle la papauté, plus forte, libère l'Église des mains des laïcs, la réforme grégorienne entraîne une désacralisation des rois : la cérémonie n'est pas comptée au nombre des sacrements, et ne fait plus du monarque que le premier des laïcs. Cependant, la menace de l'excommunication papale, qui pèse sur les empereurs, est nettement moins grave pour les rois de France, fidèles alliés de l'Église et sacrés par l'un de leurs évêques. Quant au pouvoir thaumaturgique royal, qui apparaît vers l'an mil et tend peu à peu à s'exprimer - plus particulièrement à partir du XIIe siècle - dans la guérison des écrouelles, il est rattaché au sacre, malgré les réticences des clercs et le silence des ordines liturgiques.

Le choix de Reims.

• Il a fallu longtemps pour que soient fixés le lieu du sacre et la dignité de l'officiant (pape, légat pontifical ou archevêque). Reims n'a eu de prétention à l'exclusivité qu'à partir de la fin du IXe siècle, à l'initiative de son archevêque Hincmar. Le premier sacre célébré en ce lieu est celui de Louis le Pieux (816), par le pape Étienne ; par la suite, Hincmar de Reims sacre Charles II le Chauve (869) et Louis II le Bègue (877). En revanche, Charlemagne a été sacré par le pape, à Rome (800), et plusieurs rois, dont le dernier est Louis VI le Gros (1108), l'ont été par l'archevêque de Sens, métropolitain de Paris.

L'abbaye de Saint-Denis émet également des prétentions sur cette cérémonie, se fondant sur un faux attribué à Charlemagne, selon lequel « les rois de France ne sauraient être couronnés ailleurs qu'à Saint-Denis ». La prestigieuse abbaye n'obtient finalement que la garde des regalia, objets et vêtements du sacre qui se transmettent d'un roi à un autre ; en outre, à partir de Philippe Auguste, il est de coutume que la tenue de la première cour du nouveau roi ait lieu à Saint-Denis. Cette concurrence explique que le choix exclusif de Reims mette longtemps à s'imposer : il ne triomphe qu'à partir du XIIe siècle, au point qu'il paraît ensuite impensable pour le roi de se faire sacrer ailleurs, et ce jusqu'à Charles X en 1825. Avec l'aide de Jeanne d'Arc, Charles VII n'hésite pas à traverser, pour l'occasion, en 1429, la France sous domination anglaise. Seul Henri IV recevra le sacre à Chartres, pour des raisons de nécessité militaire.

Reims a réussi à l'emporter grâce aux poids conjugués de l'histoire et de la légende. L'archevêque de Reims est le plus puissant prélat de France et, depuis toujours, un fidèle soutien de la monarchie. Il peut arguer du fait que le baptême de Clovis a été célébré par saint Remi dans le baptistère de la cathédrale pour laisser entendre que ce baptême était un sacre : au moment décisif, le chrême faisant défaut, une colombe aurait apporté du ciel un baume miraculeux avec lequel le roi aurait été baptisé et sacré. Cette invention de la sainte ampoule trouve sa forme définitive dans la Vita remigii, rédigée par Hincmar à la fin du IXe siècle. À la fin du Moyen Âge, la légende s'enrichit d'autres éléments : on prétend que l'huile contenue dans la sainte ampoule, désormais conservée à l'abbaye de Saint-Remi, reste toujours au même niveau et qu'elle ne se fluidifie pas pour les usurpateurs.

Le rituel.

• La fixation de ces règles sacrales a pris plusieurs siècles. À la base de tous les rituels futurs, on trouve l'ordo, écrit à la fin du IXe siècle pour Hincmar, et qui institue le serment comme préalable aux deux rites anciens, l'onction et le couronnement. L'ordo de Fulrad, un siècle plus tard, incorpore ces trois temps de la cérémonie à l'intérieur d'une messe solennelle. Mais le plus explicite et le plus usité des rituels français est l'ordo dit « de Saint Louis », composé en 1220-1230 : aux gestes anciens, il ajoute la remise de l'épée et des éperons, rappelant que le roi est un guerrier. La présence à la cérémonie des douze pairs de France - autre nouveauté - illustre le soutien des nobles : ce corps, créé à l'image des douze preux compagnons de Charlemagne, regroupe six ecclésiastiques et six laïcs, ducs et comtes qui symbolisent l'union des grands autour du roi. L'ordo de Saint Louis est modifié par Charles V, qui fait rédiger par Jean Golein un Traité du sacre. Les prières pour avoir une nombreuse descendance, triompher de ses ennemis et maintenir la paix sont multipliées ; la clause d'inaliénabilité complète le serment.