Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Occupation (suite)

Allemagne-devise-épidémie-Pénurie et rationnement.

• Telles sont les plus grandes difficultés de la vie quotidienne. Dès 1940, les Français - surtout en milieu urbain - ont pour principale préoccupation d'assurer leur subsistance. La pénurie résulte de la conjonction de divers facteurs. Elle est d'abord la conséquence de la profonde désorganisation de la vie économique qu'ont provoquée la guerre et la défaite : division du territoire, prélèvement massif de main-d'œuvre par la rétention en Allemagne de 1,8 million de prisonniers puis par l'envoi de 300 000 travailleurs dans le cadre du Service du travail obligatoire (STO), coupure des relations économiques avec la Grande-Bretagne (première partenaire commerciale de la France en 1939) puis avec les États-Unis, dislocation progressive des relations avec l'empire colonial (devenue totale après novembre 1942). Ce dernier élément est particulièrement dommageable à l'approvisionnement en produits gras végétaux et en matières premières (pétrole ou caoutchouc). Les prélèvements financiers allemands, la brusque contraction des échanges et du crédit, et l'absence de perspectives économiques provoquent également une chute de l'investissement aussi spectaculaire qu'inquiétante : sur le moment, celle-ci limite les capacités de production et compromet l'approvisionnement ; à moyen terme, par l'épuisement d'un matériel non renouvelé, elle fragilise les chances de relèvement économique. Enfin, les bombardements alliés qui préparent le débarquement (bombardements intensifs, à partir de 1943, sur la façade atlantique et sur le quart nord-ouest du pays), puis les combats de la Libération achèvent de désorganiser la machine économique. À l'été 1944, les deux tiers du parc roulant de la SNCF sont perdus, et la plupart des ports, inutilisables. La situation matérielle du pays se révèle bien pire qu'en 1918. Au total, et dans presque tous les secteurs, la production s'effondre. L'agriculture est le secteur le plus touché. Un tiers de la population active agricole d'avant-guerre a péri durant les combats de mai-juin 1940, ou est en captivité. En outre, les campagnes manquent de tout : engrais, essence pour les tracteurs, pièces de rechange pour les machines. Globalement, la production agricole de 1944 équivaut à peine aux deux tiers de celle de 1939. La baisse est de l'ordre de 20 % pour le blé, de 30 % pour le lait, de 40 % pour la pomme de terre et, même, de 50 % pour la viande de porc. La situation est comparable dans l'industrie, dont la production diminue globalement de 60 %.

Les difficultés de ravitaillement sont accrues par les prélèvements de toute sorte que les Allemands effectuent en France. À cet égard, l'armistice leur fournit de larges opportunités ; il condamne en effet l'État français à verser une indemnité de 400 millions de francs par jour au titre des frais d'entretien des troupes d'Occupation. Ce versement s'apparente à un tribut - la revanche pour l'Allemagne après les réparations du traité de Versailles -, et la somme fixée par la convention d'armistice est disproportionnée et suffirait à assurer l'entretien de plusieurs millions de soldats, alors que les forces allemandes d'Occupation ne dépasseront jamais 500 000 hommes. Bien plus : en 1943, l'indemnité est portée à 700 millions par jour, en raison de l'occupation de la zone sud. En outre, les Allemands modifient à leur avantage la parité des monnaies : la valeur du mark est augmentée de 60 %. Avec ce mark surévalué, les firmes allemandes peuvent aisément acquérir divers produits français, mais également des parts du capital d'entreprises françaises, ou encore racheter les participations que ces dernières possèdent à l'étranger (en particulier en Yougoslavie et en Tchécoslovaquie). La contrepartie de ces achats massifs aurait pu être l'accumulation de marks dans des mains françaises. Mais, soucieux d'éviter les sorties de devises, le gouvernement allemand impose à l'État français un « accord de compensation » qui immobilise les créances françaises sur un compte de la Reichsbank. La France accumule ainsi une gigantesque créance vis-à-vis de l'Allemagne, qui a peu de chances d'être honorée un jour. Ne se limitant pas à ces facilités, les Allemands installent encore en France des officines d'achat clandestines, souvent protégées par des prête-noms (ainsi le fameux « bureau Otto », dirigé en sous-main par l'Abwehr) qui procèdent, jusqu'au printemps 1943 - date à laquelle Vichy obtient leur fermeture -, à des acquisitions massives de produits très divers. Enfin, la politique de collaboration, accentuée en matière économique après le retour de Laval en avril 1942, encourage la production ou les livraisons au bénéfice de l'Allemagne. On estime qu'en 1944 l'ensemble des prélèvements allemands, qui ont toutes les apparences d'un pillage pur et simple, équivaut au tiers du PNB français de 1939.

Face à ces contraintes considérables, dont il est en partie responsable, le gouvernement de Vichy institue dès le mois de septembre 1940 un rationnement qui s'étend peu à peu à tous les produits et s'accompagne d'une taxation générale des prix et des salaires. Après le pain, le sucre et les pâtes, rationnés dès l'été 1940, tous les produits de consommation courante (les aliments mais aussi les chaussures ou le papier) sont frappés en octobre 1941. La population est divisée en huit catégories ayant droit à des rations alimentaires différentes : E (enfants de 0 à 3 ans), J1, J2, J3 (enfants et adolescents de 3 à 21 ans), T (travailleurs de force de 21 à 70 ans), F (femmes enceintes), A (adultes de 21 à 70 ans), V (vieillards de plus de 70 ans). Les travailleurs de force, les enfants et les femmes enceintes reçoivent davantage de tickets de rationnement que les autres. Le régime de Vichy utilise le système de répartition des denrées comme un levier de sa politique familiale : les familles nombreuses se voient ainsi octroyer des suppléments. En raison de l'aggravation de la situation économique, les rations ne cessent de diminuer progressivement. La ration de pain d'un adulte parisien passe de 350 grammes par jour en 1940 à moins de 300 grammes en 1943, tandis que celle de viande chute de 360 à 120 grammes par semaine. En 1944, l'alimentation journalière en ville n'apporte que 1 200 calories en moyenne par personne (entre 1 500 et 1 800 avec le recours au marché noir), et nombreux sont les cas de malnutrition à la Libération. Les médicaments et le charbon manquent tout autant, et en hiver les citadins doivent se terrer dans des appartements glaciaux. Devant cette pénurie généralisée, il faut recourir au « système D » et aux ersatz : forte consommation de rutabagas et de topinambours, faute de pommes de terre, ou transformation des voitures en « gazogènes », faute d'essence. Cette population mal nourrie, mal soignée et peu ou pas chauffée offre, surtout à la fin de la guerre, un terrain favorable aux maladies infectieuses. À Paris, les cas de tuberculose sont multipliés par six entre 1939 et 1944, et, lors du rétablissement de la conscription, l'armée doit réformer pour insuffisance de taille ou de poids près du tiers du contingent des classes 1944 et 1945.