Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Durkheim (Émile),

fondateur de la sociologie universitaire en France (Épinal 1858 - Paris 1917).

Normalien, agrégé de philosophie, Émile Durkheim se donne pour tâche de fonder une science des sociétés humaines : la sociologie. Avec sa thèse, De la division du travail social (1893), des études pionnières sur la détermination sociale des conduites (le Suicide, 1897) et son ouvrage sur les Règles de la méthode sociologique (1895), il développe les principes d'une sociologie scientifique, science des faits sociaux (« manières d'agir, de penser, de sentir, extérieures à l'individu ») traités comme des choses. Sa rigueur dans l'emploi de la méthode statistique (étude des variations et des corrélations dans le cas du suicide) fait de ce travail un modèle d'analyse pour des générations de sociologues, qui délaisseront la tradition de l'enquête par entretiens prônée par la sociologie catholique de Le Play. Plus tard, l'élargissement de son champ d'études conduit Durkheim à s'intéresser aux sociétés primitives, avec les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912).

Sa démarche repose sur le comparatisme ; elle vise à dégager des régularités dans la diversité des données de l'expérience, s'opposant à la fois à l'histoire événementielle et au modèle déductif de l'économie théorique. Cette description tend à cerner l'histoire des sociétés humaines comme celle d'une solidarité croissante, que la division du travail accentue dans une société devenue un système de fonctions. En outre, le projet scientifique se double d'un arrière-plan idéologique : distinguant les conduites pathologiques de celles normales, stigmatisant la décomposition des groupes sociaux en proie à l'anomie (dérèglement de l'organisme social), Durkheim offre une vision de la société empreinte de morale républicaine, privilégiant le respect des règles au détriment des conflits, ce que lui-même n'hésitait pas à relier à son éducation religieuse de fils de rabbin.

L'influence de Durkheim provient de son autorité sur des disciples qui abordent l'anthropologie (Marcel Mauss), l'économie (François Simiand), la démographie et les représentations collectives (Maurice Halbwachs), la civilisation chinoise (Marcel Granet), voire la civilisation grecque (Louis Gernet). Elle découle aussi d'une véritable stratégie de conquête du pouvoir intellectuel par le biais de sa revue, l'Année sociologique, fondée en 1898. Cet impérialisme conduit les sociologues durkheimiens à contester l'hégémonie sur les sciences humaines des historiens, auxquels ils reprochent le culte de l'événement, de la chronologie et du politique (François Simiand, 1903), ce qui incitera plus tard Lucien Febvre et Marc Bloch à renouveler la discipline historique. Toutefois, le prestige et l'autorité morale d'un homme qui semble influencer l'évolution des facultés de lettres autant qu'un Ernest Lavisse ne suffiront pas à conforter l'institutionnalisation de la sociologie dans l'entre-deux-guerres.

Duruy (Victor),

universitaire et homme politique (Paris 1811 - id. 1894).

Né d'un père artiste-tapissier à la manufacture des Gobelins, Victor Duruy commence là son apprentissage avant d'entrer, à 19 ans, à l'École normale supérieure. Docteur en 1853, il a déjà entamé une œuvre importante d'historien de Rome, qui lui a valu des succès de carrière et de librairie, et aussi la faveur de Napoléon III, dont on sait l'intérêt pour César. Appelé au ministère de l'Instruction publique le 23 juin 1863, Duruy se fixe pour priorité d'éclairer le suffrage universel par la généralisation de l'enseignement primaire. Mais son premier projet de loi, relatif à l'obligation scolaire, n'aboutit pas. Il s'attache alors à créer, entre l'école élémentaire et le lycée classique, un enseignement secondaire spécial, susceptible de dispenser un savoir professionnel utile et diversifié (loi du 21 juin 1865). Il travaille ensuite au développement des cours d'adultes et des bibliothèques communales. La loi du 10 avril 1867 incite les communes à créer des « caisses des écoles » afin de favoriser la scolarisation, et prescrit à celles qui comptent plus de 500 habitants d'ouvrir une école de filles. En 1868, il crée dans les locaux de la faculté de Paris l'École pratique des hautes études. Critiqué par le parti clérical, Duruy ne figure plus dans le gouvernement formé en juillet 1869. Il reprend dès lors ses travaux historiques. Sa longue retraite est jalonnée de triomphes académiques, et c'est couvert d'éloges par ses successeurs républicains qu'il meurt le 25 novembre 1894.