Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

cathédrales. (suite)

Le groupe cathédral : une ville sainte

L'église épiscopale apparaît à la fin de l'époque romaine, au moment où la ville antique se rétracte pour se protéger derrière des murailles que l'insécurité a contraint de construire. Elle se situe au cœur vivant de la ville, les grands sanctuaires de l'époque paléochrétienne se retrouvant désormais en périphérie, avec les nécropoles. La cathédrale n'est pas alors un unique édifice majestueux, mais un ensemble de bâtiments qui forment, à l'intérieur de la cité, un quartier spécialisé. Ce que l'on appelle le « groupe cathédral » peut ainsi couvrir jusqu'au quart de la superficie comprise à l'intérieur de l'enceinte urbaine. Cet ensemble monumental comprend tout d'abord la domus, résidence où vivent et prient en commun l'évêque et les clercs qui l'entourent, et, surtout, l'église de l'évêque. Cette dernière, qui est l'église mère de toutes les églises du diocèse, l'ecclesia par excellence, passe, en général, pour avoir été fondée par l'évangélisateur du diocèse, ou par l'un de ses premiers évêques, dans un temps si reculé qu'il en est immémorial. Elle est normalement double, comme à Paris où coexistent depuis le VIe siècle, voisines l'une de l'autre, Notre-Dame, qui est la plus petite, et Saint-Étienne, l'une des plus vastes églises existant alors en Gaule. Le dernier élément de ce groupe est le baptistère. Le baptême est considéré, au début du Moyen Âge, comme le plus important des sacrements : son administration est alors réservée à l'évêque au cours de cérémonies particulièrement solennelles qui ont lieu à date fixe, à des moments privilégiés de l'année liturgique, généralement la veille de Pâques. Le baptistère est la marque de la présence de l'évêque dans la ville. L'ensemble domus-églises-baptistère forme ce que l'on pourrait appeler la « ville sainte », dont les fonctions sont d'abord administratives (gouvernement du diocèse, entretien de la cité) et liturgiques, mais aussi caritatives et d'enseignement. Parce que ces fonctions sont complexes et qu'elles évoluent avec le temps, le groupe épiscopal est périodiquement restructuré, en fonction des besoins nouveaux qui se manifestent.

La réforme carolingienne.

•  Afin de répondre aux exigences de la réforme religieuse qu'ils promeuvent, les Carolingiens tentent de généraliser l'institution des chanoines et de réorganiser la vie du groupe des clercs réunis autour de l'évêque. Ceux-ci vivaient jusqu'alors soit dans la domus épiscopale, soit dans des demeures particulières disséminées à l'intérieur du quartier de la cathédrale. Désormais, la domus épiscopale se transforme en un véritable palais. L'évêque acquiert en effet des fonctions politiques et un prestige qui rendent nécessaire la spécialisation de son habitation. Les chanoines, quant à eux, se voient proposer un genre de vie calqué sur le modèle monastique, qui implique de prendre les repas au réfectoire, de dormir dans un dortoir, et de respecter les heures canoniales, tout en ayant une activité pastorale. Aussi, le groupe épiscopal est-il profondément modifié ; on lui adjoint un cloître réservé aux chanoines et tous les édifices nécessaires à la vie en commun. C'est à Metz que cette réforme a été conçue et appliquée pour la première fois. Les fouilles archéologiques qui y ont été menées ont montré qu'il existait, au IXe siècle, trois églises, un baptistère, un palais épiscopal et un enclos comportant un cloître, un réfectoire, un chauffoir, un dortoir... (ensemble qui a disparu au XVIIIe siècle, lors du percement de la place d'Armes). Entre le IXe et le XIe siècles, toutes les villes épiscopales ont été dotées d'enclos de cette nature - lesquels, pour la plupart, ont été détruits lors des restructurations des centres urbains au XIXe siècle. Dès le IXe siècle, et peut-être même avant, un hospice est rattaché à cet ensemble : l'évêque se doit d'exercer, dans l'hôtel-Dieu, la charité que le Christ a témoignée envers les pauvres et les malades.

Culte et enseignement.

•  Il doit également enseigner la « droite doctrine » et s'assurer que les prêtres reçoivent les éléments de formation nécessaires à l'exercice de la pastorale : chant, lecture, rudiments de théologie. La ville sainte a donc une fonction essentielle d'enseignement et, plus précisément, de prédication. De ce fait, la cathédrale doit comporter auprès d'elle une école : les législations de l'époque carolingienne en font une obligation explicite. Ces écoles, destinées avant tout au clergé, peuvent servir aussi, dans la mesure du possible, à l'instruction des laïcs. Les écoles-cathédrales prennent ainsi une place considérable dans le système de formation des élites et du personnel politique ou religieux. Au IXe siècle, le nombre d'élèves et de maîtres est toutefois si peu important qu'il n'est pas encore nécessaire de prévoir un bâtiment spécialisé. Certaines écoles épiscopales, telles celle de Reims dès la seconde moitié du IXe siècle, celles de Chartres et d'Orléans au début du XIe, occupent, grâce à la valeur de leurs maîtres et à l'importance de leur bibliothèque, une place essentielle dans la renaissance intellectuelle de l'Occident. Elles sont à l'origine des universités, qui, au XIIe siècle, s'éloigneront d'elles et s'opposeront à elles.

Un dernier élément joue un rôle important dans l'acquisition par la cathédrale d'un prestige particulier : la présence de reliques et d'un trésor. La cathédrale abrite d'abord les reliques de son saint fondateur. Mais, en un temps où le culte des saints est un élément essentiel de la vie religieuse, les évêques cherchent à accroître le nombre de reliques conservées dans le trésor de leur église, afin de faire retomber sur le diocèse tout entier la grâce des mérites des saints. Outre ces reliques, le trésor de la cathédrale est constitué d'objets précieux de toute nature qui enrichissent l'Église : objets cultuels, habits sacerdotaux, pièces d'orfèvrerie, mais aussi cadeaux des souverains, tel le voile offert par Charles le Chauve et destiné à couvrir la Vierge noire de Chartres.