Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
F

fêtes

Les fêtes ont attiré l'attention des historiens dans la seconde moitié du XXe siècle, après avoir suscité les travaux des folkloristes.

À travers elles, en effet, c'est la culture populaire dans sa foisonnante diversité, habituellement si difficile à saisir, que les uns et les autres découvrent. Or, tant dans leurs apparences que dans leur sens profond, les fêtes anciennes, entre l'an mil et les deux derniers siècles de l'Ancien Régime, sont très différentes des nôtres.

L'éventail des fêtes anciennes

Un calendrier fourni.

• À Paris au XIIIe siècle, à Toulouse au XVIIe, il y a presque autant de fêtes chômées que de dimanches ; à Marseille, au temps de Louis XIV, on en compte trente-deux, outre les dimanches, et une soixantaine de fêtes particulières, demeurées ouvrables. Ces chiffres ne valent que pour les grandes villes, où les fêtes sont plus nombreuses que dans les campagnes. Toutefois, le nombre des jours de fête a partout diminué à partir du XVe ou du XVIe siècle ; néanmoins, si l'on en juge d'après les exemples urbains, les occasions de liesse, qui tranchent pour beaucoup avec une existence difficile, ne sont pas rares.

Toutes les réjouissances ne figurent pas au calendrier. Ainsi pour la célébration des événements familiaux : baptêmes et enterrements sont l'occasion de banquets (« Croquer la tête du mort », dit-on en Flandre), de même que les noces, pour lesquelles les invités à table dépassent parfois la centaine ; ripaille et beuveries, musique et danses s'étendent alors sur deux ou trois jours.

La fête devrait être plus recueillie lorsqu'il s'agit de célébrer l'anniversaire de la dédicace d'une église. Mais « ducasses » et « kermesses » des Pays-Bas, qui s'étalent sur une huitaine de jours et attirent un grand concours de peuple, sont déjà des fêtes profanes aux XVe et XVIe siècles : les processions, avec les chars et les « histoires » - tableaux vivants ou saynètes à sujets religieux -, parties de l'église, finissent en banquets, rixes et « obscénités » qui fâchent les autorités. Les « romérages » des villages provençaux, qui célèbrent un saint patron, se préparent plusieurs jours à l'avance ; au XVIIIe siècle, ces jours sont surtout l'occasion d'exhiber les « joyes », c'est-à-dire les prix ; et, après avoir promené la châsse du saint, quelquefois avec les animaux, les habitants couronnent la fête par des jeux sportifs, un banquet et des danses.

Humbles et puissants.

• En milieu urbain, les festivités sont multipliées par le nombre des paroisses, des confréries religieuses ou professionnelles. Ainsi, le jour venu, charpentiers ou boulangers, par exemple, manifestent leur dévotion pour saint Joseph ou Saint Honoré. Ils processionnent avec l'image du saint, la bannière ou la statue. Une belle occasion de se rappeler au bon souvenir de toute la ville, avant de festoyer. Quant aux élites urbaines ou à l'aristocratie, elles ont aussi leurs bals et leurs tournois. Les uns et les autres tiendront leur place dans les grandes démonstrations collectives que sont les fêtes solennelles de l'Église, les cérémonies expiatoires ou d'action de grâce, les entrées royales ou princières. Du corps de ville et du clergé au plus humble métier, chacun veillant à garder son rang, tous figurent dans l'inévitable cortège. Costumes colorés, fontaines de vin aux carrefours, tapisseries aux fenêtres, arcs de triomphe et scènes de théâtre proclament la puissance du roi ou du saint. À ce jeu de l'ostentation, villes ou confréries peuvent d'ailleurs se ruiner.

Certaines fêtes atteignent à un faste qui traduit la supériorité des villes sur les campagnes et contribue à façonner l'image même de la cité. À Rouen, en 1527, pour l'entrée de François Ier, on reconstitue une forêt brésilienne dans l'île Lacroix, sur la Seine ; et, en 1550, pour celle d'Henri II, ce sont de véritables Indiens qui dansent à côté de Normands déguisés ! À Metz et à Tarascon, des dragons terrorisent la population avant d'être vaincus : le Grawli messin, aux Rogations, par saint Clément, et la Tarasque par sainte Marthe, à la Pentecôte, puis au jour de fête de la sainte. Il faudrait évoquer aussi l'Épinette lilloise, la Fête-Dieu de Marseille, et bien d'autres...

Des registres mêlés.

• Si ces fêtes sont connues de longue date, ce n'est qu'à une date récente (à partir des années soixante) que les historiens découvrent un autre registre. Il n'est pas séparé du précédent, bien au contraire. Le bœuf gras - le Grawli qu'on mène au sacrifice lors de la Fête-Dieu marseillaise -, la Tarasque, rappellent que la fête ancienne mêle non seulement le profane et le chrétien, mais aussi les réminiscences d'un vieux fonds religieux païen, qui s'exprime surtout lors de certains épisodes festifs.

La fête des fous s'affirme, au moins dès le XIIIe siècle, autour des chapitres cathédraux, de Flandre et de Bourgogne notamment. Enfants de chœur et petits clercs, diacres, au jour de la fête des Innocents (28 décembre), élisent parmi eux un « évêque », voire un « pape », qui donne sa bénédiction à tort et à travers. Ils brûlent des souliers dans les encensoirs, jouent aux dés ou mangent du boudin sur l'autel, promènent leur évêque sur un âne, le visage tourné vers la queue, quand il n'est pas remplacé par l'âne lui-même, coiffé de la mitre ! Au XVe siècle, les clercs paradent en ville, parfois nus, criant des obscénités et jetant de la cendre sur les badauds. Dans le même temps, cette mômerie devient vraie fête des fous, avec l'apparition des costumes et des attributs - la marotte - donnés aux êtres privés de raison. Dès lors, la hiérarchie interdit ces fêtes dans les églises, et la plupart d'entre elles disparaissent au XVIe siècle. Les « fous » se pérennisent ici ou là en se laïcisant et en formant des compagnies : ainsi « l'Infanterie dijonnaise de la Mère folle », ou « l'Abbaye des conards » de Rouen ou d'Évreux.

Carnaval connaît son apogée aux XVe et XVIe siècles, quand la fête des fous disparaît ; toutefois, son existence est aussi ancienne. C'est une fête laïque liée au temps de carême - le nom de « carnaval » renvoie au « charnage », dernier moment où l'on mange de la viande avant le jeûne - et, par là, caractéristique des sociétés chrétiennes. Elle commence le plus souvent en février (la Chandeleur, la Saint-Blaise) ou se resserre sur le seul mardi-gras, point culminant du cycle.