Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

Corse, (suite)

Le poids des facteurs économiques.

• L'histoire économique de l'île fournit nombre de clés pour la compréhension de cette évolution. La royauté, soucieuse avant tout de rentrées fiscales, a entamé le processus de désagrégation de l'ancienne économie agro-pastorale, fondée sur le libre parcours des troupeaux et sur l'exploitation des communaux. La nette reprise, perceptible au début du XIXe siècle (céréales, vigne, olivier, châtaignier, savonnerie, métallurgie, tannerie...), n'a pas résisté aux mutations, et l'économie insulaire s'est effondrée entre 1880 et 1914. C'est seulement après 1950 qu'un renouveau s'amorce, grâce à l'intervention de l'État et aux investissements des banques. Mais il privilégie dangereusement deux axes : la monoculture viticole, dans la plaine orientale, et l'exploitation touristique du littoral, sans que les Corses soient toujours les bénéficiaires des mesures prises.

Aux victimes de l'évolution économique, la solidarité clanique a offert une voie de recours, sur place - avec les conséquences politiques que l'on connaît -, ou dans l'émigration. En effet, l'expatriation a privé l'île d'une partie considérable de sa population : de 120 000 habitants vers 1790 et 295 000 en 1901, celle-ci tombe à 165 000 en 1951 pour remonter à 250 000 de nos jours. La chute est enrayée, mais c'est notamment grâce à une forte immigration aux origines variées, qui compose à présent un tiers de la population. En outre, ces chiffres ne traduisent pas la désertification de l'intérieur, ni le vieillissement global.

La recherche de solutions à la crise.

• Le souvenir d'un passé rural idéalisé, la prise de conscience des origines de la crise insulaire et des menaces qui pèsent sur l'avenir du peuple corse et de sa culture, ont poussé certains Corses à agir. Quelques-uns ont entamé un long combat culturel, qui a abouti au rétablissement de l'université de Corte en 1981 et à l'enseignement de la langue corse. D'autres se sont bornés à revendiquer une décentralisation multiforme, ou à mettre l'accent sur les aspects économiques (aménagement du territoire, meilleure prise en compte du problème de l'insularité, appel aux capitaux extérieurs). À partir des années soixante-dix, l'action directe est apparue à des organisations tels l'Action pour la renaissance de la corse (ARC), puis l'Union du peuple corse (UPC), le Front de libération nationale de la Corse (FLNC), le Mouvement corse pour l'autodétermination (MCA), A Cuncolta, comme le seul moyen de se faire entendre d'un État lointain, des hommes politiques, des financiers et des spéculateurs. D'aucuns ont prôné l'action politique classique autour de programmes réformateurs, autonomistes voire indépendantistes ; d'autres ont fait le choix de la violence, recours ultime et récurrent dans l'histoire de l'île contre le pouvoir central. L'option d'un rattachement à l'Italie n'a jamais rencontré de succès, et celle de l'indépendance semble très minoritaire.

Au lendemain de l'assassinat du préfet Érignac en 1998, l'île connaît une crise certaine, posant le problème de la garantie de l'État de droit en Corse et malgré le nouveau contrat entre la République et l'île, le malaise persiste.

corvée,

prélèvement opéré directement sur la force de travail des paysans dans le cadre du système domanial ou de la seigneurie foncière.

Le recours au système de la corvée est lié à la structure foncière du haut Moyen Âge. Le grand domaine, comme la seigneurie foncière qui lui succède à partir du XIe siècle, est divisé en deux parties organiquement dépendantes : la réserve et les tenures. La première est destinée à être exploitée directement par le seigneur foncier. Il le fait principalement grâce à la main-d'œuvre corvéable installée sur les tenures. Ces dernières sont des exploitations dépendantes, confiées par le détenteur du sol à des hommes qui les cultivent en échange du versement d'un cens et des prestations en travail plus ou moins lourdes. La corvée n'est jamais totalement arbitraire et illimitée : une coutume la détermine, définit ses modalités et limite sa durée. Les grands polyptyques du IXe siècle ont aussi pour fonction de fixer, et donc de figer, les obligations en travail des paysans. Le tenancier doit de un à trois jours de travail par semaine, qu'il effectue sur la réserve. Il s'y rend avec ses propres outils et son train d'attelage, dispensant ainsi le maître d'investissements productifs trop pesants.

L'intérêt économique de la corvée est d'assurer en permanence l'existence d'une main-d'œuvre disponible permettant de mettre en valeur la réserve. Le choix d'installer les paysans sur des exploitations satellites a, d'autre part, comme conséquence de rendre moins indispensable le groupe des esclaves prébendiers entretenus au domaine, et qui doivent l'intégralité de leur force de travail au maître. La corvée joue donc un rôle dans le processus par lequel s'est constituée une paysannerie homogène. En revanche, l'efficience du système suppose l'existence d'une capacité de contrôle et de coercition du seigneur sur ses dépendants : il faut pouvoir contraindre les corvéables et, éventuellement, être en mesure de les punir.

Dès le XIIe siècle, les seigneurs commencent à asseoir leurs revenus fonciers sur les prélèvements effectués en argent et en nature, et non plus sur l'exploitation en faire-valoir direct de leurs terres. Ils sacrifient donc leurs réserves, qu'ils allotissent et transforment en tenures, rendant ainsi superflu le recours au travail forcé. Un relatif enrichissement permet, en outre, aux tenanciers de se racheter de la corvée et de se libérer d'obligations dont le caractère humiliant est très fortement ressenti. La corvée sera abolie en août 1789.

corvée royale,

contribution en nature, parfois utilisée au XVIIe siècle pour l'entretien des chemins et les transports militaires.

Elle est généralisée, en 1738, dans le cadre de la politique d'équipement routier du royaume menée par le contrôleur général des finances Orry. Obligation est faite aux habitants des paroisses rurales de consacrer, au printemps et à l'automne, une à deux semaines de travail gratuit à la construction ou à l'entretien de tronçons de route locaux, sous la direction d'employés des Ponts et Chaussées, et selon des modalités (durée, rayon d'action, etc.) variables d'une province à l'autre. Ainsi, le Languedoc n'a jamais connu la corvée royale. Mal acceptée, symbole d'arbitraire, cette prestation se situe au centre des controverses réformatrices de la fin de l'Ancien Régime. À partir de 1758, sous l'impulsion d'intendants - dont Turgot, en Limousin -, son « rachat » moyennant une contribution pécuniaire permet, dans plusieurs provinces, l'emploi d'une main-d'œuvre salariée plus efficace. Devenu contrôleur général des finances, Turgot remplace, en février 1776, la corvée royale par une taxe due par tous les propriétaires fonciers. Cette atteinte aux privilèges fiscaux suscite l'opposition des parlements. Six mois plus tard, lors de la chute du ministre, le rachat devient facultatif, mais il progresse, jusqu'à son rétablissement général, ordonné en 1786. La corvée royale a contribué à la constitution, après 1740, d'un excellent réseau de grands axes routiers, qui améliore sensiblement la vitesse et la sûreté de circulation entre les grandes villes du royaume.