Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
V

vin. (suite)

Mais rares sont les vignobles dont la réputation est définitive. Particulièrement frappante est l'humiliation subie par le vignoble parisien - que le négoce, visant une clientèle populaire, oriente, dès la fin du Moyen Âge, vers des plants médiocres à plus haut rendement tels le gouais et le gamay - et sa disparition après la crise du phylloxéra, alors qu'au même moment le vignoble champenois, à la même latitude, étend son prestige et son marché. Instructive aussi est la création aux XVIe et XVIIe siècles, pour la clientèle hollandaise et nordique, des vins blancs liquoreux d'Anjou, de Montbazillac, de Sauternes ; puis, pour les riches amateurs anglais, des grands vins de garde de Graves et du Médoc - Haut-Brion dès les années 1660, ensuite Margaux, Lafite et Latour - ; enfin, au XVIIIe siècle, l'essor des vins sombres de la côte de Nuits, en Bourgogne, qui désormais l'emportent sur les clairets traditionnels de l'Auxerrois ou de la côte de Beaune. Cette époque voit aussi réapparaître la réputation des grands vins des Côtes-du-Rhône : ceux de Côte-Rôtie, L'Hermitage, Condrieu, Saint-Péray, etc., sont présents à la fin du siècle dans les caves des amateurs parisiens, tandis que ceux de Châteauneuf-du-Pape et de Château-de-la-Nerthe se vendent en Angleterre.

Entre ces nouveaux grands vins de garde et les vins ordinaires des mêmes régions, l'écart des prix se creuse : en 1647, pour les vins de Bordeaux, la différence n'est pas même du simple au double ; entre 1700 et 1710, elle est plus que du simple au triple (700 livres le tonneau, contre 200). De même, en Bourgogne : dans les blancs, le montrachet de 1775 coûte 1 300 livres la queue (futaille d'un muid et demi) et le meursault 260 seulement ; dans les rouges, le romanée-saint-vivant, le chambertin et le richebourg se négocient à 800 livres alors que le santenay n'est qu'à 150 et le bourgogne générique à 120.

Atouts commerciaux et culturels des vins du Nord

Examinons les conditions de ces dominations successives. Dans les vignobles septentrionaux, les mauvaises récoltes sont plus fréquentes et la rentabilité du travail agricole moins grande que dans ceux du Midi. Mais, à une époque où les transports étaient beaucoup plus longs et coûteux qu'aujourd'hui, la logique commerciale l'emportait sur la logique agricole : entre le XIe et le XIIIe siècle, beaucoup de régions exportatrices se trouvaient donc au nord de ce que nous appelons maintenant la « limite climatique » de la vigne.

Bien situés commercialement le long des rivières, ces vignobles étaient à flanc de coteaux et bénéficiaient d'une bonne exposition (sud ou est). Néanmoins, un certain manque de chaleur et de luminosité retentissait sur la pigmentation et le sucre des raisins, et donc sur la couleur et le degré alcoolique du vin. Pour éviter que trop d'alcool ne s'évapore pendant la fermentation, on ne laissait pas les grappes cuver longtemps et l'on produisait donc surtout des blancs et des clairets.

Dans la culture et le goût de l'époque, ces vins étaient d'ailleurs plus valorisés que les rouges, considérés comme grossiers et vulgaires. Ce goût ne découlait pas simplement de la localisation des vignobles en vogue. C'est en effet toute la physique aristotélicienne et toute la diététique hippocrato-galénique qui justifiaient la supériorité des vins blancs et clairets comme plus immatériels, plus fins, et donc plus digestes pour les estomacs délicats des gens de la bonne société, les vins sombres étant jugé épais, pleins de l'élément « terre », nourrissants mais lourds, adaptés à l'estomac plus robuste des travailleurs manuels et à leurs plus grands besoins énergétiques.

Les buveurs indigènes

En France, au Moyen Âge et au cours des temps modernes, qui buvait du vin ? C'est un sujet débattu. Les femmes en auraient bu beaucoup moins que les hommes, et un vin plus trempé - du moins, les femmes de la bonne société, disent nos témoins, qui sont plus réservés sur les pratiques des femmes du peuple. Quant aux enfants, ils auraient souvent bu de l'eau pure, le vin étant jugé dangereux pour eux par la plupart des médecins - mais pas par tous. Pour ce qui concerne les hommes adultes, on s'accorde à penser que, depuis le XIVe siècle au moins, les citadins en buvaient quotidiennement. Mais la plupart des historiens du vin pensent que les paysans n'en consommaient qu'exceptionnellement - l'eau, du mauvais cidre de pommes sauvages, ou au mieux de la piquette constituant leur boisson ordinaire. Plusieurs témoignages d'époque vont dans le même sens. Cette thèse est néanmoins contestable, au moins pour les régions où l'on a étudié la chose de près, comme la Provence, le Languedoc ou l'Alsace.

En Provence, aux XIVe et XVe siècles, les paysans comme les bourgeois buvaient le vin de leurs vignes. Dans les villages comme dans les villes, il n'y avait pratiquement pas de maison sans tonneau, et le pauvre comme le riche possédait une parcelle de vigne. Or, en l'absence de débouchés extérieurs, c'est pour la consommation familiale que chacun faisait son vin. De même en bas Languedoc où, avant le XVIIIe siècle, la vigne n'a été cultivée que sur les coteaux pierreux impropres au blé, dans le cadre d'une économie de subsistance. Un médecin du XVIe siècle se plaignait d'ailleurs que, malade ou bien portant, le paysan languedocien crût ne pouvoir vivre sans boire de vin. En Alsace, jusque dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la bière, fabriquée par les brasseurs professionnels, devait s'acheter et n'était donc bue que par les gens de la ville, tandis que le paysan, qui n'avait pas d'argent à dépenser pour sa nourriture ni pour sa boisson, se limitait au vin qu'il produisait.

Le développement de la production de bière, dans le nord et l'est de la France et même à Paris, est donc sans doute lié à l'essor de la population urbaine. Mais le développement de la production de cidre - beaucoup plus important -, qui se fait dans l'ouest de la France, à partir du XVIe siècle, au détriment des vins de consommation locale, concerne essentiellement des paysans, consommateurs de leur propre récolte.