Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

Considérant (Victor),

philosophe, économiste et homme politique (Salins, Jura, 1808 - Paris 1893).

Polytechnicien, il abandonne rapidement la carrière militaire, pour devenir, tout au long des années 1830 et 1840, l'un des propagandistes les plus actifs du mode d'organisation sociale prôné par Charles Fourier (1772-1837). Directeur de l'hebdomadaire le Phalanstère, puis de la Phalange, il fonde, en 1843, le journal Démocratie pacifique. C'est alors qu'il formule, dans ses articles et ses ouvrages - Destinées sociales (1834-1844), Théorie du droit de propriété et du droit au travail (1845), Principes du socialisme (1847) -, la notion de « droit au travail », qui s'impose comme l'une des idées maîtresses du socialisme français d'avant 1848. Élu député à la Constituante en 1848, puis à l'Assemblée législative en 1849, il est exilé pour avoir participé à la journée du 13 juin 1849 aux côtés des députés de l'extrême gauche. Il gagne alors la Belgique, puis le Texas. En 1853, il fonde, à Dallas, une colonie agricole communautaire sur le modèle fouriériste ; l'expérience se soldant par un échec, il rentre en France en 1869, et se rallie, deux ans plus tard, à la Commune de Paris.

Caractéristique du socialisme utopique, son œuvre mêle à une critique lucide du système capitaliste une vision souvent candide des rapports sociaux. Marx ne manquera pas de stigmatiser une doctrine, commune à Fourier et à Considérant, selon laquelle le succès de quelques phalanstères ou communautés peut constituer le levier de la régénération sociale.

Constant (Benjamin Henri Constant de Rebecque, dit Benjamin),

homme politique et écrivain (Lausanne 1767 - Paris 1830).

Originaire de Suisse romande, prématurément orphelin de mère, Benjamin Constant est un enfant prodige qui reçoit une solide éducation, en même temps qu'il sillonne l'Europe. Adolescent, il fréquente la haute société parisienne. Ses premières aventures sentimentales annoncent une succession de liaisons avec des femmes plus âgées que lui, notamment, à partir de 1894, Mme de Staël - dont l'influence sera décisive -, puis Mme Récamier (1814). Faible et irrésolu, « Benjamin l'Inconstant » a également la passion du jeu. Attiré par le pouvoir, il s'engage dans la politique en défendant le Directoire, puis en siégeant au Tribunat (décembre 1799-janvier 1802) ; son opposition au régime autoritaire de Bonaparte lui vaut d'être exclu de la scène publique et il partage l'ostracisme qui frappe Mme de Staël (1803-1814). Même s'il se satisfait de la Charte constitutionnelle (1814), il n'en accepte pas moins, lors des Cent-Jours, de rédiger l'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire (1815). Après Waterloo, il séjourne en Angleterre, puis rentre en France, où ses talents de pamphlétaire et de débatteur s'expriment dans de multiples publications, ainsi qu'à la Chambre des députés (1819-1830). Figure de proue du parti libéral, il jouit alors d'une immense popularité. Ses nombreux ouvrages politiques - notamment De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819), ou ses Mélanges de littérature et de politique (1829) - le consacrent comme l'un des théoriciens du libéralisme. Partisan d'une monarchie à l'anglaise et d'une limitation du pouvoir de l'État, il manifeste sa volonté d'empêcher l'avènement d'une démocratie dont il craint - contrairement à Rousseau - les dérives despotiques. Quelques mois avant sa mort, son idéal politique a triomphé avec la monarchie de Juillet, régime sous lequel il est devenu président de section au Conseil d'État. On lui fait des funérailles nationales.

Son intense activité politique s'est doublée, très tôt, d'une carrière littéraire qui lui a apporté la célébrité : en 1816, Adolphe révèle au public un maître du roman d'analyse psychologique, tandis que Cécile, le Cahier rouge et les Journaux intimes (publications posthumes) dévoileront un écrivain sceptique et anticonformiste, au ton passionné et personnel. La postérité a tendance à ne voir en Benjamin Constant que l'auteur d'Adolphe. C'est oublier que Constant, même s'il s'est souvent démarqué de Rousseau, a tenu - comme lui - à conjuguer analyse existentielle et méditation politique.

Constantinople (capitulations de),

accords de coopération militaire (octobre 1535-février 1536), assortis, probablement, de privilèges commerciaux, négociés entre Jean de La Forest, ambassadeur de François Ier, et Ibrahim Pacha, grand vizir de Soliman le Magnifique.

Le terme de « capitulations » (au pluriel) désigne, dans le langage diplomatique, les conventions régentant le statut des marchands chrétiens dans les pays ottomans ; toutefois, les capitulations de 1535-1536 - préparées par de multiples ambassades - étaient d'abord d'ordre militaire. C'est pourquoi cette dénomination a été remise en cause par certains historiens, d'autant que le contenu, la datation, voire l'existence même de ces accords restent encore sujets à discussions. Quoi qu'il en soit, des négociations entre la France et la Sublime Porte sont avérées. Elles manifestent l'indéniable volonté française de développer une nouvelle politique en Méditerranée. En effet, après avoir subi des déboires en Italie et alors qu'un nouveau conflit avec l'Empire de Charles Quint s'annonce, François Ier cherche à tout prix des alliés, fussent-ils luthériens ou infidèles. De leur côté, les Ottomans viennent d'essuyer un sérieux revers avec la prise de Tunis par Charles Quint en juillet 1535. Scandaleux au regard des relations traditionnelles entre la chrétienté et l'islam, le rapprochement avec les Turcs permet surtout à François Ier de faire peser une menace constante sur les liaisons maritimes entre l'Espagne et l'Italie, grâce aux galères corsaires d'Alger commandées par Barberousse (Khayr ad-Din).

Symboles de la primauté proclamée des intérêts supérieurs de l'État territorial sur ceux de la communauté catholique, les capitulations de Constantinople sont aussi le premier exemple de ce qui sera l'une des constantes de la diplomatie française dans l'histoire moderne : la recherche d'une alliance de revers contre les Empires centraux. Pour certains historiens, elles constituent également un modèle juridique - suivi jusqu'au XIXe siècle -, puisque, pour la première fois, elles n'étaient pas unilatérales et révocables par le Grand Turc.