Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
A

Antiquité tardive, (suite)

Les caractères généraux de la société gallo-romaine du iiie au vie siècle.

• Dans les régions frontalières de l'Empire, l'armée a été un vecteur fondamental des transformations politiques et sociales. Les soldats ont été des agents de la romanisation aux Ier et IIe siècles ; dès le début du IIIe siècle, en revanche, ils sont originaires de la région de leur poste. À partir du IVe siècle, le métier des armes, comme tous les autres, devient héréditaire. L'armée accentue la tendance au particularisme local, qui, à partir du IIIe siècle, commence à battre en brèche le centralisme impérial. Ce phénomène est encore accru par la présence de nombreuses unités d'origine barbare. Par ailleurs, le poids de l'armée sur les finances va croissant à partir du IIe siècle. L'augmentation de la solde est l'un des moyens dont dispose l'empereur pour s'assurer la fidélité des armées du limes. Ce phénomène induit une incontestable prospérité dans ces régions. Mais, pour faire face aux besoins de financement de l'armée, les impôts s'alourdissent ; la création de l'annone, sous Dioclétien (284/305), a de graves conséquences : l'impossibilité de s'acquitter de cet impôt incite certains propriétaires à fuir leurs domaines, pour devenir de simples locataires de terres, ou à se lancer dans des révoltes armées. La pression fiscale suscite également une désaffection des élites pour les magistratures publiques des cités (ordo decurionum), car ces charges impliquent la responsabilité fiscale de la communauté. L'épiscopat, qui devient le sommet du cursus honorum, reste la seule fonction prisée de la classe sénatoriale. L'évêque assume la charge de défenseur de la cité. Les Barbares, nombreux dans l'Empire et installés comme lètes sur des terres laissées en friche ou en tant que peuples fédérés, ont également un rôle décisif dans la mutation de la société. Certains d'entre eux occupent des places de premier plan en Gaule, au IVe siècle : Arbogast, Bauto ou Richomer. Pour l'aristocratie foncière, ils peuvent constituer une menace (quand ils joignent leurs forces à celles de l'empereur de Constantinople, qui lutte contre les privilèges - exemption fiscale, surtout). À l'inverse, ils peuvent être des alliés contre un pouvoir central jugé trop fort.

Ces caractéristiques (provincialisation, militarisation, poids de l'impôt, « barbarisation » de l'armée) donnent l'image d'une société dans laquelle les rapports sociaux sont devenus durs, et les inégalités fortement marquées. Dans ce cadre, l'idée d'empire ne s'associe plus à la figure de l'empereur, lequel ne représente dès lors qu'une des forces en présence : pour les élites, l'appartenance à la romanité n'est qu'un simple attachement à la culture latine. Ainsi s'explique la relative facilité avec laquelle s'accomplit l'installation des royaumes barbares.

antisémitisme.

À la différence de l'antijudaïsme médiéval, qui s'appuie sur une tradition religieuse, l'antisémitisme moderne – le terme (1879) est dû à l'Allemand Wilhelm Marr – se manifeste au XIXe siècle sous la forme d'une idéologie laïque ; son développement accompagne celui du sentiment national.

L'écho, en France, de l'affaire de Damas (1840) – une accusation de meurtres rituels dont un moine capucin et son domestique auraient été victimes – pèse sur des juifs, ainsi que les récurrences fréquentes du thème du « complot juif » dans la presse catholique attestent, cependant, la persistance d'une dimension religieuse dans cet avatar de la haine du juif.

Avec la révolution industrielle se cristallise la dimension économique de l'antisémitisme moderne, et ce, sous l'impulsion des socialistes utopistes, en particulier Charles Fourier, Alphonse Toussenel, qui remporte un succès notable en publiant les Juifs, rois de l'époque (1844), ou encore Pierre Joseph Proudhon. Dans leur défense du peuple contre la menace capitaliste, le banquier juif - symbolisé par les Rothschild - est diabolisé. Ces deux dimensions se conjuguent aux théories racistes, alors en pleine expansion, pour culminer avec le mythe du juif dominateur, tel qu'il est décrit dans la France juive d'Édouard Drumont (1886), le premier best-seller de l'antisémitisme en France (la 200e édition paraît en 1914). Sous la plume de Drumont, le juif, identifié avec les forces qui ont promu la République, devient le symbole de l'« anti-France » ; d'où une pratique militante qui prend une certaine ampleur, sans pour autant rallier les foules. Système d'explication à prétention universelle, l'antisémitisme en tant qu'arme politique donne sa pleine mesure durant l'affaire Dreyfus, au terme de laquelle la défense des juifs finit par se confondre avec celle de la République. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, on assiste à un déclin de l'antisémitisme, consécutif à l'« union sacrée », et dû notamment à l'influence modératrice de l'Église, tandis que la France, en mal de main-d'œuvre, ouvre largement ses frontières à l'immigration. Cependant, la crise économique des années trente entraîne dans son sillage un regain de xénophobie antisémite.

Les années noires de l'antisémitisme triomphant.

• Alors que les juifs ne constituent qu'une infime minorité parmi les étrangers, ils en viennent à représenter, sous la plume des antisémites, la quintessence même de l'étranger. Des affaires savamment orchestrées, qui mêlent des doctrines anciennes à une actualité sociopolitique agitée (affaire Stavisky, 1933 ; assassinat, le 7 novembre 1938, à l'ambassade d'Allemagne à Paris, d'Ernst von Rath, par Herschel Grynszpan, un juif polonais immigré d'Allemagne), alimentent une presse antisémite qui ne compte pas moins de 47 titres, et que relaient partis et ligues d'extrême droite (le Parti populaire français, le Rassemblement antijuif de France). L'exacerbation des tensions avec l'Allemagne hitlérienne transforme le juif dans l'imaginaire antisémite : tantôt va-t-en-guerre menaçant d'entraîner la France dans un conflit qui ne la concerne pas, tantôt cinquième colonne potentielle dans le conflit qui s'annonce.