Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
L

libertins.

Dérivé du sens juridique romain (« affranchis »), le mot sert à dénoncer, à partir du XVIe siècle, ceux qui s'affranchissent des dogmes, donc de l'orthodoxie morale.

Un groupe composite.

• C'est en balançant de l'indépendance intellectuelle à la débauche, et de l'irréligion à la violation concertée des règles morales, notamment en matière amoureuse, que le type du libertin, à cheval sur la scène philosophique et littéraire, s'impose comme une figure énigmatique et fascinante de l'histoire culturelle aux XVIIe et XVIIIe siècles. Fascinante si l'on songe au Dom Juan de Molière, aux héros de Crébillon fils, de Laclos, de Sade. Mais aussi énigmatique si l'on s'interroge sur la pertinence historique de réunir sous une même appella-tion, ambiguë et polémique, Théophile de Viau (1590-1626), Cyrano de Bergerac (1619-1655), Charles Saint-Évremond (1610-1703), Fontenelle (1657-1757), Mme de Merteuil et Valmont (personnages des Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos, 1782), Casanova (1725-1798) et Sade (1740-1814), etc. Ne risque-t-on pas de fabriquer un brillant artefact, ou plutôt de cautionner, à grand renfort d'érudition, les amalgames des orthodoxies religieuses d'Ancien Régime convaincues que de la libre-pensée naissent fatalement la corruption des mœurs et la dissolution des liens sociaux ? L'improbable cohérence du libertinage serait alors moins du côté des libertins (penseurs aussi érudits que divers, nobles dissolus, poètes épicuriens, philosophes de la raison d'État, roués de romans acharnés à humilier les femmes) que du côté du discours clérical, toujours pressé de mobiliser l'appareil répressif contre les impies.

Du • XVIIe siècle aux Lumières : le libertinage dans tous ses états.

Il convient donc de suivre l'évolution qui, sur deux siècles, va conduire cette construction polémique, ce phantasme clérical, des tavernes et des cabinets studieux du XVIIe siècle jusqu'aux alcôves perverses de Crébillon et de Laclos, et aux boudoirs et châteaux forts sadiens.

On repère vers 1620 les premières manifestations collectives d'une pensée libertine, alliant blasphèmes et licence, dans un groupe de jeunes nobles animé par le poète Théophile de Viau, aussitôt dénoncés par le père Garasse dans sa Doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps (1623), et par le père Mersenne dans son Impiété des déistes et libertins de ce temps (1624). Après l'arrestation de Viau en 1623 et les progrès de la répression, le libertinage nobiliaire se réfugie dans l'entourage du frère de Louis XIII, Gaston d'Orléans, de Condé, de Vendôme (Société du Temple, où Voltaire fit ses premières armes en compagnie de l'abbé de Chaulieu). Mais l'indépendance d'esprit n'est pas l'apanage de la grande aristocratie, seule à même de pratiquer la liberté des mœurs. On a appelé « libertinage érudit » la critique des orthodoxies morales, philosophiques, dogmatiques, par des hommes de savoir tels que La Mothe Le Vayer (1588-1672), Gabriel Naudé (1600-1653), Cyrano de Bergerac. Ces derniers sont tentés par le déisme, plus rarement par l'athéisme, ou par la critique des superstitions populaires (miracles, rites, preuves historiques des religions), qui sont interprétées comme des contraintes (des impostures) purement politiques nécessaires à l'ordre social. Ils remettent en cause la Révélation, l'immortalité de l'âme, la Création, au profit d'un destin réglant l'ordre naturel, d'une raison critique déniaisée, d'une morale plus inspirée des Anciens que du christianisme. Il revient au Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle (1647-1706) de rassembler cette riche tradition, dont on devine la diffusion sans pouvoir la mesurer, faute d'accès à l'intimité des consciences, soigneusement masquées (qu'en est-il exactement de Molière, de La Fontaine ?).

On pourrait légitimement, avec leurs adversaires cléricaux, considérer les philosophes des Lumières comme les héritiers du libertinage critique. Mais l'habitude (inconnue de l'Encyclopédie) a été prise de restreindre l'emploi des termes « libertin » et « libertinage » aux pratiques et théories des héros de Crébillon, de Laclos et de leurs nombreux épigones. Le libertinage ainsi conçu - comme la séduction savante, épurée de tout émoi sentimental, de toute tendresse et délicatesse, d'un(e) partenaire qu'on cherche à dominer et à humilier sur la scène mondaine - est donc une invention romanesque : celle de Crébillon fils (les Égarements du cœur et de l'esprit, 1736), portée à son point de perfection par Laclos. On en chercherait en vain la trace chez les grands séducteurs du siècle - le maréchal de Saxe, le duc de Richelieu ou Casanova. Le paradoxe du libertinage des Lumières peut donc s'énoncer ainsi : il s'agit d'un mythe littéraire devenu le mythe d'un siècle.

libre-échange (traité de) [1786],

accord de commerce franco-anglais, signé le 26 septembre 1786 par les négociateurs William Eden et Gérard de Rayneval, qui lève les barrières douanières entre les deux pays.

Il s'agit pour la France, épuisée par la guerre d'Amérique, de consolider la paix conclue à Versailles en 1783, mais aussi de stimuler la production nationale en l'exposant à la concurrence de l'industrie britannique, plus performante. Le traité porte la marque des physiocrates, en particulier de Dupont de Nemours, qui voient dans cette libération des échanges la condition du progrès économique.

L'accord satisfait les exportateurs de vin et de produits de luxe, mais les secteurs des biens manufacturés courants sont durement frappés par l'arrivée massive des textiles, de la quincaillerie et des poteries britanniques. Certaines régions déjà fragilisées, telles la Normandie et la Picardie, traversent une période de crise ; l'industrie cotonnière naissante est malmenée. Le choc, que l'on voulait salutaire, s'avère trop brutal. C'est que le traité est entré en vigueur sans son corrélat nécessaire : l'unification du marché intérieur français, qui aurait renforcé l'économie nationale face à la concurrence anglaise. Mais le contrôleur général des Finances Calonne n'a pas réussi à supprimer les douanes intérieures. À court terme, l'Angleterre est largement bénéficiaire : ses exportations en France sont multipliées par trois (en ne tenant pas compte de la contrebande antérieure), alors que les exportations françaises n'augmentent que de 50 %. La Révolution perturbe ensuite les échanges, et le traité est dénoncé en janvier 1793. Le protectionnisme est alors rétabli, jusqu'au traité de 1860.