Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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décolonisation (suite)

La suite des événements va encore accentuer l'importance de l'empire pour les deux pouvoirs rivaux : l'État français de Vichy, et la France libre. Pétain a jugé l'armistice acceptable, parce qu'il conserve à la France sa flotte et son empire ; il y voit un atout indispensable pour garder une certaine indépendance face aux occupants. En revanche, le général de Gaulle s'efforce d'entraîner les gouverneurs des colonies à refuser l'armistice, pour maintenir la France dans la guerre jusqu'à la victoire aux côtés de l'Empire britannique et avec l'appui des États-Unis ; il rallie ainsi à sa cause, de gré ou de force, un nombre grandissant de colonies : le Tchad, puis toute l'Afrique-Équatoriale française (A-ÉF), où il installe un Conseil de défense de l'empire, en octobre 1940 (après avoir été repoussé devant Dakar en septembre) ; enfin, en juin-juillet 1941, la Syrie et le Liban, arrachés aux forces de Vichy avec le soutien des Britanniques. L'évolution de la guerre finit par lui donner raison. Après le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942 au Maroc et en Algérie (suivi d'une invasion germano-italienne en Tunisie, puis de la zone libre en métropole, le 11 novembre), les troupes d'Afrique du Nord et d'Afrique-Occidentale française (A-OF), restées fidèles à Vichy, rejoignent le camp allié et entrent dans la guerre sous le commandement de l'amiral Darlan (ancien partisan de la coopération militaire avec l'Allemagne), puis du général Giraud. Grâce à l'appui de la Résistance intérieure, de Gaulle écarte rapidement ce dernier. Précédemment vichyste, l'armée d'Afrique, complétée par une mobilisation sans précédent des populations française et indigène et par l'arrivée de volontaires métropolitains, joue un rôle croissant dans les opérations militaires en Tunisie, en Italie, en Corse, dans le débarquement de Provence (15 août 1944), puis dans la remontée vers le Rhin et le Danube. Ainsi, comme le déclare le député guyanais Gaston Monnerville à l'Assemblée consultative le 25 mai 1945 : « Sans son empire, la France ne serait qu'un pays libéré. Grâce à son empire, la France est un pays vainqueur. » C'est alors l'apogée de l'idée coloniale, dans les milieux politiques issus de la Résistance et dans l'opinion publique.

Pourtant, la guerre a gravement affaibli le prestige de la France et le loyalisme des populations indigènes (dont les autorités coloniales se félicitent jusqu'en juin 1940). La défaite militaire, les appels du gouvernement de Vichy à la collaboration avec l'Allemagne et son acceptation de l'occupation japonaise en Indochine, ont ruiné la foi en la puissance française. La détérioration continue des conditions de vie et l'aggravation des inégalités de ravitaillement entre Français et indigènes ont miné la confiance en la richesse et la générosité de la France. Les élites et les masses des peuples colonisés se tournent vers les propagandes étrangères : d'abord celles des puissances de l'Axe (panasiatisme japonais, arabophilies allemande et italienne) - limitées par leurs propres ambitions impérialistes et par le souci de ne pas inquiéter les autorités coloniales vichystes -, puis celle des alliés anglo-américains, qui proclament, dans la charte de l'Atlantique (août 1941), le droit de tous les peuples soumis à une domination étrangère à recouvrer leur indépendance. Les mouvements nationalistes ainsi encouragés s'expriment au grand jour dès que le tête-à-tête entre colonisateurs et colonisés est interrompu par des armées étrangères : Britanniques en Syrie et au Liban (juin 1941), et à Madagascar (mai 1942), Anglo-Américains en Afrique du Nord (8 novembre 1942), Germano-Italiens en Tunisie, de novembre 1942 à mai 1943, Japonais présents depuis septembre 1940 en Indochine, d'où ils éliminent l'armée et l'administration vichystes le 9 mars 1945.

Confrontées aux revendications indépendantistes, les autorités françaises réagissent par la force dès qu'elles cessent de craindre l'intervention des Alliés. Le général Giraud temporise face au Manifeste du peuple algérien de Ferhat Abbas (qui réclame une nationalité et un État algériens), mais, en Tunisie, libérée de l'occupation germano-italienne en mai 1943, il réprime le Néo-Destour, compromis avec les occupants, et dépose le bey Moncef sous la même accusation. La France libre a reconnu, dès juin 1941, l'indépendance (but final du mandat donné par la Société des nations [SDN]) du Liban et de la Syrie, mais elle veut retarder le transfert complet des compétences et l'évacuation des troupes françaises jusqu'à la fin de la guerre et la remise du mandat à l'ONU, ce qui provoque une grave crise franco-libanaise en novembre 1943, et un affrontement franco-syrien arrêté par un ultimatum britannique en mai 1945. En Afrique du Nord, le général Catroux, commissaire aux Affaires musulmanes du Comité français de libération nationale (CFLN), repousse le Manifeste du peuple algérien (nationaliste modéré), puis fait désavouer le Manifeste du parti de l'indépendance (Istiqlal) marocain par le sultan Mohammed Ben Youssef (qui l'a d'abord approuvé). Des émeutes et des répressions violentes s'ensuivent rapidement au Maroc (février 1944) et, plus tardivement, en Algérie (le 8 mai 1945, autour de Sétif et de Guelma).

Pourtant, le CFLN compte également sur des réformes pour rétablir un ordre durable. À Brazzaville, une conférence réunit, en janvier et février 1944, les gouverneurs des colonies d'Afrique noire et de Madagascar autour du général de Gaulle et du commissaire aux Colonies René Pleven, pour définir une nouvelle politique coloniale et impériale. Cette conférence exclut toute évolution vers l'indépendance, mais de Gaulle propose de préparer chaque peuple d'outre-mer à s'administrer et, plus tard, à se gouverner lui-même dans un « ensemble français de forme fédérale » ; le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) le nomme « Union française » dans une déclaration du 25 mars 1945 qui promet l'autonomie aux peuples de l'Indochine occupée (où les Japonais ont incité les souverains locaux à proclamer leur indépendance).