Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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protohistoire (suite)

Les nouvelles méthodes d'investigation

À partir des années 1970, la protohistoire française connaît une mutation fondamentale, plus longue néanmoins à se mettre en place que celle affectant la préhistoire, car le milieu scientifique concerné est plus restreint. Une fois de plus, ce sont les archéologies étrangères qui jouent un rôle moteur : la méthode stratigraphique, qui permet l'enregistrement de couches archéologiques superposées, est empruntée à l'Anglais Wheeler, tout comme sa systématisation sous forme de diagrammes, due à Harris et Biddle, qui est indispensable dans les fouilles urbaines très complexes. La pratique de la fouille de villages médiévaux est importée de Pologne, et vient enrichir une archéologie qui, jusque-là, s'intéressait seulement à l'art et à l'architecture des châteaux et des cathédrales. Quant à la pratique des grands décapages de villages protohistoriques, à l'aide d'engins mécaniques, elle est introduite en France par l'archéologue tchèque Soudsky.

Les nouvelles techniques d'analyse bénéficient à la protohistoire comme à la préhistoire et aux autres archéologies. La datation par le carbone 14 joue un rôle important : tandis que Childe estimait que le néolithique avait commencé en Europe vers 2 600 ans avant J.-C., le carbone 14 fait reculer cette date de quatre millénaires ! De même, la datation par les cernes des arbres (dendrochronologie) s'applique essentiellement aux sites lacustres protohistoriques.

Entre-temps, non sans relations avec la crise économique et sociale qui marque la fin des « Trente Glorieuses », le public français a commencé à s'intéresser à l'archéologie métropolitaine, à ses propres « racines », à son « patrimoine », à sa « mémoire ». Les aménageurs publics ou privés ne peuvent plus détruire impunément les sites archéologiques, mais doivent financer les fouilles de sauvetage préalables à leurs travaux. Depuis vingt ans, plus de 3 000 chantiers archéologiques sont ouverts chaque année, tandis que la protohistoire compte plusieurs centaines de chercheurs professionnels travaillant au ministère de la Culture, au CNRS et dans les universités.

Les premiers agriculteurs

Si la protohistoire commence sur le territoire français avec l'apparition de l'agriculture et de l'élevage (le néolithique), ce phénomène fait encore l'objet de débats. Dans l'ouest de la France, on a fait valoir quelques dates au carbone 14 très reculées, qui font remonter les monuments mégalithiques d'Armorique à une phase bien antérieure au mégalithisme du reste de l'Europe, et même à l'apparition du néolithique dans la plus grande partie de la France. Dans le Midi, on a insisté sur l'importance du substrat mésolithique indigène, au moment de l'arrivée des premières formes de néolithisation. Il n'en reste pas moins que l'on distingue bien deux courants de néolithisation, tous deux issus originellement du Proche-Orient, même si le rôle qu'ont pu jouer dans ce processus les derniers chasseurs-cueilleurs mésolithiques n'est pas sans intérêt. Le premier courant suit les côtes méditerranéennes et parvient en Provence et en Languedoc vers la fin du VIIe millénaire (cardial) ; l'autre remonte le bassin du Danube et franchit le Rhin vers le début du Ve millénaire (rubané). L'originalité de la France est, de par sa position géographique péninsulaire, que ces deux courants s'y retrouvent à nouveau, et vont se mêler dans le tiers moyen du pays vers le milieu du Ve millénaire.

La rencontre de ces deux courants marque aussi la fin, à l'échelle de l'Europe, du mouvement de colonisation néolithique : toutes les terres favorables à l'agriculture sont occupées, et ces sociétés ne peuvent plus faire face à leur croissance démographique par les traditionnelles migrations. Il leur faut donc s'adapter à la raréfaction des terres, par de nouvelles techniques agricoles (araire, élevage plus sélectif, trait, monte, métallurgie, etc.) et alimentaires (laitages, recrudescence de la chasse, etc.), mais aussi par une organisation sociale différente. C'est le moment où apparaissent les premières tombes « riches » - qui sont des indices d'une hiérarchisation croissante - et aussi de possibilités nouvelles d'accumulation, dont témoigne l'exploitation intensive des matières rares (cuivre, silex de qualité, roches vertes pour les haches, etc.). Ces réorganisations ne vont pas sans tensions, et l'on voit ainsi apparaître les premières fortifications et les premières traces systématiques de violences guerrières. On désigne, à l'échelle de l'Europe, cette nouvelle période sous le nom de « chalcolithique » - le métal y faisant sa première apparition, d'abord sous forme d'objets de prestige, à peine présents en France. Ce nouvel ordre social s'appuie, effectivement, sur d'importantes réalisations à fonction idéologique visant à marquer l'espace : monuments funéraires mégalithiques, grandes enceintes cérémonielles, etc.

Des phénomènes de hiérarchisation disparates

Tous ces phénomènes se retrouvent, avec des traits stylistiques propres, dans les différentes cultures des débuts du chalcolithique représentées en France - où cette période est souvent désignée sous le nom de « néolithique moyen ». Dans la moitié sud du pays prévaut le chasséen, avec sa poterie fine gravée de motifs géométriques et ses grandes enceintes. Dans l'Est, le « néolithique moyen bourguignon », connu par ses villages fortifiés de bords de lacs (Chalain, Clairvaux), en constitue une variante, tout comme le faciès armoricain, d'où émergent les grands dolmens de Gavr'inis, Locmariaquer, Carnac et autres. Enfin, dans le Nord-Est, on trouve la culture de Michelsberg, avec ses vases à fond rond, qui s'étend aussi sur la Belgique et une partie de l'Allemagne.

Dans la seconde moitié du IVe millénaire, au moment où naissent les premières villes du Proche-Orient et bientôt la civilisation cycladique dans les îles grecques, commence à l'échelle de l'Europe le chalcolithique moyen. Les phénomènes de hiérarchisation ont tendance à s'estomper. En France, c'est l'époque des allées couvertes, monuments mégalithiques moins imposants et qui accueillent beaucoup plus de défunts - signe d'une sorte de « démocratisation » de la mort. C'est la culture de Seine-Oise-Marne, dans le Bassin parisien, tandis que les façades atlantique et méditerranéenne voient fleurir de nombreux groupes locaux, qui se distinguent par le décor de leurs poteries : Matignons, Peu-Richard, Ferrières, Véraza, Treilles, ou encore le groupe de Fontbouisse, avec ses maisons ovales en pierres sèches, bien connues à Cambous, dans l'Hérault. La métallurgie est maintenant bien présente.