Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
V

vitrail. (suite)

Au XIIIe siècle, les progrès de l'architecture permettent de répartir le poids de la voûte sur les piles et les contreforts. Libéré de son rôle architectural, le vitrail se met au service de la théologie et de la scolastique de l'époque gothique : sa fonction première est de faire jouer lumière et couleurs pour métamorphoser l'église en un reflet terrestre de la Jérusalem céleste. C'est à ce moment qu'apparaissent les premières roses, créations glorieuses qui prêtent leurs rayonnements à l'évocation de la Gloire divine, du Jugement dernier, de l'Image du monde, et du temps qui tourne (Zodiaque). Les vitraux des cathédrales de Lausanne, de Bourges, de Saint-Urbain à Troyes, de la Sainte-Chapelle à Paris en offrent de bons exemples.

Dès le milieu du XIIIe siècle, deux innovations techniques annoncent les temps nouveaux : la grisaille, et le jaune d'argent. Elles sont à l'origine du formidable essor de l'art du vitrail au XIVe siècle. La vitrerie incolore, rehaussée de motifs en grisaille, permet la diffusion d'une lumière tamisée, qui met en valeur les délicates moulurations de l'architecture. Grâce au jaune d'argent, teinture composée de sels d'argent et d'ocre, on obtient une gamme colorée extrêmement variée et lumineuse. L'une et l'autre permettent de peindre le verre, qui se trouve libéré de la contrainte de la coupe. Les pièces deviennent plus grandes, le geste de l'artiste rejoint celui du peintre dans la délicatesse du modelé, le graphisme gracieux et les couleurs nuancées. En France, le premier exemple daté de l'utilisation du jaune d'argent se trouve à Mesnil-Villeman (Manche), et les grands ensembles de vitrerie à retenir sont, sans conteste, ceux de Saint-Ouen de Rouen, de la cathédrale d'Évreux et de l'abbaye de Fécamp.

Au XVe siècle, la qualité technique s'affine et atteint son plein épanouissement. Le vitrail se rapproche de la peinture, avec une pointe de préciosité. Les peintres-verriers sortent de l'anonymat, tels André Robin, peintre du roi René d'Anjou, auquel on doit les roses de la cathédrale d'Angers, ou encore Arnoult de Nimègue, qui travaille à Tournai puis à Rouen. L'un des plus beaux témoins de l'époque est le vitrail donné par Jacques Cœur à la cathédrale de Bourges (vers 1450).

Enfin, le XVIe siècle connaît le triomphe et le déclin du vitrail. Triomphe par l'association de deux influences, celle de la peinture italienne, qui accroît luminosité, verve luxueuse et répertoire décoratif inédit, et celle des estampes du Nord et de l'Est, qui transparaît dans les grandes compositions. Des artistes d'envergure signent leurs œuvres : Engrand le Prince, Nicolas et Jean de Beauvais, Jean Lecuyer à Bourges ; l'école troyenne reçoit de Dominique Florentin et Jean Soudain une solide réputation. Mais, dans la seconde moitié du siècle, s'amorce un déclin, qui s'aggrave dramatiquement durant les deux siècles suivants. Causes économiques et choix esthétiques se conjuguent, la mode change, l'architecture classique requiert une lumière blanche et indivise. Certaines productions sauvent malgré tout l'honneur : à Paris, les verrières de Saint-Étienne-du-Mont et de Saint-Eustache, et à Troyes, le Pressoir mystique, de Linard Gonthier.

Après la Révolution, le vitrail renaît mais son expression se confond avec l'imitation d'un patrimoine perdu. Les deux courants - vitrail-tableau de la manufacture de Sèvres (Chapelle royale de Dreux, 1844), et vitrail dit « archéologique » (celui que toutes les églises de France adoptent alors) - coupent l'art du vitrail de l'art vivant. C'est du vitrail civil que viendra l'impulsion qui le sortira de l'impasse.

Le vitrail civil.

• Dès le XVe siècle, les peintres-verriers, dont la profession était alors bien considérée, participaient à des réalisations civiles : châteaux, édifices communaux, hôtels de ville. Le XVIe siècle connut une vogue de petits panneaux héraldiques importée des Flandres. Pourtant, c'est aux XIXe et XXe siècles que le vitrail civil prend véritablement de l'importance, en particulier à partir des Expositions universelles. En 1884, le Printemps (Musée des arts décoratifs, à Paris), d'Eugène Grasset, marque un jalon décisif. La technique, entièrement nouvelle, exploite les possibilités infinies du verre : verres imprimés, motifs en relief, superposition, gravure... Dans l'entre-deux-guerres, elle ira encore plus loin, utilisant miroir et verre noir, sur lesquels une gamme de couleurs aux tons neutres, gris et beige, épure les reflets lumineux. Un art nouveau naît. Les noms d'artistes sont trop nombreux pour que l'on puisse les citer tous (Gaudí, Guimard...) ; pourtant, l'iconographie, très académique et décorative, freine encore l'envol. Il faut attendre les lendemains de la Seconde Guerre mondiale pour qu'enfin le vitrail retrouve ses titres artistiques, grâce notamment à deux techniques nouvelles : la dalle de verre, dont les jeux de couleurs abstraits répondent à la structure de l'architecture en béton, et la pâte de verre, qui permet de grandes compositions figuratives. Mais c'est surtout la liberté avec laquelle les artistes usent de techniques variées, telles que gravures, collages, résines, thermoformage, et d'associations de matières inattendues (pierre, métal...), qui redonne à la création une ardeur décisive. Bazaine, Manessier, Chagall et Matisse en sont les pionniers. Aujourd'hui, les tendances de l'architecture, qui intègre lumière, environnement et nature, contribuent à un dynamisme nouveau de l'art du vitrail dans la construction civile comme dans les édifices religieux. Le vitrail gagne les lieux les plus variés - usines, halls, musées, églises anciennes à restaurer -, et bénéficie de découvertes techniques incessantes. Ses principaux représentants sont Gabriel Loire, qui a exporté ses harmonies lumineuses jusqu'aux États-Unis et au Japon (la Tour des enfants, Musée d'art moderne de Tokyo), Charles Marcq, qui a travaillé à la Fondation Cziffra à Senlis, Manessier, Soulages, Garouste, Jean-Pierre Raynaud, Marc Couturier... Un élan créateur résolument contemporain naît, le vitrail a encore une longue vie devant lui.