Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Juifs (suite)

En Algérie, après la conquête française, sont mises en place pour les Juifs (de 15 à 16 000 personnes) des structures comparables à celles de la métropole : trois consistoires sont rattachés à un consistoire autonome d'Algérie, puis, en 1862, au Consistoire central. La population juive croît très rapidement et se voit accorder la nationalité française par le décret Crémieux (1870).

Simultanément se développent des formes de solidarité entre les Juifs de France et les communautés des autres pays, dont témoigne la création de l'Alliance israélite universelle (AIU) en 1860. S'étant fixé pour objectif de défendre la condition des Juifs dans le monde entier, l'AIU se lance d'emblée dans une vaste action éducative destinée à toutes les régions du pourtour méditerranéen.

Entre 1880 et 1925, quelque 100 000 Juifs d'Europe centrale et orientale arrivent en France. La majorité d'entre eux s'installe à Paris, où se constitue une classe ouvrière juive. Ils parlent le yiddish, sont attachés aux traditions et ont parfois acquis une expérience révolutionnaire dans leur pays d'origine. Ils créent leurs propres journaux, leurs associations culturelles (un théâtre yiddish, en 1907), leurs sociétés de secours mutuel (les landsmanshaften) et, après la loi de séparation de l'Église et de l'État en 1905, leurs propres oratoires. Ils se rattachent à différents courants idéologiques radicaux (socialistes, bundistes, anarchistes, socialistes-révolutionnaires), et c'est parmi eux que la nouvelle Fédération sioniste de France, créée en 1901, recrute ses sympathisants. De nombreux artistes, peintres et sculpteurs juifs s'installent également à Paris au début du XXe siècle, contribuant à la renommée de l'école de Paris (Sonia Delaunay, Amadeo Modigliani, Chaïm Soutine, Marc Chaghall, Jacques Lipchitz, etc.).

Après 1909 et surtout 1911-1912, plus de 4 500 Juifs levantins, francophones de rite séfarade, s'établissent dans le département de la Seine, où ils créent leurs propres institutions et, notamment, l'Association cultuelle orientale de Paris, en 1909. Le monopole du Consistoire central est brisé (l'Union libérale israélite est créée en 1907), mais ce dernier n'en reste pas moins le représentant reconnu du judaïsme de France auprès des autorités.

À la fin du XIXe siècle, au moment de l'affaire Dreyfus, la France connaît une flambée d'antisémitisme. Les Juifs qui se joignent aux dreyfusards le font en invoquant les intérêts de la France et des valeurs républicaines, à l'exception de Bernard Lazare (1865-1903), dont l'engagement en tant que Juif est fondé sur des convictions socialistes antérieures. Pendant cette période troublée, le Consistoire central s'interdit toute manifestation contre l'antisémitisme. De cette épreuve morale décisive, les Juifs de France ont surtout retenu l'heureux dénouement.

La participation massive des Juifs, français et étrangers, à la Première Guerre mondiale provoque un reflux de l'antisémitisme. En 1917, Maurice Barrès accorde une place aux Juifs dans les Diverses Familles spirituelles de la France 1918, du fait du retour de l'Alsace-Lorraine à la France, la population juive compte 150 000 personnes. Ce chiffre double dans l'entre-deux-guerres avec les nouvelles vagues d'émigration, venues pour l'essentiel d'Europe orientale et centrale. Il s'agit d'une population très hétérogène sur le plan idéologique, composée dans sa majorité de petits artisans, qui ont en commun de ne pas limiter aux domaines philanthropiques et religieux leur conception de l'action collective juive. Ils se font naturaliser en masse lorsque la loi d'août 1927 le leur permet, et leurs enfants fréquentent l'école française.

Très politisés, les milieux immigrés développent également une intense activité culturelle. Deux quotidiens d'expression yiddish (Parizer Haynt, sioniste, et Naïe Presse, communiste) tirent à plusieurs milliers d'exemplaires, tandis que la Terre retrouvée représente le courant sioniste - minoritaire et divisé dans le milieu israélite français, mais dynamique dans les cercles de l'immigration. Des mouvements de jeunesse, et notamment les Éclaireurs israélites de France (EIF, créé en 1923), plaident pour une vision plurielle de l'identité juive.

Dans l'immédiat avant-guerre, tandis qu'un antisémitisme xénophobe se développe en France, seule la Ligue internationale contre l'antisémitisme (LICA, fondée en 1928 par Bernard Lecache) se manifeste publiquement, tandis que les institutions de la communauté s'organisent discrètement pour accueillir les réfugiés d'Allemagne et d'Autriche fuyant le nazisme.

La défaite, l'occupation par les Allemands d'une partie de la France et la double politique antisémite appliquée par l'occupant et par le gouvernement de Vichy bouleversent la situation des Juifs. Marginalisés par les nouveaux statuts, menacés d'internement, notamment à Drancy, ils sont raflés (rafle du Vel'd'hiv', les 16 et 17 juillet 1942), puis déportés dans les camps d'extermination. Au cours de ces quatre années, les Juifs ont d'abord fui massivement le Nord occupé pour le Sud, puis sont allés des villes vers les campagnes pour tenter d'échapper au sort qui leur était réservé. Le Consistoire central opte pour une politique de légalité absolue, tout en protestant contre chacune des mesures de ségrégation ou de spoliation. Toutes les organisations juives, reconstituées en zone non occupée, centrent leurs efforts sur l'assistance à une population en voie de paupérisation. Elles sont regroupées, par une loi de l'État français du 29 novembre 1941, au sein de l'Union générale des israélites de France (UGIF) et soumises au contrôle du Commissariat général aux questions juives. L'UGIF porte secours à des milliers de Juifs ; sous son aile, certaines organisations mettent en place des réseaux de sauvetage illégaux, notamment d'enfants (l'Organisation de secours aux enfants - OSE -, les EIF, le Mouvement de jeunesse sioniste). Cependant, des Juifs sont aussi victimes de rafles dans les bureaux de l'UGIF, dont les dirigeants sont déportés avec leurs familles.