Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Francs. (suite)

C'est pourtant sur le continent que l'expansion franque fut la plus décisive, prenant, dans les années 260-280, un tour nettement menaçant. Francs et Alamans conduisirent alors des raids à l'intérieur de la Gaule, qui contribuent peut-être à expliquer le nombre important de trésors monétaires enfouis à cette époque. En revanche, à partir du IVe siècle, de nombreux Francs passèrent au service de Rome : soit que, prisonniers de guerre, ils aient été installés en tant que lètes (laeti) à l'intérieur de l'Empire pour remettre en culture des terres à l'abandon (ainsi ceux que Constance Ier Chlore fixa dans les régions d'Amiens ou de Bavay) ; soit qu'ils aient été intégrés aux troupes auxiliaires de l'Empire. Fait étonnant, récompense peut-être de leur aptitude à la guerre, plusieurs de leurs chefs gravirent les échelons du commandement militaire romain, au point qu'à la fin du IVe siècle certains, tels Mérobaude (377), Richomer (384), Bauto (385) ou Arbogast (392), furent promus consuls ou maîtres de la milice. Ils devinrent même parfois de proches conseillers des empereurs, voire, comme le dernier cité, des « faiseurs d'empereurs ».

Tandis que ces quelques brillantes individualités, ralliées aux valeurs de la romanité, recevaient les honneurs de l'historiographie officielle, les sources écrites restent quasiment muettes sur la façon dont la masse du peuple franc s'est peu à peu infiltrée à l'intérieur de l'Empire, pénétrant dans la Gaule septentrionale, au nord de la route stratégique Cologne-Bavay-Boulogne sur laquelle Rome avait des difficultés à maintenir son contrôle depuis la fin du IIIe siècle. Il semble que certains groupes agirent avec l'aval du pouvoir romain (on conserve la trace d'un traité conclu en ce sens avec le chef Gennobaude en 287-288). Mais il est vraisemblable que la plupart des Francs s'y risquèrent sans autorisation, à l'image de ces Saliens qui s'installèrent en Toxandrie (Brabant septentrional) et que Julien voulut chasser en 358. Dans ce cas comme dans d'autres, l'Empire finit par se résoudre à conclure avec les chefs francs des traités de fédération, qui concédaient de la terre ou des revenus aux nouveaux arrivés pourvu qu'ils acceptent désormais de combattre pour Rome.

Plus que les sources écrites, ce sont - en dépit de toutes les controverses qu'elles nourrissent - l'archéologie et la linguistique qui permettent le mieux d'apprécier l'importance spatiale et culturelle de l'infiltration franque en Gaule du Nord dans les deux derniers siècles de l'Empire. En effet, entre le milieu du IVe et la fin du Ve siècle se multiplient, depuis la basse vallée du Rhin jusqu'à la Picardie septentrionale, les tombes réputées « germaniques ». Parfois alignées dans des cimetières à rangées d'inhumations (Reihengräberfelder), elles se caractérisent par la présence de boucles de ceinture et d'armes dans les sépultures masculines (notamment javelots ou angons, épées longues, haches de jet), et par des éléments de parure dans les sépultures féminines (colliers de perles et, surtout, fibules, « en trompette » ou « en arbalète », souvent portées par paires). Contrairement à une idée admise, ces rites funéraires n'ont pas été importés de Germanie transrhénane, où a longtemps prévalu, singulièrement au nord, la pratique de l'incinération, et où les cimetières à rangées ne sont apparus que plus tard, par diffusion du modèle né en Gaule. Ils expriment plutôt l'adaptation de nouveaux venus barbares à la tradition romaine de l'inhumation dans des nécropoles organisées à l'extérieur des lieux de garnison ou d'habitation.

Mais ces Barbares étaient-ils bien des Francs ? C'est ce que suggèrent certaines données linguistiques. En effet, dès les premiers siècles médiévaux, se dessine une nouvelle frontière linguistique, depuis le Boulonnais jusqu'au Rhin moyen en passant, approximativement, par Lille et Aix-la-Chapelle. Au nord de cette limite, la toponymie garde trace d'une profusion de noms de lieux d'origine germanique, par exemple les noms en -hem ou en -inghem, encore très nombreux dans le nord de la France ; en outre, dans une zone certes réduite au nord de la Belgique et aux Pays-Bas, on parle aujourd'hui le néerlandais, directement issu de l'ancien francique. Ces éléments confirmeraient la présence désormais majoritaire d'une population germanique à forte dominante franque.

Les Francs à l'avènement de Clovis.

• Dans la seconde moitié du Ve siècle, les Francs installés dans le nord de la Gaule obéissaient donc à des royautés dont la plupart avaient mis leurs troupes au service de Rome. Ils vivaient selon leurs propres coutumes, transmises oralement, avant que, première de toutes, la loi des Saliens, ou Pactis legis salicae, fût mise par écrit au début du VIe siècle. Le roi, élu par acclamation des guerriers et choisi de préférence dans la lignée du roi mort, était avant tout chef de guerre, mais il était aussi le garant du respect des coutumes et le gardien de la religion héritée des ancêtres. Il se singularisait par une longue chevelure, signe de sa force et symbole de son Mund, c'est-à-dire d'une autorité charismatique volontiers considérée comme héréditaire - Grégoire de Tours parle encore au VIe siècle des reges criniti, ou rois chevelus. Les deux royautés qui, à la fin du Ve siècle, dominaient toutes les autres - les Saliens, basés dans la moyenne vallée de l'Escaut, et les Rhénans, établis autour de Cologne -, avaient chacune bâti leur autorité et leur prestige aussi bien sur des coups de main contre Rome que sur des hauts faits accomplis au service de Rome. Ainsi, dans la première moitié du Ve siècle, les Rhénans dévastèrent-ils à quatre reprises Trèves, récente capitale impériale, et sa région. Quant au Salien Childéric, père de Clovis et premier « Mérovingien » à sortir de la pénombre de l'histoire, il combattit dans les années 460-470 aux côtés des Romains jusque sur les bords de la Loire ou du haut Rhin, contre les Wisigoths, les Alamans et les Saxons.

Or, ce roi mourut vers 481-482, cinq ans au moins après la déposition du dernier empereur romain d'Occident. Sa tombe, découverte à Tournai en 1653, et son environnement immédiat, fouillé dans les années 1980, montrent bien l'ambivalence de la royauté franque à la fin du Ve siècle. Car Childéric était assurément un roi barbare ; non seulement il fut enterré avec un armement et des bijoux typiques d'une Germanie profonde influencée par l'art des peuples des steppes, mais de nombreux jeunes étalons furent sacrifiés à l'occasion de ses funérailles. Pourtant, il était aussi un général romain : on a retrouvé sur sa poitrine la fibule cruciforme en or, insigne des officiers supérieurs d'un Empire devenu chrétien, et à son doigt un sceau où on le voit revêtu de l'uniforme d'apparat des généraux romains. C'est cette ambivalence que Childéric transmit à son fils Clovis. Fort de la puissance de son armée, mais aussi soucieux de collaborer avec les évêques, derniers représentants de la romanité en Occident, Clovis allait réussir, d'une part à forger autour de lui l'unité de tous les Francs, d'autre part à amorcer le processus d'unification de la Gaule - barbare aussi bien que romaine - sous son autorité et celle de ses héritiers. C'est à ceux-ci qu'il appartiendra, après avoir parachevé sa conquête, de transformer la Gallia en Francia.