Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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musulmans.

Au nombre de plus de 3 millions en 1997, les musulmans constituent la deuxième communauté religieuse du pays, devançant les protestants et les juifs.

Celle-ci est, pour l'essentiel, présente depuis moins d'un siècle, mais l'histoire des rapports entre la France et l'Islam pèse encore sur son acceptation par la société française.

Le premier contact des musulmans avec l'espace français date du VIIIe siècle. Les Arabo-Musulmans venus d'Espagne conquièrent un temps le Languedoc et effectuent des raids jusqu'au Poitou (bataille de Poitiers, en 732). Au IXe siècle, ils sont présents en Provence. De petits groupes de musulmans se mêlent donc à la population française, comme le feront dans le sud du pays, au XVIIe siècle, des morisques réfugiés d'Espagne. À l'instar de toute l'Europe chrétienne, la France rejette cependant la civilisation et la culture musulmanes, fort mal connues.

Une implantation progressive.

• Au XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières, notamment Voltaire, ne montrent guère plus de sympathie pour cette religion considérée comme rétrograde, même si l'expédition de Bonaparte en Égypte (1798) témoigne d'une volonté de contacts et d'échanges. La colonisation va placer de nombreux musulmans sous la domination française, notamment en Algérie, après 1830. La France, perçue comme « infidèle », contrôle étroitement le clergé musulman, les mosquées et le pèlerinage à La Mecque. La population musulmane d'Algérie ne peut garder ses lois et ses coutumes (statut coranique) qu'en demeurant hors de la citoyenneté française et dans un état d'infériorité juridique. En revanche, il y a très peu de musulmans sur le sol français au XIXe siècle, malgré quelques cas de conversion individuelle, dont Philippe Grenier, député en 1896.

La situation évolue considérablement au début du XXe siècle, avec, pour la première fois, une arrivée massive de musulmans. Ce sont des travailleurs immigrés nord-africains, essentiellement des Algériens chassés de leur pays par la misère et les expropriations. La guerre accélère le mouvement : 130 000 Maghrébins sont recrutés dans les usines et les fermes, et 170 000 combattent au front ; s'y ajoutent les tirailleurs sénégalais musulmans. L'État fait venir pour eux des imams, et l'armée construit même des mosquées démontables. La création d'une mosquée est subventionnée à Paris (1920-1926), en hommage à leurs morts, et malgré la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905. En 1924, la France compte environ 120 000 musulmans : ils restent très liés à leurs pays d'origine, formant un vivier de militants nationalistes, tel Messali Hadj.

Après 1945, une nouvelle étape est franchie. Les tardives réformes en Algérie donnent la nationalité française aux Algériens musulmans, tandis que la guerre d'Algérie et la décolonisation ravivent les sentiments hostiles aux musulmans en France. Pourtant, après 1962, arrivent en nombre des supplétifs musulmans de l'armée française d'Algérie (les harkis), des immigrés nord-africains - Algériens d'abord, Marocains et Tunisiens ensuite -, puis d'autres en provenance de différents pays. Ce sont surtout des adultes, des travailleurs célibataires ; ils sont peu « visibles » et vivent leur foi dans la discrétion (salles de prière exiguës et peu nombreuses). Au cours de cette période, on note peu d'attitudes de rejet, d'autant que l'Église catholique prône la tolérance religieuse. Après 1975, l'arrêt de l'immigration massive s'accompagne d'une diversification des origines des nouveaux arrivants (Noirs africains, Turcs et Proche-Orientaux, Indo-Pakistanais, etc.) et du regroupement familial. C'est une période où apparaît avec plus d'évidence le contraste entre la culture musulmane (absence de tradition individualiste, place des femmes) et le modèle républicain et laïc. Ce hiatus suscite alors un regain de racisme envers les immigrés et les musulmans. Mais la jeunesse, souvent de nationalité française, s'organise en associations laïques, et se sent relativement peu concernée par la religion.

Une reconnaissance difficile.

• À la fin des années 1980 et au début des années 1990, les communautés musulmanes se sont stabilisées. Elles sont assez homogènes socialement (80 % d'ouvriers) et géographiquement (60 % sur l'axe Paris-Lyon-Marseille), mais très différentes quant à leurs origines et à leurs pratiques religieuses : 1,5 millions de Maghrébins, 500 000 harkis et leurs familles ; et autant d'autres musulmans de nationalité française (les « beurs »). À ces populations s'ajoutent près de 200 000 Turcs, autant de Proche-Orientaux et de ressortissants non arabes d'Asie (Indo-Pakistanais, Tamouls, Iraniens, etc.), 170 000 Noirs africains, et quelque 35 000 autochtones convertis. Ces communautés vivent diversement leur islam, mais les enfants réclament tous le respect et la « visibilité ». Or, il y a en France très peu de lieux de culte (moins de 1 500 en 2001, dont seulement une dizaine de mosquées de plus de 1 000 places).

Cette demande de reconnaissance s'accompagne de l'islamisation, sur le modèle fondamentaliste, d'une minorité de la jeunesse qui s'intègre plus mal, du fait de la crise et de la xénophobie grandissante. Les heurts se multiplient. En août 1989, un maire fait détruire une salle de prière musulmane à Charvieu-Chavagneux, dans l'Isère ; en octobre, des élèves portant le « foulard islamique » se voient refuser l'accès d'un collège de l'Oise. Contrairement aux pays d'Europe du Nord, la République française refuserait-elle l'islam ? En fait, des signes positifs apparaissent. L'État tente de susciter l'organisation de la communauté musulmane : un Conseil de réflexion sur l'islam en France (CORIF) fonctionne un temps (1990-1993). Ces efforts aboutissent en 2002 à l'instauration d'un Conseil national du culte musulman. En 1991, les carrés musulmans sont généralisés dans les cimetières, et les militaires musulmans peuvent obtenir un régime alimentaire conforme aux prescriptions du Coran. En 1992, pour la première fois, un Français, Dalil Boubakeur, devient recteur de la Mosquée de Paris, et trois instituts de formation d'imams français sont créés (95 % des imams en France sont encore de nationalité étrangère). La Grande Mosquée de Lyon est inaugurée en septembre 1994. Le pourcentage de pratiquants reste pourtant très bas : 8 % assistent à la prière du vendredi (mais 70 % font le ramadan). Toutes les études montrent que l'islamisme touche peu les musulmans français. Nombre d'entre eux pratiquent un islam traditionnel et privé, et beaucoup s'acheminent discrètement vers la sécularisation. Les mariages mixtes sont d'ailleurs très nombreux, et les sondages indiquent que les jeunes d'origine musulmane connaissent mal leur religion. Avec les craintes que suscitent les intégrismes, un amalgame confus peut être effectué dans l'opinion publique entre musulmans et islamisme politique. Les musulmans de France exigent d'abord respect et compréhension. Seuls quelques-uns le font dans la révolte ; la grande majorité demande seulement que finissent les siècles de méfiance et de rejet.