Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Perdiguier (Agricol),

homme politique (Morières-lès-Avignon 1805 - Paris 1875).

Compagnon menuisier du Devoir de liberté, sous le nom, très évocateur, d'« Avignonnais la Vertu », cet autodidacte assoiffé de culture s'attache à mettre fin aux déchirements internes du compagnonnage. Son action lui attire la sympathie d'intellectuels comme George Sand. Il est élu député de Paris en 1848 à la Constituante, et en 1849 à la Législative : son rôle parlementaire y est assez effacé ; mais il siège dans les rangs de la Montagne, ce qui lui vaut d'être proscrit en 1852. Son principal ouvrage, les Mémoires d'un compagnon, paru en 1854, est un témoignage inégalé sur la vie de l'élite artisanale. Incarnation d'un certain esprit de 1848, fidèle à la tradition démocratique héritée de la Révolution, Perdiguier rejette les idéologies nouvelles, et notamment le fédéralisme de Proudhon ; d'où son hostilité à la Commune.

Dès lors, il fut délibérément oublié dans l'histoire du mouvement ouvrier et fut même l'objet d'une tentative de récupération par le régime de Vichy. Ce « vertueux » fut ainsi victime de son souci de répondre aux difficultés de l'heure par un retour aux valeurs qu'il prêtait aux traditions du compagnonnage. Il ne fut pas l'homme de la révolution industrielle et de ses problèmes sociaux, qui ne concernaient qu'une petite minorité du peuple de son temps.

Père Duchêne (ou Duchesne),

personnage imaginaire parisien, apparu au XVIIIe siècle, et porte-voix burlesque du petit peuple ; figure populaire éminente dans les premières années de la Révolution.

L'origine du Père Duchêne demeure obscure mais sa présence dans les « parades » (courtes pièces de théâtre) de la foire Saint-Germain, au début du XVIIIe siècle, en fait une possible riposte des acteurs forains aux arrêts du parlement de Paris qui leur interdisent de jouer les pièces de la Comédie-Italienne et les scènes dialoguées. C'est ainsi qu'apparaît, sur les tréteaux de la foire, un acteur central - probablement le Père Duchêne - qui monologue, traduisant en français et commentant pour le public le « jargon » des acteurs puis, ceux-ci étant contraints de se taire, les textes des pancartes qu'ils brandissent. Cette figure médiatrice, sorte d'Arlequin, atteint la renommée en s'installant sur les boulevards dans la seconde moitié du siècle et obtient un franc succès lorsqu'il quitte la farce pour la pièce théâtrale le Voyage du Père Duchêne à Versailles (1788).

Pendant la Révolution, il devient le plus populaire des personnages imaginaires et prête son nom à maints pamphlets et journaux, dans lesquels il monologue ou dialogue dans un langage cru. Le Père Duchêne campé en marchand de fourneaux et dépositaire du bon sens populaire est ainsi utilisé par des publications de droite ou de gauche, depuis Je m'en contrefous, ou Pensées du Père Duchêne sur les affaires d'État jusqu'aux fameuses Lettres bougrement patriotiques du Père Duchêne de Lemaire. Mais ses plus célèbres « grandes joies » et surtout « grandes colères » se lisent dans Je suis le véritable Père Duchesne, foutre, journal créé en 1790, très influent après la chute de la monarchie (août 1792), et qui disparaît en 1794, en même temps que son fondateur, Jacques Hébert.

Péréfixe (Hardouin de Beaumont de),

archevêque de Paris (Beaumont, Poitou, 1605 - Paris 1671).

Protégé par Richelieu, Péréfixe, qui est docteur en théologie, se fait connaître comme prédicateur. Choisi comme précepteur du futur Louis XIV, il donne à son élève une solide culture historique et publie en 1647 une Institution du Prince. En récompense, il est fait évêque de Rodez (1649), et c'est à lui que pense le roi lorsqu'il cherche un archevêque pour Paris qui lui soit docile afin de mater le jansénisme. Nommé en mars 1664, Péréfixe veut imposer aux clercs de son diocèse la signature du Formulaire, texte qui condamne comme hérétiques cinq propositions attribuées à Jansénius. Le 9 juin, en visite canonique à Port-Royal de Paris, il exige - en vain - des religieuses au moins une acceptation disciplinaire du Formulaire (baptisée « foi ecclésiastique »). Le 21 août, une nouvelle visite se solde de nouveau par un échec. Condescendant (il traite l'abbesse Madeleine de Sainte-Agnès de « petite pimbêche » et de « petite sotte »), l'archevêque en vient à la force : le 26 août, il fait investir le monastère par le guet et disperser douze religieuses. L'année suivante, Péréfixe vide l'abcès parisien en envoyant les « obstinées » à Port-Royal-des-Champs.

Imbu de son autorité épiscopale, décidé à complaire au roi, Péréfixe, par ailleurs administrateur efficace, ne sut pas réduire à l'obéissance celles qu'il jugeait « pures comme des anges et orgueilleuses comme Lucifer ».

Pereire

banquiers et hommes d'affaires (Jacob Émile : Bordeaux 1802 - Paris 1875 ; Isaac : Bordeaux 1806 - Armainvilliers 1880).

Les deux frères Pereire, issus d'une famille juive espagnole installée à Bordeaux au XVIIIe siècle, se forment tôt aux techniques bancaires, l'aîné comme courtier de change, le cadet comme comptable. Montés à Paris, ils s'associent au mouvement saint-simonien, qui offre un cadre doctrinal à leurs entreprises et guide leur réflexion sur la circulation des richesses et du crédit. Ils collaborent alors au Globe et au National, qui propagent les idées de Prosper Enfantin, l'un des hérauts du saint-simonisme. Dès les années 1830, soutenus par James de Rothschild, ils financent le chemin de fer reliant Paris à Saint-Germain-en-Laye, participent à la construction des lignes du Nord, administrent la première compagnie de Lyon. En 1852, ils obtiennent la concession du Chemin de fer du Midi (de Bordeaux à Sète) et l'exploitation du canal latéral.

L'essor de leurs affaires date véritablement du Second Empire : les Pereire saisissent aussitôt les possibilités offertes par le nouveau pouvoir, flattant les conceptions saint-simoniennes de Napoléon III. Ils se brouillent alors avec James de Rothschild, plus réservé sur la nature et les projets financiers du nouveau régime. Avec le soutien de l'empereur, Jacob Émile et Isaac créent le Crédit mobilier (1852), banque d'investissement destinée à drainer l'épargne populaire afin de financer les entreprises en charge de travaux d'infrastructure. La banque accorde aides et avances aux sociétés industrielles, multipliant les projets, en France (Compagnie générale transatlantique, Compagnie immobilière à Paris) comme à l'étranger (chemins de fer autrichiens et russes, Crédits mobiliers espagnol et italien ou Banque ottomane).