Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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souveraineté nationale. (suite)

La dynamique de 1789.

• Elle suit un mouvement triple. La révolution juridique du 17 juin 1789 constitue le tiers état en représentation nationale : l'Assemblée nationale, qui se réclame de la volonté du peuple, ne reconnaît que des individus égaux en lieu et place des ordres hiérarchisés. La prise de la Bastille, le 14 juillet, fonde la souveraineté populaire : le peuple est devenu un acteur capable de défendre l'Assemblée et d'abattre le symbole du despotisme. Enfin, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août affirme, conjointement, que « la loi est l'expression de la volonté générale » et que « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants à sa formation », que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » et que « nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément ». La Déclaration distingue ainsi le principe et l'exercice de la souveraineté mais ne présuppose pas que cet exercice soit du seul ressort des représentants de la nation. La place du roi et celle du peuple restent indéfinies. Or les constituants, s'ils découvrent avec étonnement le rôle primordial joué par le peuple pour rendre effectif ce transfert de souveraineté, ne souhaitent pas pour autant lui reconnaître une activité souveraine constante. Un conflit entre une conception donnant la puissance souveraine à des représentants et une conception qui fait de ceux-ci les simples dépositaires de la souveraineté populaire travaille en permanence le débat et le mouvement révolutionnaires.

Les fondements théoriques de la souveraineté nationale.

• L'avènement de la représentation nationale doit beaucoup à la critique du despotisme ministériel par les magistrats des parlements et au pamphlet de l'abbé Sieyès Qu'est-ce que le tiers état ? Les premiers ont mis à l'honneur un discours selon lequel la souveraineté émane historiquement du corps de la nation et ne peut être exercée que dans un rapport contractuel respecté grâce à l'intervention de représentants, qui ne sont autres que les parlementaires. À ce titre, l'exigence de la tenue d'états généraux donne corps à la volonté nationale. Sieyès, en dotant le Tiers, devenu la nation, de la souveraineté immédiate définie par la théorie rousseauiste, en affirmant que la volonté nationale est une réalité toujours légale, fait advenir une souveraineté léguée par la modernité - une, indivisible, inaliénable, imprescriptible -, où ce n'est plus le roi qui unifie les intérêts divergents : c'est l'Assemblée nationale qui produit une volonté unitaire, par la délibération.

La souveraineté populaire.

• La prise de la Bastille affirme de facto que le souverain est le peuple agissant, armé pour défendre sa volonté, peuple justicier qui accomplit des actes punitifs. La réappropriation populaire de la souveraineté s'opère par l'exercice quotidien de la délibération des citoyens dans les assemblées primaires, sections et sociétés politiques. Elle s'opère aussi par le port des armes, la surveillance constante des élus et des fonctionnaires publics, la rédaction d'adresses et de pétitions envoyées à l'Assemblée, et l'affirmation du droit de résistance à l'oppression (ultime recours du peuple souverain s'il était trahi par des mandataires infidèles). La souveraineté populaire, pour garantir son caractère inaliénable, exige une unité du peuple qui résulte de rapports réciproques entre tous les citoyens, responsables chacun vis-à-vis de tous, et donne ainsi forme à l'unité nationale. Celle-ci se conçoit comme responsabilité collective qui engage le peuple souverain à l'égard du genre humain dans son ensemble. La souveraineté nationale en tant que souveraineté populaire est ainsi indissociable d'une « cosmopolitique » qui admet comme légitime la seule guerre de défense.

Les constituants et les législateurs cherchent à poser les limites de cette souveraineté populaire en affirmant qu'aucune section du peuple, aucun individu, ne peut s'attacher l'exercice de la souveraineté. Néanmoins, le droit de résistance à l'oppression puis le devoir d'insurrection sont au fondement de tous les mouvements révolutionnaires qui, au nom du peuple, réaffirment les droits du souverain (10 août 1792, 31 mai et 2 juin 1793, 5 septembre 1793). Lorsqu'en l'an III la Terreur est rejetée, le droit de résistance et le devoir d'insurrection sont refoulés au profit d'une conception essentiellement représentative de la souveraineté, qui sépare l'État administrateur et la société civile administrée. La souveraineté ne serait plus alors que l'expression rationnelle des besoins sociaux.

Staël (Anne Louise Germaine Necker, épouse et baronne de Staël-Holstein, dite Mme de),

écrivain (Paris 1776 - id. 1817).

« Lorsqu'on accuse la philosophie des forfaits de la Révolution, l'on rattache d'indignes actions à de grandes pensées » : Mme de Staël est tout entière dans cette « Conclusion » du De la littérature (1800), où s'affirme son inébranlable foi en l'esprit humain et ses progrès. Ces « grandes pensées », ce sont celles pour lesquelles les Lumières ont combattu : la liberté et le bonheur. Et la fille du banquier-ministre n'aura de cesse de les vivre, au risque d'en éprouver les revers, tant affectivement - ce dont témoignent ses romans Delphine (1802) et Corinne (1807), et sa liaison avec Benjamin Constant - que politiquement (à partir de 1803, elle sera exilée par Napoléon, méfiant envers cette femme qui met la littérature au rang de guide éclairé des peuples). Parcourant l'Europe jusqu'en Russie - errance racontée dans les posthumes Dix années d'exil (1820) -, elle fait de Coppet, son château suisse, un foyer de cosmopolitisme littéraire et de libéralisme idéologique. Si celui-ci lui semble être la conclusion souhaitable d'un processus historique dévoyé par la Terreur (Des circonstances actuelles qui peuvent terminer la Révolution et des principes qui doivent fonder la République en France, 1798), celui-là ne peut qu'initier un mouvement de rupture d'avec un ordre esthétique enferré dans une imitation désormais inadaptée au goût du public révolutionné (De l'Allemagne, saisi par la police impériale en 1810, publié à Londres en 1813). Vingt ans avant les « enfants du siècle », Mme de Staël affirmait que littérature et société avaient partie liée : le romantisme avait trouvé en elle sa première théoricienne.