Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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révoltes populaires. (suite)

Des révélateurs.

• Le glissement des révoltes des campagnes vers les villes, au XIXe siècle, indique bien qu'elles sont un des meilleurs révélateurs de mutations économiques mais aussi sociales et parfois politiques : difficultés du système seigneurial répercutées trop brutalement sur les paysans (jacquerie de 1358) ; augmentation des besoins de l'État au XVIIe siècle, alors que la paysannerie supporte l'essentiel de l'impôt ; mécanisation du capitalisme industriel avec son cortège d'injustices et de misère.

Les révoltes populaires doivent donc se lire dans le long terme, en dépassant la défaite immédiate, qui est le plus souvent totale. Elles expriment, presque toujours, une perception assez consciente d'un rapport de forces et conduisent à terme à des résultats significatifs : il n'est pas abusif d'en faire des régulateurs de la société. Dans quelques cas, la révolte n'est même que la première manifestation d'une révolution, lorsqu'elle s'accompagne de la proposition cohérente d'une société nouvelle : c'est le cas des Communes de 1871, ou des mouvements, initialement très modestes, que sont la prise de la Bastille et la Grande Peur de l'été 1789.

L'évolution des formes de la révolte.

• L'importance du contexte explique aussi l'importance que les historiens accordent aujourd'hui aux aspects culturels de ces révoltes : les formes de la violence, les manifestations festives, les incompréhensions nées des différences culturelles. La réflexion sur l'articulation entre les formes et le fond conduit aussi à percevoir, derrière l'évident recul de la violence, la persistance de « révoltes populaires » jusqu'à notre époque : l'ampleur du mouvement social de décembre 1995 révèle ainsi le même type d'incompréhensions que lors des révoltes populaires anciennes, tout en mettant en évidence des aspects culturels tels l'aspiration à la dignité ou le refus de ce qui est perçu comme un mépris de la part du pouvoir. Ce prolongement indique bien que les révoltes populaires demeurent, malgré les très nombreuses études qui leur ont été consacrées, un terrain en devenir de la recherche historique.

révolution agricole,

expression désignant la mutation de l'agriculture sensible en France au XVIIIe siècle, et accélérée au siècle suivant.

C'est en fait la deuxième révolution agricole, après celle du néolithique au VIIe millénaire avant J.-C., et avant celle de la seconde moitié du XXe siècle, marquée par l'effondrement du nombre des agriculteurs à partir de 1960. Née de l'accumulation et de l'interaction de petits changements, elle contribue à expliquer comment au XVIIIe siècle une population est passée, à frontières égales, de 22 à 26 millions d'habitants, tout en bénéficiant d'un meilleur bilan alimentaire (les famines disparaissent et les disettes sont moins fréquentes).

L'amélioration des techniques culturales et de l'outillage.

• Si les défrichements n'ajoutent pas plus de 4 % de terres - assez médiocres - à la surface cultivée du royaume, si le rendement général des céréales, principale ressource agricole, demeure stable, en revanche progressent le rendement global de la terre et la productivité d'un travail agricole qui occupe alors huit actifs sur dix. On passe de l'assolement biennal à l'assolement triennal, ou mieux - mais plus rarement - au remplacement de la jachère par la rotation continue d'une association culturale de meilleure valeur agronomique : céréales, plantes sarclées, légumineuses fourragères. Sont en effet étendues ou introduites des cultures de sarrasin, maïs (dans le Sud-Ouest), pomme de terre (répandue partout après 1750), carotte, chou, navet, sainfoin, luzerne, trèfle, colza, houblon, betterave sucrière (apparue en 1786 dans le Bassin parisien). L'outillage traditionnel s'améliore lorsque le fer se substitue au bois ; des instruments nouveaux sont mis au point, comme les faneuses, les tarares qui perfectionnent le criblage du grain, ou la faux qui remplace la faucille ; d'autres se mécanisent : houe tractée, batteuses (on en invente en France en 1722, 1766, 1808), surtout, charrue à versoir et semoir, pour un ensemencement mécanique en ligne, et non plus à la volée. La sélection des semences élève dans certaines régions les rendements céréaliers, et celle des reproducteurs accroît le poids des animaux. Le drainage bonifie fonds d'étangs et sols humides ; la quantité disponible d'engrais naturel suit la croissance du cheptel et de la population. Le cheval est davantage employé, qui surclasse le bœuf en vitesse de traction : 0,5 à 0,6 hectare labouré par jour, contre 0,4 auparavant, et 0,8 hectare vers 1790 avec une charrue améliorée (mais 5 hectares vers 1850 avec la traction à vapeur, et 40 avec un équipement moderne de 1990).

Individualisme et agriculture spéculative.

• Ces transformations s'accompagnent de la montée de l'individualisme agraire. Les terrains communaux tendent à être partagés et annexés à des exploitations clôturées, tournées vers le profit commercial (liberté de clore et remembrements sont favorisés en 1762 et 1791) ; leur diminution provoque la prolétarisation ou le départ des trop petits propriétaires. Une agronomie de prosélytes, encouragée par les physiocrates favorables au capitalisme agricole, soutient le mouvement. Elle a ses vulgarisateurs (Duhamel du Monceau, Traité de la culture des terres, 1750-1758) et ses pionniers qui, du fait des modes de diffusion de l'information, des investissements requis, de la capacité à supporter les risques de la nouveauté, sont les grands propriétaires gagnés par l'« agromanie » de la seconde moitié du XVIIIe siècle - parmi les plus connus, les ducs de La Rochefoucauld-Liancourt et de Charost-Béthune. Périodiques et ouvrages assurent la publicité de leurs expériences, connues de quelques grands fermiers, en Île-de-France par exemple, mais recueillies surtout par d'autres propriétaires éclairés dont certains, après 1760, animent les sociétés d'agriculture. Les campagnes périurbaines, les terres limoneuses du Bassin parisien, du Nord ou de la Limagne, les « pays » désenclavés par des réseaux de communication améliorés, sont les plus touchés par la révolution agricole. Le développement des centres de consommation (Paris notamment), la libéralisation des échanges et la hausse des prix agricoles renforcent ou favorisent la création de spécialisations : céréales du pays toulousain, vignobles du Bordelais ou de Charente, bœufs d'Auvergne ou du pays d'Auge ; bois du Morvan, laine des moutons du Languedoc ou garance d'Alsace sont destinées à l'industrie. Cette dernière est liée à la révolution agricole par des effets d'entraînement : l'industrie sidérurgique profite de la hausse de la demande d'outillage, ferrures de chevaux, essieux des charrettes, etc. ; l'essor de l'élevage ovin, une population accrue, mieux nourrie et demandeuse de produits d'habillement, mais insuffisamment employée par une agriculture plus productive, offrent matières premières, débouchés et travail à la production textile, moteur de l'industrialisation.