Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Guerre mondiale (Première). (suite)

À l'arrière, la montée du pacifisme et les grèves ouvrières témoignent de la lassitude des populations, manifeste dès 1916, plus forte en 1917. On a désormais l'impression que la guerre ne finira jamais : « Il faudra bien pourtant s'arrêter un jour, même sans victoire et sans défaite, faute de temps, faute d'argent, faute de vivres, faute de quelque chose. Il y a eu des guerres de Sept Ans, de Trente ans, de Cent ans, mais pas de guerre de toujours » (lettre recopiée par le contrôle postal en 1917). La très forte augmentation des prix, bien supérieure à celle des salaires, les longues heures de travail, les rationnements, usent ouvrières et ouvriers, qui savent bien que les bénéfices industriels sont énormes. Même s'ils n'ont pas accès, du fait de la censure, aux manifestes pacifistes et révolutionnaires des socialistes opposés à l'« union sacrée », qui se sont réunis deux fois en Suisse (Zimmerwald, septembre 1915 ; Kienthal, avril 1916), ils organisent la protestation. Une première vague de grèves a lieu en janvier et au printemps 1917, puis de nouveau en mai 1918. Ces dernières grèves sont plus politiques, plus dures que les précédentes. Mais les ouvriers métallurgistes des usines de guerre, isolés dans une France désormais gouvernée par Georges Clemenceau, ne peuvent faire aboutir leurs revendications plus révolutionnaires.

Depuis 1915, une véritable vie parlementaire avait repris, et le gouvernement avait pu conduire le pays en guerre, non sans tensions avec les autorités militaires. Or, en 1917, quatre ministères se succèdent après plus de trois ans de quasi-stabilité, fait signicatif de l'ampleur de la crise : l'Union sacrée politique est rompue ; socialistes, à gauche, et catholiques, se jugeant victimes d'un anticléricalisme tenace (Denys Cochin), quittent le gouvernement.

La résolution : remobilisation morale.

• À partir de novembre 1917, Georges Clemenceau dirige le pays de main de maître : « En politique intérieure, je fais la guerre ; en politique extérieure, je fais la guerre, je fais toujours la guerre », dira-t-il en mars 1918. C'est pourtant bien une Union sacrée préservée, et même ranimée, qui permet au pays de l'emporter en 1918. Mais comment des hommes et des femmes épuisés se sont-ils remobilisés pour affronter l'année 1918 ? Leur consentement à la guerre était certainement plus fort que le désespoir qu'elle engendrait : certaines grèves dans les usines d'armement, par exemple, s'arrêtaient quand il risquait d'y avoir rupture de stock au front. Le pacifisme, pendant la guerre, ne pouvait accepter le défaitisme et, si certains chefs révolutionnaires avaient pensé organiser des grèves « jusqu'à la paix », ils ne furent pas suivis par la masse des ouvriers. Il faut ajouter que le retournement de la situation militaire à la fin du printemps 1918 y fut pour beaucoup.

Le retour à la guerre de mouvement.

• Au printemps 1918, l'état-major allemand sait bien que son ultime espoir de gagner la guerre est de l'emporter sur le front occidental avant l'arrivée des Américains. En effet, l'étendue des territoires occupés après le traité de Brest-Litovsk avec la Russie bolchévique l'empêche de replier autant de troupes qu'il l'avait espéré pour renforcer le front occidental. En mars 1918, le général Ludendorff réussit à percer le front en Picardie, en Artois, puis en Champagne. Jamais les Allemands n'ont été aussi proches de la victoire. Ils menacent dangereusement Paris, dont ils affolent la population en la bombardant avec des canons à longue portée. Foch est nommé généralissime des armées alliées pour coordonner les contre-offensives. Des armes nouvelles, surtout l'aviation et les chars d'assaut (tanks), viennent donner une impulsion nouvelle à la guerre de mouvement. Or les industries anglaise et française (Renault) sont pionnières dans ce domaine. Pétain disait en 1917 : « J'attends les chars et les Américains. » En 1918, c'est bien ainsi que les Allemands vont échouer, sans renforts techniques suffisants et sans alliés nouveaux pour combler leurs pertes. La formidable mobilisation technique et humaine des États-Unis va donner la victoire au camp de l'Entente, déjà plus fort des ressources des colonies et des dominions. C'est en 1916, et peut-être en 1917, lors de leur offensive sous-marine à outrance destinée à forcer le blocus dont ils étaient les victimes, que les Allemands auraient pu gagner la guerre. Mais c'est probablement parce que les Franco-Britanniques n'ont pas été battus en 1916, malgré ou grâce aux millions de morts de Verdun et de la Somme, qu'ils ont pu l'emporter en 1918.

La paix, après cinquante et un mois de guerre.

• À l'été 1918, les populations et les économies des puissances centrales, usées par le blocus, ne peuvent plus soutenir leurs armées de plus en plus exsangues : les troupes allemandes qui ont percé le front britannique en Picardie s'arrêtent tout simplement pour se nourrir sur les stocks ennemis. Sur les fronts périphériques et à l'est, les forces de l'Entente battent les Ottomans, les Bulgares et les Autrichiens. Sur le front occidental, les Alliés reprennent l'offensive en juillet. Très lentement, ils forcent les Allemands à reculer. Ludendorff informe le Kaiser de la nécessité d'un armistice dès septembre, car il craint l'effondrement de l'armée allemande et une révolution.

C'est probablement parce qu'ils n'ont pas pris la mesure de l'état de désagrégation de l'armée allemande que les Alliés acceptent l'armistice. Guillaume II abdique ; l'armistice est signé le 11 novembre en forêt de Compiègne. Une liesse extraordinaire saisit alors la population française. Si l'Allemagne est vaincue, elle n'est pas occupée et son potentiel économique reste intact. Face à elle, la France est exsangue ; elle va enterrer ses morts, commémorer leur héroïsme par des monuments aux morts érigés dans tout le pays et tenter de « faire payer l'Allemagne ». Persuadés qu'une telle catastrophe ne doit plus jamais se produire, les Français sont devenus des pacifistes résolus. Mais, en exigeant lors du traité de Versailles des clauses territoriales, économiques et morales beaucoup trop dures pour leur ennemie, ils participent au mécanisme de déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. La Grande Guerre, ou guerre de 1914-1918, pourra bientôt s'appeler la Première Guerre mondiale.