Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Révolution française (suite)

Cet épisode célèbre - la date de la prise de la Bastille devient, à partir de 1880, jour de la fête nationale - suscite des controverses : n'y voyant que le siège confus d'une prison quasi déserte, une historiographie a pu le qualifier de « tuerie inutile ». Il est cependant possible de lire dans cette journée l'expression des rancœurs de la population à l'encontre d'un symbole de la toute-puissance du pouvoir et le résultat des antagonismes profonds qui opposaient les groupes sociaux. Face à la noblesse, qui se constitue en caste intransigeante, et au clergé, qui se scinde (le bas clergé étant partisan des réformes), le peuple des villes intervient dans la vie politique en prenant le parti du Tiers. La violence politique n'est donc plus l'apanage du pouvoir royal, qui en perd progressivement le contrôle, d'autant qu'une partie des troupes se solidarise avec le Tiers devenu « assemblée nationale ».

Même s'il ne s'agit pas véritablement encore d'une révolution, la vie quotidienne du pays est brutalement orientée par les nouvelles divisions politiques. Alors que les « patriotes » contrôlent les municipalités et forment des milices, quelques nobles, dont le futur Charles X, quittent le pays, inaugurant une émigration politique durable. Les événements du printemps et de l'été 1789 rencontrent un écho particulier dans les campagnes : se sentant menacés par des « brigands » introuvables, les ruraux s'en prennent aux propriétaires, à leurs châteaux et à leurs titres de propriété, dans une « grande peur » qui témoigne d'attentes ancestrales : moins d'impôts et plus de terres. La vacance du pouvoir a ainsi libéré les demandes les plus contradictoires, émanant de groupes sociaux différents, qui s'expriment sans aucune unité politique. Pour répondre à ces ébranlements et tenter de juguler les mouvements populaires, les députés, dans la nuit du 4 août, décrètent l'abolition des privilèges, alliant le calcul politique à une générosité incontestable et interdisant aux ultraconservateurs d'imposer leurs vues.

D'un seul coup, les rapports sociaux s'en trouvent transformés : le clergé ne peut plus exiger des paysans le paiement de la dîme, les seigneurs perdent leurs droits honorifiques (les droits fonciers étant convertis en rente rachetable), et l'Assemblée décide, en préambule à toute Constitution, de rédiger une Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui est adoptée le 26 août. L'énumération des droits consacre la liberté individuelle, l'égalité civique et la propriété, mais soulève des problèmes redoutables : la loi devient l'expression de la nation, quel que soit le régime de l'État (la Constitution de 1791 entérinera ce principe en donnant au roi le simple titre de « roi des Français ») ; cette nouvelle conception de la souveraineté fait des Français des citoyens sans que l'on sache comment organiser la participation de tous à la vie politique ; la religion catholique perd son statut de religion d'État (la Déclaration est placée « sous les auspices de l'Être suprême »). Cette courte déclaration - elle ne compte qu'un préambule et 17 articles -, élaborée dans des conditions confuses et porteuse de contradictions, oblige donc à repenser les règles communes dans tous les domaines de la vie publique. Est-elle, comme le soutiennent certains, l'expression d'une politique abstraite, prélude à un régime autoritaire et violent, ou est-elle un compromis riche de promesses ? Elle inaugure en tout cas une pratique nationale importante : l'ancrage de tout régime dans une loi fondamentale.

Ce n'est qu'en octobre 1789 que les Français prennent véritablement conscience d'être entrés en révolution lorsque, le 5, une foule de Parisiens et surtout de Parisiennes envahit le château de Versailles et tue quelques soldats. La manifestation, plus ou moins orchestrée, trouve son origine dans le mécontentement des femmes devant la hausse des prix, notamment du pain. Mais l'indignation du peuple rejoint les craintes des patriotes suscitées par le blocage politique et l'hostilité ouverte des aristocrates. Là encore, courants politiques et mouvements populaires s'allient contre le roi et la cour. La violence est une nouvelle fois victorieuse, puisque le roi accepte toutes les mutations politiques et qu'il quitte Versailles pour Paris, avec sa famille. L'Assemblée ayant suivi le roi dans la capitale, l'ensemble des pouvoirs est désormais sous les yeux des Parisiens. À partir de novembre 1789, alors que les réformateurs modérés perdent toute influence - certains quittent même le pays, refusant la violence -, et que les émigrés se regroupent, notamment à Turin, le pays doit trouver un équilibre autour de principes inédits : ces derniers ont été promus à la faveur du vide politique créé par les États généraux, dans une France marquée par de multiples tensions sociales.

Les contradictions de la régénération et l'échec des modérés

Par volonté autant que par nécessité, l'Assemblée nationale constituante s'engage dans un véritable remodelage du royaume. On peut apprécier l'importance de ce processus réformateur avec la question religieuse. Celle-ci constitue une priorité, puisque la nuit du 4 août a supprimé les ressources du clergé, que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen a circonscrit les opinions religieuses au domaine privé, et qu'enfin l'Assemblée s'est approprié les biens de l'Église pour rembourser la dette nationale. Cette dernière décision a une dimension économique (des « assignats » sont émis, portant intérêt à 5 %). En outre, la nation prend à sa charge les dépenses d'éducation et d'assistance, qui incombaient auparavant au clergé, et doit allouer des salaires aux prêtres. L'opportunité politique s'ajoutant à la tradition gallicane, l'Assemblée réorganise l'Église. La Constitution civile du clergé est votée le 12 juillet 1790. Elle harmonise les circonscriptions religieuses (paroisses et évêchés) avec le découpage administratif (communes et départements), introduit la procédure de l'élection pour la désignation des curés et des évêques - comme pour tous les individus chargés d'un service public -, et impose à ces « fonctionnaires » religieux la prestation d'un serment de fidélité « à la loi, au roi et à la nation ». Ces mesures sont moins le fait de la minorité des députés protestants que le résultat des habitudes gallicanes, marquées par l'intervention régulière de l'État dans les affaires ecclésiastiques. Elles témoignent également d'un souci d'organiser le pays selon des principes rationnels, exempts cependant d'une volonté de déchristianisation que dénoncera une historiographie antirévolutionnaire.