Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

chanson de geste,

principale manifestation du genre épique au Moyen Âge.

Ainsi que son nom l'indique, elle se présente comme l'union d'une forme (« chanson ») et d'une thématique (« geste », au sens latin de « faits mémorables », « exploits »). Son sujet de prédilection est la prouesse guerrière accomplie par un héros qui met une force et un courage extraordinaires au service d'une cause qui le dépasse : Dieu, le droit, ou l'honneur familial. Selon une répartition conventionnelle, très manichéenne, les « preux » affrontent les « félons » en une suite de combats qui s'écartent nécessairement de la vraisemblance. C'est que le genre implique aussi le grossissement des effets (« l'exagération épique ») en raison de son mode de diffusion.

De l'oralité à la littérature

• . Les chansons de geste sont psalmodiées par un jongleur, professionnel du spectacle qui s'accompagnait probablement à la vielle et qui doit, sans se soucier de nuances psychologiques ou de réalisme, captiver un auditoire changeant à l'occasion de quelque manifestation publique (assemblée seigneuriale, foire, fête d'un saint patron, etc.). Elles sont divisées en « laisses », groupes de vers homogènes sur le plan du contenu et de l'expression, et unies phoniquement par le retour d'une même « assonance ». À l'instar des chansons populaires, certaines laisses répètent en leur début la fin de la précédente ou reprennent d'une manière à peine différente ce qui vient d'être chanté tandis que d'autres, qui marquent une pause dans la narration, constituent de véritables incantations lyriques (par exemple, en célébrantla mort de grands personnages, tels Roland, Olivier ou Vivien) ; toutes sont émaillées de « formules », facilités mnémotechniques pour le jongleur et points de repère pour le public.

Si les chansons de geste laissent apparaître de nombreuses traces d'oralité, leurs textes comportent diverses marques savantes ; aussi s'est-on beaucoup querellé quant à leur origine. On admet aujourd'hui qu'elles ont pris d'abord la forme d'œuvres orales collectives, nées d'un événement marquant. Peu à peu transformées, de remaniement involontaire en reconstitution consciente, elles se sont enrichies d'une génération à l'autre. Grâce à des circonstances historiques favorables, un auteur cultivé a fini par fixer cette matière mouvante et hétérogène, lui donnant une forme artistique.

Les différents cycles

• . Ainsi, le climat de guerre sainte engendré par la première croisade explique en grande partie l'apparition, vers 1100, de la première chanson de geste française connue et constituée comme telle, la Chanson de Roland, suivie de nombreuses autres, organisées en « cycles » au fil du temps. En effet, le succès d'une œuvre est parfois tel qu'il suscite des textes nouveaux, qui dotent le protagoniste d'aventures originales, développent certains épisodes ou inventent l'histoire de personnages annexes. C'est ainsi que les chansons de geste françaises se répartissent en trois groupes. D'abord, le « cycle du roi », dominé par la figure de Charlemagne et inauguré par la Chanson de Roland : il comprend des œuvres d'époques différentes relatant la jeunesse de Charlemagne (Mainet, XIIe siècle ; Berte au Grand Pied, XIIIe siècle), son âge mûr (le Pèlerinage de Charlemagne, entre 1125 et 1150 ; Aspremont, Fiérabras, Aiquin, XIIe siècle) et sa vieillesse (Huon de Bordeaux, entre 1261 et 1268). Puis le « cycle de Garin de Monglane », construit autour de Guillaume d'Orange, cousin de Charlemagne, qui s'ouvre sur la Chanson de Guillaume (fixée vers 1140) et contient plusieurs chefs-d'œuvre comme le Couronnement de Louis (avant 1150), le Charroi de Nîmes et la Prise d'Orange (milieu du XIIe siècle). Enfin, le « cycle de Doon de Mayence », qui, fort d'une soixantaine de chansons, manque un peu de cohérence et ne comporte que deux grands textes, Raoul de Cambrai (avant 1160) et Renaud de Montauban (fin XIIe-début XIIIe siècle).

Sur le plan de la création, les chansons de geste, en tant que telles, n'auront guère de postérité : c'est plutôt une légende rolandienne diffuse qui inspirera les romantiques français, tels Vigny (« le Cor », Poèmes antiques et modernes) et surtout Hugo (la Légende des siècles).

Chanson de Roland (la),

chanson de geste qui, aux alentours de 1100, marque le véritable début de la littérature française.

La Chanson de Roland s'inspire d'un événement supposé réel. Au printemps 778, Charlemagne répond à l'appel de Sulayman ibn al-Arabi, chef musulman révolté contre l'émir de Cordoue, et assiège vainement Saragosse. Au retour, le 15 août 778, son arrière-garde tombe sous les coups de Basques ou de Gascons avides de butin. Un certain Roland, « comte de la Marche de Bretagne », trouve la mort dans la bataille. Telle est la trame de la Chanson de Roland.

Si l'existence même de ces faits paraît probable, les documents qui permettent de les reconstituer sont à considérer avec prudence. En effet, avant 778, divers textes présentent déjà la même structure : passage de Francs en Espagne à l'appel d'autochtones ; échec devant Saragosse ; départ en échange de présents ; embuscade dans les Pyrénées. Grégoire de Tours et Isidore de Séville, qui narrent l'un et l'autre l'expédition de Childebert et Clotaire (542), adoptent une trame similaire. Peut-être l'histoire se répète-t-elle ; mais sans doute, aussi, les historiographes se copient-ils en faisant varier quelques circonstances pour illustrer les hauts faits d'un souverain. Or, les visées panégyriques des chroniqueurs carolingiens ne laissent guère de doute. Par conséquent, si la Chanson se fonde autant sur une tradition discursive que sur un événement réel, la véritable portée historique du texte est à chercher surtout dans les circonstances de sa composition. D'abord, dans l'atmosphère de guerre sainte engendrée par la première croisade, prêchée en 1095 par Urbain II, et qui explique en grande partie la présentation manichéenne des « païens » et des chrétiens. Ensuite, dans l'idéologie qui s'affirme tout au long du texte, la haine du Sarrasin inspirant et justifiant des valeurs et des rapports de pouvoir typiques de la féodalité.