Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

classicisme. (suite)

Celle-ci peut d'autant plus s'élever au-dessus des contingences politiques et des immanences polémiques - dont témoigne le nombre considérable de traités, pamphlets et libelles publiés jusqu'à la fin de la Fronde, en 1653 - qu'elle revendique, au-delà même de l'absolutisme de droit divin, le service de Dieu. La gloire du roi est à l'image de la gloire de Dieu. Les décisions du concile de Trente (1545-1563) donnent naissance à la Réforme catholique - ou « Contre-Réforme », si l'on veut souligner la confrontation avec le protestantisme. L'universalité religieuse est le principe de l'universalité politique : la raison d'État est une raison divine. Ainsi s'explique que l'œuvre religieuse soit à la fois spirituelle et administrative : saint Vincent de Paul et les Filles de la Charité, saint François de Sales et les Visitandines, Jean-Jacques Olier et la Compagnie des Prêtres de Saint-Sulpice. L'augustinisme des jansénistes sera condamné comme erreur politique et non comme faute religieuse. Il en ira de même des jésuites ou de la tentation mystique lors de la querelle du quiétisme. La religion classique est une religion d'État. Ce statut n'interdit pas, au contraire, la violence des confrontations théoriques. En ce sens, le « libertinage d'idées », avec La Mothe Le Vayer, Naudé, Théophile de Viau, Patin, Cyrano de Bergerac, Saint-Évremond, représente un contrepoint exemplaire du classicisme. Son rôle, dans la théorie littéraire, la formation et l'expression du goût, l'animation de la vie sociale à la cour aussi bien qu'à la ville, la diffusion de nouvelles idées scientifiques, les querelles du théâtre, sera essentiel : Pascal et Molière, pour ne citer qu'eux, seront toujours attentifs à ce courant de pensée. À ce titre, le « libertinage érudit » (René Pintard) est autant le complice que l'adversaire du classicisme. Quant au libertinage des mœurs, dont Ninon de Lenclos reste la figure emblématique, il est marginal, même si certains voient en lui une dérive aristocratique de la sexualité féminine, dont telle ou telle héroïne de la Fronde a pu être le modèle.

Raisons

Si le libertinage marque une frontière du classicisme, il le fait au nom de la raison, que revendique ce même classicisme. Il faut donc élaborer une critique de la raison classique, dont Descartes et Pascal, avec et au-delà de la fondation de la science moderne, vont être l'avocat et le procureur. Les critères de la nouvelle science s'édifient progressivement, et leur rigueur séduira bientôt la métaphysique, la littérature, l'architecture, l'art des jardins, la théorie des passions... En effet, qu'il s'agisse de la mathématisation de la nature ou du triomphe du mécanisme, l'ordre des choses répond à l'ordre des lois : la raison scientifique comprend et mesure la nature. La raison esthétique sentira et imitera la nature. Quant à l'ordre politique et social des sciences, il sera lui-même régi par l'Académie royale des sciences, fondée en 1666. Tout le monde se réclame donc de la raison.

Mais quelle est cette raison ? Descartes, avec le Discours de la méthode, publié en 1637 (en français, et non en latin), établit les principes de la nouvelle philosophie et les règles du raisonnement. La seule lecture des titres des quatre premières parties en apporte la preuve : « Considérations touchant les sciences », « Principales règles de la méthode », « Quelques règles de la morale tirées de la méthode », « Preuves de l'existence de Dieu et de l'âme humaine, ou fondements de la métaphysique ». Les Méditations métaphysiques (1641) affineront ces idées : l'ordre de la nature, par la conception de l'« étendue » ; l'ordre de l'homme, par l'affirmation du sujet pensant, ou cogito ; le rapport entre ces deux ordres, par la distinction entre le corps et l'âme ; l'ordre de Dieu, garant, plus que créateur, de l'ensemble du système. Tout est en place, ou, plus exactement, Pascal le dira bientôt, tout est trop bien en place. L'ordre cartésien est une construction de la raison. Mais le doute cartésien a tout mis en doute, sauf le doute lui-même. Il existe des puissances trompeuses - la coutume, c'est-à-dire l'habitude, l'imagination, l'amour-propre - auxquelles l'homme, victime du divertissement, c'est-à-dire des tentations liées à sa condition mondaine, ne sait pas, ne peut pas, ou ne veut pas, résister. La dialectique pascalienne est plus implacable que ne se croit infaillible la raison cartésienne : « S'il se vante je l'abaisse. S'il s'abaisse je le vante. Et le contredis toujours. Jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible [...]. Soumission et usage de la raison : en quoi consiste le vrai christianisme. Pyrrhonien, géomètre, chrétien : doute, assurance, soumission » (Pensées. Papiers classés, VII, 130 ; XIII, 167, 170). La critique de la raison par la raison - « La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu'il y a une infinité de choses qui la surpassent » (XIII, 188) - coïncide avec l'intuition physique de l'ordre métaphysique - « Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie » (XV, 201). L'avocat et le procureur de la raison classique, Descartes et Pascal, ont ainsi contribué à la mise en perspective du classicisme. Les ambitions sont affirmées. Les contradictions sont démontrées. La raison métaphysique et la « raison des effets » ouvrent la voie à la raison esthétique : comprendre, plaire, toucher.

Le classicisme opère la synthèse, dans des œuvres de toute nature, d'un moment et d'un milieu, d'une doctrine et d'un goût, d'un ordre et de sa transcendance, des règles et du sublime. L'« harmonie préétablie » entre les créateurs et leur public explique l'adhésion enthousiaste à une esthétique en mouvement. La complicité, au-delà de la théorie de l'imitation entre la nature et la raison, explique que ce triomphe d'un moment n'ait pas été un triomphe momentané. Deux données rendent compte de ce succès : l'unité d'une langue française porteuse d'une rhétorique sociale telle que l'ont façonnée le poète Malherbe, le grammairien Vaugelas, les théoriciens de l'« honnête homme », tel Nicolas Faret ; l'unité d'une société courtisane et urbaine, aristocratique et bourgeoise, qui a conscience d'être et d'exprimer un apogée de la civilisation.