Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

crise des années trente (suite)

« L'esprit des années trente » (Jean Touchard), caractérisé par un foisonnement idéologique parfois confus et contradictoire, perdure jusqu'à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Mais, à partir de 1936, la vie politique se bipolarise. Les forces de gauche, en réaction à ce qu'elles dénoncent comme un danger « fasciste », se coalisent. Des reclassements s'opèrent. On entre alors dans une nouvelle phase, celle du Front populaire.

crise de subsistances,

crise résultant d'une raréfaction des céréales panifiables (les « bleds »), qui entraîne une hausse rapide et durable des prix.

Elle est liée à la place dominante qu'occupent les grains (froment, seigle, sarrasin, maïs) dans l'alimentation populaire de l'Ancien Régime. Derrière le problème de la crise se profilent trois questions essentielles : la relation entre crise et mortalité, la hantise de la famine et la politique des pouvoirs publics.

Certains historiens (Jean Meuvret, 1946 ; Pierre Goubert, 1952) ont affirmé qu'il existait jusqu'en 1720 un système de production fragile auquel se serait appliquée la théorie des ciseaux malthusiens : la mortalité extraordinaire règle tout déséquilibre entre niveau de population et niveau des subsistances. Mais, depuis les années soixante, d'autres dénoncent « la légende noire de la faim de l'Europe moderne » (Pierre Chaunu). La crise de 1693-1694, qui affecte l'ensemble du royaume avec la mort de 10 à 15 % des Français, correspond à un fort déficit en grains qui fait suite à deux étés frais et pluvieux. Mais la faim ne tue pas directement. Elle accentue la mortalité épidémique, et le mécanisme régulateur est la nuptialité.

À partir de 1720, la famine disparaît grâce au progrès des systèmes de stockage et de conservation des grains, lié à l'amélioration des moyens de communication. Paradoxalement, « l'émeute remplace la famine » (André Burguière). Le peuple réclame le juste prix et condamne les « accapareurs », complices dans le « pacte de famine » (Jacques Dupâquier).

Rentiers de la terre, marchands, voituriers, boulangers, sont soupçonnés de stocker les grains et de spéculer sur les prix. Les pouvoirs publics veillent donc à assurer en permanence l'approvisionnement des marchés urbains et ruraux par un strict contrôle de la circulation, du prix et du débit des céréales. En cas de crise, les intendants n'hésitent pas à faire réquisitionner les grains, à acheter du blé, à l'étranger s'il le faut, et à organiser des distributions. À partir de 1760, une expérience libérale est menée sur le modèle anglais. Le « bon prix » des blés est fondé sur la loi de l'offre et de la demande. La libre-circulation est autorisée avant qu'une série de crises, de 1764 à 1776, ne fassent flamber les prix et ruinent ce projet (la « guerre des farines », en 1775).

Les cris de la foule, qui conduit le 6 octobre 1789, de Versailles à Paris, le roi, la reine et le dauphin, devenus « le boulanger, la boulangère et le petit mitron », sont révélateurs des liens unissant le roi « nourricier » et son peuple tout au long de l'Ancien Régime.

crises démographiques.

En quelques semaines, en quelques mois, la mort fauche une part notable de la population d'une paroisse rurale, d'une ville, d'une région : voilà, avant les indispensables et nombreuses nuances, ce qu'est d'abord une crise démographique dans la France du Moyen Âge - nous en savons très peu -, et des temps modernes.

Cette envolée de la mortalité s'accompagne, en général, d'une raréfaction - voire de l'interruption [---] des mariages pendant plusieurs mois, pour des raisons faciles à comprendre quand on pense à la fête, dispendieuse, qu'il est de tradition d'organiser. Elle s'accompagne aussi d'une diminution des naissances, en raison du décès de femmes enceintes et, surtout, d'un déficit de conceptions. Maladie qui désunit quelque temps le couple, aménorrhée de famine pour une partie des femmes, voire abstinence ou pratiques contraceptives, peuvent se combiner pour expliquer ce phénomène, en partie compensé par une reprise des naissances dès la fin de la crise. Ainsi définie, la crise démographique entre de manière spectaculaire dans l'histoire, en 1946 seulement, avec un article de Jean Meuvret, puis de manière irréversible avec la célèbre thèse que Pierre Goubert consacre au Beauvaisis (1958). C'est à partir de cette époque que les historiens découvrent les extraordinaires richesses des registres paroissiaux, ancêtres de notre état civil, et que la notion de crise démographique commence à figurer dans les manuels scolaires.

« C'est la misère qui tue. »

•  Cependant, la définition technique et statistique, essentielle, ne suffit pas à rendre compte des véritables dimensions de cette réalité fondamentale que chaque Français vit, jusqu'au XVIIIe siècle, une fois tous les trente ans en moyenne, pour les très graves crises, et bien plus souvent à certains moments. Il manque, tout d'abord, la dimension concrète, humaine, qui varie considérablement en fonction de la nature des crises.

Les plus classiques naissent d'une mauvaise récolte de céréales. Un accident climatique - hiver trop rigoureux ou, plus souvent, printemps pourri - en est le responsable initial. La récolte s'avère mauvaise, parfois catastrophique, et chacun sait, dès lors, que l'année à venir sera difficile. La crise de subsistances représente donc la chronique d'une mort annoncée : faire venir des céréales de régions moins affectées ou de l'étranger est long et, surtout, coûteux, car il faudrait les distribuer à prix bradés à des miséreux incapables de les payer. La rareté des vivres provoque une hausse des prix, accentuée par la spéculation, qui touche de plein fouet les plus pauvres, lesquels ne peuvent acheter en gros au lendemain de la récolte, et vivent au jour le jour. Ce sont ceux-là que la mort frappe parmi les foules qui errent dans les campagnes et surtout aux abords des villes en espérant quelque secours. Le pire est atteint à la fin du printemps, quand la récolte précédente est totalement épuisée, et avant l'arrivée de la nouvelle : moment de la « soudure », de la flambée maximale des prix, du recours aux aliments les plus détestables, des corps décharnés et des ventres gonflés, des cadavres sur les chemins...