Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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tribunaux.

En France, l'histoire des tribunaux est celle d'un renforcement continu et d'une spécialisation des instances civiles et criminelles.

Dès le haut Moyen Âge, les rois cherchent à contrôler l'encadrement judiciaire pour faire pièce aux justices privées et seigneuriales. Sous l'Ancien Régime, le système monarchique est, à la fois, consolidé par la création de nouvelles instances et organisé de manière pyramidale par le jeu de l'appel. Au XIXe siècle se met en place une nouvelle structure, dont l'essentiel est conservé de nos jours, avec certaines adaptations liées aux changements sociaux et politiques.

Des juridictions concurrentes au Moyen Âge.

• Dès le haut Moyen Âge, les rois tentent de proposer une punition publique aux délits de droit commun, qui sont traditionnellement réglés par la vengeance. Charlemagne légifère à son tour pour que l'homicide, la vengeance, l'inceste et le parjure soient jugés par le mallus comtal, premier tribunal public, qui subsiste jusqu'au Xe siècle. Mais, à cette époque marquée par l'émiettement des juridictions et des pouvoirs, les tribunaux seigneuriaux deviennent la base du système judiciaire.

Les seigneurs peuvent présider eux-mêmes les audiences ou déléguer cette compétence à l'un de leurs officiers, prévôt ou bailli. Selon les cas, ils disposent de la haute, de la moyenne ou de la basse justice. La haute justice reprend les attributions des anciens comtes carolingiens ; elle s'applique à tous les crimes commis dans la seigneurie ; les fourches patibulaires, le pilori ou le carcan sont ses instruments et ses symboles. La moyenne justice examine les délits qui entraînent des punitions corporelles légères, des bannissements temporaires ou des amendes limitées. La basse justice ne traite que les causes civiles mineures, passibles de faibles amendes.

Les ressorts de ces tribunaux s'enchevêtrent souvent. Des querelles de juridiction peuvent les opposer aux justices municipales, devenues fortes à partir du XIIIe siècle, et aux officialités. Ces dernières sont des instances ecclésiastiques qui traitent les délits commis par le clergé et les affaires touchant à la spiritualité (hérésie, sorcellerie, sacrilège, atteintes aux serments du mariage, etc.), en renvoyant toute exécution capitale à la justice séculière.

La monarchie reprend cependant peu à peu l'initiative. Au XIe siècle, les rois commencent à créer des instances judiciaires de base, les prévôtés, qui portent divers noms selon les régions (vicomtés en Normandie, vigueries en Languedoc ou encore châtellenies en Île-de-France). À la fin du XIIe siècle, l'apparition des baillis royaux marque un effort supplémentaire d'encadrement. D'abord itinérants, ils se fixent dans leur bailliage ou sénéchaussée vers le milieu du XIIIe siècle. D'un rang supérieur aux prévôts, ils surveillent ces derniers et peuvent recevoir l'appel de leurs sentences. Ils s'occupent en outre des « cas royaux », crimes graves qui relèvent uniquement d'une cour souveraine. Ils peuvent aussi juger directement une affaire par « prévention ». Tout plaideur mécontent a cependant le droit de faire appel de leurs décisions devant le roi : la mémoire populaire retient l'image de Saint Louis rendant la justice sous le chêne de Vincennes.

Doté d'un local dans la Cité et d'attributions précises par Philippe le Bel, le parlement de Paris juge seul les nobles en première instance et joue un rôle de cour d'appel suprême pour toutes les juridictions du royaume. Trois chambres le composent : la Grand-Chambre, la Chambre des enquêtes et la Chambre des requêtes. L'extension de son activité a nécessité la création de nouvelles chambres et celle d'autres parlements dans les grands fiefs réunis à la couronne : il en existe six en 1515 (Toulouse, Grenoble, Bordeaux, Dijon, Aix et Rouen).

Vers une justice centralisée (xvie-xviiie siècle).

• À l'époque moderne, la justice royale prend un ascendant croissant et réduit le rôle des autres tribunaux sans les faire disparaître. L'idée selon laquelle toute justice n'existe que par délégation royale permet en outre au souverain de se réserver le jugement des crimes qu'il estime les plus importants. Et la pyramide judiciaire monarchique se présente de manière de plus en plus hiérarchisée. Dans le monde rural, les prévôtés jugent toujours en première instance les homicides, les incendies, les blasphèmes, les rapts ou encore les sortilèges. Au deuxième degré, le nombre de bailliages augmente, de 97 sous François Ier à plusieurs centaines au XVIIIe siècle, pour mieux prendre en compte les appels des prévôtés, ainsi que les cas royaux définis dans l'ordonnance criminelle de 1670. En 1552, Henri II a transformé certains bailliages en sièges présidiaux, leur donnant, en plus de leurs anciennes compétences, le droit de recevoir les appels venus des bailliages, ce qui soulage les parlements. D'une soixantaine au XVIe siècle, les présidiaux passent à une centaine à la fin de l'Ancien Régime, mais leur compétence s'est alors réduite.

Au sommet du système, les parlements drainent de plus en plus de causes en appel. À Paris, de nouvelles chambres des enquêtes sont créées pour répondre à cet afflux : la Tournelle, spécialisée en matière criminelle, en 1515 ; la Chambre des vacations, en 1519. Dans les provinces, sept nouveaux parlements voient le jour (Dombes - supprimé en 1771 –, Bretagne, Pau, Metz, Franche-Comté, Flandres, Nancy), ainsi que des conseils souverains, qui ont des compétences identiques dans les régions frontières devenues françaises sous le règne de Louis XIV (Artois, Alsace, Roussillon) et en Corse (acquise en 1768). De la promulgation de l'édit de Nantes (1598) jusqu'à sa révocation (1685), certains parlements, dont celui de Paris, ont disposé, pour juger équitablement les protestants, d'une chambre mi-partie, composée de magistrats catholiques et protestants. Les Grands Jours, apparus au XVIe siècle, voient les membres d'un parlement se déplacer dans une ville de leur ressort en des circonstances exceptionnelles.

Des juridictions extraordinaires ou d'exception complètent le tableau. Sans être juges, les prévôts des maréchaux poursuivent les vagabonds, les soldats criminels ou déserteurs, les repris de justice et les errants, puis convoquent un tribunal en choisissant des magistrats locaux et exécutent la sentence sans possibilité d'appel. Au XVIIIe siècle, la maréchaussée s'occupe de plus en plus de la sécurité des routes et du plat pays. Devenue « gendarmerie nationale » en 1791, elle perd alors sa juridiction prévôtale. Il faut ajouter à cela des tribunaux d'exception, composés de juges choisis par le roi pour trancher de graves problèmes, telle la Chambre ardente réunie pour juger l'affaire des Poisons après la mort suspecte d'Henriette d'Angleterre (1670), la belle-sœur de Louis XIV. Enfin, une volonté de spécialisation amène la royauté à créer de nouvelles juridictions tels la Maîtrise des eaux et forêts, les Greniers à sel, la Cour des aides ou les Amirautés. Elles gèrent les causes civiles mais peuvent à l'occasion traiter une affaire criminelle de leur compétence.