Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
I

invasions barbares (suite)

On peut dire que, dès ce moment, les Barbares tinrent une place essentielle dans la défense de l'Empire : peuples entiers placés sous l'autorité d'un roi fédéré disposant d'une délégation d'autorité militaire ; contingents (d'anciens prisonniers, parfois) intégrés dans les armées de campagne ; et individus doués gravissant un à un les échelons de la carrière des armes, tel le Franc Arbogast devenu à la fin du IVe siècle le conseiller le plus écouté de l'empereur Valentinien II. Il semble que, d'une façon générale, ces hommes s'identifièrent pleinement à leur cause nouvelle, et qu'ils furent à l'égard de Rome d'une fidélité irréprochable. Mais celle-ci permettrait-elle à l'Empire de résister aux multiples pressions qui bientôt s'accentueraient sur ses frontières occidentales ?

La Gaule dans le tourbillon barbare

Le danger le plus imminent ne vint pas de ces peuples installés de part et d'autre du limes, qui avaient été peu ou prou intégrés dans le dispositif défensif de Rome. Il vint de ceux qui ne s'étaient pas encore stabilisés au cœur de la Germanie, peuples des steppes comme les Huns ou les Alains, ou peuples germaniques déstabilisés par l'avancée de ces derniers.

Ainsi, tandis que le limes rhénan avait été dégarni d'une partie de ses effectifs, précipitamment envoyés dans une Italie qui paraissait plus directement menacée, ce furent des Alains, des Vandales et des Suèves (peut-être 150 000 individus, dont le quart d'hommes en armes) qui, le 31 décembre 406, traversèrent le Rhin, gelé entre Mayence et Worms. Ils entamèrent alors une longue migration, ponctuée de violences, à travers la Gaule du Nord, puis du Sud, avant qu'à l'automne 409 la plupart d'entre eux ne passent en Espagne, et que, vingt ans plus tard, les Vandales, laissant les autres sur place, ne franchissent les Colonnes d'Hercule et ne s'installent en Afrique.

Malgré le rappel massif de ses dernières garnisons de (Grande-) Bretagne, l'Empire s'était montré incapable d'arrêter la progression de cette horde composite : il faut rappeler que l'empereur d'Occident Honorius était tout entier occupé à lutter, en vain, contre l'irruption des Wisigoths. Directement venus des Balkans en Italie, ceux-ci, après l'avoir nargué dans sa résidence de Ravenne, s'apprêtaient à mettre le cap sur Rome, que leur roi Alaric atteignit en 410, la livrant trois jours durant au pillage de ses guerriers.

Du coup, tous les peuples barbares, y compris ceux avec lesquels Rome avait expérimenté le long de ses frontières gauloises les « techniques de l'accommodation » chères à l'historien Walter Goffart, pénétrèrent ou continuèrent de progresser en Gaule. Ce fut le cas des Francs qui, remontant le cours de l'Escaut (pour les Saliens) et celui de la Moselle (pour les Rhénans), en vinrent à occuper, du Boulonnais jusqu'au bassin de Trèves, tous les territoires de la Gaule du Nord, désormais livrée à elle-même par le pouvoir romain ; ce fut le cas des Alamans, qui occupèrent l'Alsace et le Palatinat, ou encore celui des Burgondes, qu'un fœdus convenu en 413 fixa quelque temps en Rhénanie moyenne ; les Wisigoths, quant à eux, après leur longue errance italienne, arrivèrent dans le midi de la Gaule et s'installèrent dans le moyenne vallée de la Garonne, d'où ils entreprirent peu à peu de contrôler l'Aquitaine puis l'Espagne ; enfin, les Huns eux-mêmes fondirent en 451 jusqu'au cœur de la Gaule, où ils furent arrêtés aux champs Catalauniques, en Champagne, par le maître de la milice Aetius, assisté par des fédérés francs, burgondes et wisigoths.

Les premiers royaumes barbares de Gaule

Ce sont précisément les traités de fédération qui créèrent les conditions juridiques de l'apparition sur le sol romain des plus anciens royaumes barbares, à commencer par le premier d'entre eux, le royaume wisigothique.

En effet, un fœdus fut conclu en 416 avec les Wisigoths. Il leur reconnut, conformément au régime romain de l'hospitalité, la jouissance de terres et de revenus fiscaux, en particulier dans le Toulousain, le Lauragais et le Quercy, et établit un véritable partage de compétences entre le roi wisigoth et l'Empire romain. À celui-ci, l'autorité civile ; à celui-là, indiscutable roi de son peuple, l'autorité militaire, d'une part, pour lutter contre les bagaudes, ces soulèvements de paysans chassés de leurs terres par une insécurité devenue chronique en Aquitaine, d'autre part, contre les autres Barbares, notamment les pirates saxons qui semaient la panique sur les côtes atlantiques et les derniers rescapés de la grande vague des envahisseurs de 406 encore attardés dans la Gaule du Sud et en Espagne.

Mais la déliquescence du pouvoir impérial fit bientôt de la royauté wisigothique - en particulier sous les rois Théodoric II, Euric et Alaric II - la seule autorité publique dans la vaste zone qu'elle n'était initialement chargée que de défendre. Nombre d'aristocrates gallo- ou ibéro-romains acceptèrent alors de collaborer avec elle. C'est pourquoi la royauté wisigothique, de guerrière et ethnique qu'elle était au départ, se mua peu à peu en une véritable royauté territoriale. Les contrées d'Aquitaine et d'Espagne, sur lesquelles le roi wisigoth ne détenait jusqu'alors qu'une simple délégation d'autorité militaire romaine, en vinrent à constituer ce qu'il est convenu d'appeler un « royaume barbare », où le roi exerçait une autorité - déléguée par un Empire de plus en plus distant - sur tous les habitants, qu'ils fussent d'origine barbare ou romaine.

Un autre royaume fut ainsi créé par les Burgondes. Aetius le transféra en Sapaudia - dans le bassin du Rhône moyen entre Genève et Lyon. Il conclut en 443 un fœdus avec les Burgondes, suivant lequel ceux-ci devaient protéger les régions d'entre Alpes et Jura contre la progression alémanique. À partir de cette base étriquée, les rois burgondes étendirent peu à peu leur autorité à de vastes territoires s'étendant de la haute Provence à cette Bourgogne à laquelle ils finirent par donner leur nom. Et, comme les rois wisigoths, les plus avisés d'entre eux (en particulier Gondioc et Gondebaud, qui arboraient fièrement le titre de maîtres de la milice que Rome leur avait reconnu) obtinrent le concours d'une partie au moins des élites gallo-romaines, qui les aidèrent à gouverner et à légiférer.