Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Régence (suite)

La politique extérieure

En Europe, un nouvel équilibre des forces s'est établi au lendemain du traité d'Utrecht (1713) : il n'y a plus qu'un seul Habsbourg régnant (l'empereur), puisqu'un Bourbon (Philippe V, petit-fils de Louis XIV) a accédé au trône d'Espagne. Louis XIV avait comblé les vœux jadis exprimés par Richelieu, qui avait préconisé l'abaissement de la maison de Habsbourg. La France avait acquis, au siècle précédent, l'Alsace, la Flandre, la Franche-Comté et le Roussillon : mieux vaut, désormais, songer à conserver plutôt qu'à conquérir. Soucieux de confirmer le traité d'Utrecht, le Régent désire également s'assurer un allié si l'enfant-roi vient à mourir prématurément, ou si Philippe V tente de briguer la succession au trône de France. C'est la raison pour laquelle, le 4 janvier 1717, Philippe d'Orléans signe un traité d'alliance défensive avec l'Angleterre et les Provinces-Unies, puissances que Louis XIV avait combattues : cet engagement doit conduire la France à mener une brève campagne contre l'Espagne. Mais le conflit naît aussi des ambitions de Philippe V qui, n'admettant pas d'avoir été dépossédé de la Sicile, décide de l'occuper. Les gouvernements français et britannique, défenseurs du statu quo, lui déclarent aussitôt la guerre. Bien que la campagne se révèle brève et facile (été 1719), elle suscite en France une vive hostilité contre le Régent : on ne comprend guère pourquoi l'on combat l'Espagne, l'allié d'hier, pour lequel on a mené une guerre si longue et si coûteuse peu de temps auparavant (guerre de la Succession d'Espagne, 1702-1713). Dans l'espoir de se justifier, le Régent fait écrire par Fontenelle un « Manifeste du roi de France », tout en dénonçant une conspiration du prince de Cellamare, ambassadeur d'Espagne, qui intrigue avec la « vieille cour » pour tenter de mettre Philippe V sur le trône de France. Pas plus que le plaidoyer de Fontenelle, la révélation de ce romanesque complot, ourdi dans l'entourage du duc et de la duchesse du Maine, ne peut retourner l'opinion en faveur du Régent. Cependant, le conflit prend fin rapidement : par le traité de Madrid (janvier 1720), Philippe V accepte de reconnaître les clauses d'Utrecht et adhère à la Triple Alliance. L'année suivante, pour sceller la réconciliation franco-espagnole, on prévoit de marier Louis XV à l'Infante, âgée de 3 ans. Le Régent a contribué à consolider la paix européenne.

La mort du Régent

Très aimé par la population parisienne, l'enfant-roi fait son apprentissage de monarque. Dès 1719, le Régent a de longs entretiens avec lui pour l'initier, dans la mesure du possible, aux affaires de l'État. Il lui laisse présider symboliquement certains Conseils à partir de 1720. Des liens de solide affection unissent l'oncle et le neveu. Aussi, l'adolescent manifeste-t-il un vif chagrin lorsqu'il apprend le décès brutal de ce prince, le 2 décembre 1723. Officiellement, la Régence s'est achevée le 15 février de cette même année, Louis XV ayant atteint la majorité royale et reçu le sacre. Le jeune souverain demande néanmoins au duc d'Orléans de poursuivre sa tâche avec le titre de principal ministre, bien que l'impopularité de l'ex-Régent soit alors à son comble. En effet, de violents pamphlets (en particulier les Philippiques, de La Grange-Chancel) le chargent de tous les maux - voire de tous les crimes, puisque certains l'accusent de vouloir assassiner le roi ! En décembre 1723, le duc de Bourbon succède au duc d'Orléans aux fonctions de Premier ministre, jusqu'à sa disgrâce en 1726 ; mais la réalité du pouvoir est déjà exercée par le cardinal de Fleury, précepteur du roi. En revanche, c'est à l'instigation du duc de Bourbon, pressé de voir Louis XV assurer sa postérité, que l'Infante est renvoyée et que le mariage du roi avec Marie Leszczynska est scellé (1725).

Les « fêtes galantes » : apparences et réalités

Dire que la Régence est la période des « fêtes galantes » relève du cliché. À la mort de Louis XIV, s'ouvre en effet une ère d'« années folles », où la haute société est prise d'un irrésistible appétit de jouissance. C'est le temps du plaisir. La presse relate avec un inlassable émerveillement les divertissements qui se succèdent à Paris. La capitale retrouve un rayonnement qu'elle avait perdu depuis l'installation de la cour à Versailles. Trois nuits par semaine (excepté pendant le Carême), il y a bal à l'Opéra. Le modique prix d'entrée (6 sols), le masque et le domino favorisent la confusion des rangs. Le succès est tel qu'une seconde salle s'ouvre bientôt au Louvre. La fureur du jeu s'empare des Parisiens : on joue au Palais-Royal, dans les hôtels aristocratiques, les cabarets, les tripots. Le Régent essaiera de réglementer cette folie. En vain. Tous les spectacles connaissent alors une vogue extraordinaire. Si les comédiens-français continuent d'attirer un public nombreux, les comédiens-italiens, expulsés en 1697 sous l'influence de Mme de Maintenon, reviennent en 1716 : abandonnant bientôt la comedia dell'arte, ils jouent en français à partir de 1718 et Marivaux devient leur auteur favori (Arlequin poli par l'Amour, la Surprise de l'amour, la Double Inconstance...). Des femmes renouvellent la mode des salons. Déjà, à la fin du règne de Louis XIV, la duchesse du Maine à Sceaux, la princesse de Conti à Choisy ou à Champs, avaient constitué de véritables petites cours en marge de Versailles, où elles recevaient tous les beaux esprits du temps. Ces salons se maintiennent sous la Régence. Voltaire lit son Œdipe chez la duchesse du Maine (l'œuvre sera publiée en 1718). Mais ces princesses ont fait des émules. Rue de Richelieu, hantée par le souvenir de Mme de Rambouillet, Mme de Lambert reçoit Fontenelle, Houdar de La Motte, Montesquieu, Marivaux, le président Hénault, la savante Mme Dacier, Adrienne Lecouvreur à ses débuts... Dans le salon de Mme de Tencin, rue Saint-Honoré, se presse également toute l'élite mondaine et intellectuelle. De plus en plus nombreuses, les académies de province stimulent la vie littéraire et artistique. Dans les cafés (La Régence, Le Procope...), on discute de science et d'art. D'une façon générale, les écrivains déjouent beaucoup plus facilement les pièges de la censure que sous Louis XIV. C'est en 1721 que Montesquieu fait paraître ses Lettres persanes où il se livre à une virulente critique de la société et des institutions, n'hésitant pas à condamner le « despotisme » et à railler l'autorité du pape. Dans son roman picaresque, Gil Blas (1715-1735), dont l'action se situe en Espagne, Lesage peint en réalité la société de la Régence.