Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

cour (suite)

Il est avéré que tout a changé avec Louis XIV et son « règne de vile bourgeoisie », que la turbulente noblesse a été domestiquée, et que la « centralisation des fidélités » - le roi étant désormais le seul dispensateur des grâces - l'a privée d'une grande partie de son influence politique. Il n'en demeure pas moins que, au cours de la dernière partie du règne, s'esquissent des partis, et naît une véritable opposition politique avec, notamment, le « petit troupeau » de l'héritier du trône, le duc de Bourgogne, animé par les ducs de Beauvillier et de Saint-Simon, et par Fénelon. Cette tendance s'accentue au XVIIIe siècle, sous les règnes de Louis XV et Louis XVI, qui n'ont pas su ni voulu rester le centre autour duquel s'ordonnaient tous les gens de cour. En effet, ils maintiennent le rituel monarchique, mais ne font plus que le subir : avec Louis XIV, le roi et l'homme privé se confondaient ; Louis XV, au contraire, veut se ménager une vie privée en créant à Versailles de petits appartements où il se retire, après son coucher dans la chambre de parade qu'il regagne le matin pour son lever. La vie de la cour se dilue alors en plusieurs cercles : celui du roi ne forme plus que le premier à côté de ceux de la reine, du dauphin, de ses filles, voire des ministres ou de quelques grands officiers de sa maison. Autour de sa « maîtresse déclarée » (Mme de Pompadour ou Mme du Barry), véritable épouse privée, Louis XV réunit ses amis intimes ; ceux qui chassent avec lui, soupent dans les cabinets « en habit vert », participent à ses loisirs (jeu, théâtre et musique, dans les cabinets), ou le suivent dans ses « voyages » à Choisy, la Meutte, Crécy, Marly ou le Vivier Coras, le souverain préférant à Versailles les châteaux plus modestes, au milieu des bois. Ces cercles deviennent de véritables partis politiques (dévots contre philosophes, tenants de la prérogative royale contre parlementaires, partisans de l'alliance autrichienne contre défenseurs des principes traditionnels de la diplomatie française), foyers d'intrigues, faisant et défaisant les ministres. À cela s'ajoute le retour en force des gens de cour dans le Conseil du roi (les Noailles, Belle-Isle, Soubise, Choiseul, d'Aiguillon, Ségur, Castries, etc.) ou dans les ambassades : Vergennes agit en ministre courtisan lorsqu'il cède aux sollicitations de Marie-Antoinette et de sa coterie pour gagner la faveur ou la neutralité politique de la reine. Cependant, il ne faut pas exagérer la part qu'occupent les intrigues de cour dans la définition de la politique ou dans les disgrâces et nominations de ministres. Ces manœuvres ne jouent souvent qu'un rôle anecdotique, et ne font que précipiter une décision déjà prise, comme dans les cas de Choiseul, en 1770, ou de Turgot, en 1776. Les mémorialistes ont souvent exprimé des doutes à cet égard : « Vous savez que c'est à la cour, écrit le duc de Luynes en 1755, que l'on parle le moins des affaires intéressantes. » Le duc de Croÿ se donne bien du mal pour chasser avec le roi et souper dans ses cabinets ; or, lorsque son objectif est atteint, il constate avec déception que ce n'est pas par ce moyen que l'on peut « aller au grand », car dans les cabinets on parle de tout, sauf des grandes affaires. Pour se faire connaître, mieux vaut travailler et abreuver les ministres de mémoires qui parviendront peut-être jusqu'au roi, lequel apprécie de la sorte le mérite de chacun.

Ainsi est née la légende noire de la cour, dénoncée, dès le XVIe siècle, comme la « sangsue du peuple » qui entretient un monde de courtisans futiles, dépravés et inutiles autour d'une favorite ou d'un mignon royaux, qui font et défont les ministres et les généraux, au prix de graves déboires pour le royaume. En effet, la cour coûte cher. En 1537, l'ambassadeur vénitien Giustiniano évalue les frais de la Maison du roi à 1 500 000 livres, sur une dépense totale de 5 110 000 (soit près de 30 %), tandis que les recettes s'élèvent à 5 550 000 livres. S'y ajoutent, dit Giustiniano, « les frais des bâtiments, des tournois, des banquets, des présents de Noël, des visites du roi et des princes. [...] On ne pourrait en évaluer le montant ». En 1561, Michiel estime que, sur les revenus du roi Henri II, d'un montant de 13 millions de francs, les dépenses de la cour prélèvent 2,5 millions (soit 19 %), « somme énorme et telle qu'aucun autre roi ne l'atteint, pas même peut-être plusieurs rois ensemble ». Le successeur d'Henri II, François II, les réduit de 500 000 francs ; sous Charles IX, elles sont ramenées à 1 250 000 francs. Dans le budget de Calonne, en 1787, elles s'élèvent à 36 millions de livres, sur des dépenses totales de 591 millions (soit 6 %), et des recettes de 479 millions (soit 7,5 %), confirmant que c'est la guerre d'Amérique - et non la cour - qui a entraîné la banqueroute de la monarchie. En outre, il ne faut pas négliger les retombées bénéfiques pour tout un peuple de marchands, d'artisans et d'artistes « à la suite de la cour » : à la fin de l'Ancien Régime, une ville entière, Versailles, vit par et pour la cour, et tout un quartier de Paris, le faubourg Saint-Antoine, s'active à satisfaire ses commandes.

On peut dater la fin de la cour de France des 5 et 6 octobre 1789, lorsque le peuple en armes vient la chercher à Versailles pour l'installer aux Tuileries, à Paris, où elle ne sera plus que l'ombre d'elle-même jusqu'au 10 août 1792. La cour-caserne du Premier Empire, la cour fossile de la Restauration, la cour bourgeoise de Louis-Philippe et la cour mondaine du Second Empire n'ont été que de pâles reflets de la cour des Valois et des Bourbons.

Cour des comptes,

juridiction financière née sous l'Ancien Régime, supprimée lors de la Révolution française, puis rétablie par l'Empire et dont les compétences sont élargies sous la Restauration. Les juridictions des comptes publics sont devenues aujourd'hui une institution de la République et de l'État de droit.

Dès le Moyen Âge, en France comme en Angleterre, sont créées, dans les principautés et auprès du roi, des chambres (curiae) ayant le pouvoir de juger de la régularité des opérations financières des « gens députés aux comptes », c'est-à-dire des comptables publics, qui répondent sur leurs biens propres de l'exactitude de leur gestion. Sous la Révolution, les juges des comptes sont victimes de la défiance des révolutionnaires à l'égard de la magistrature d'Ancien Régime, suspecte de faire obstacle à la souveraineté du législateur : par la loi des 17-29 septembre 1791, la Constituante transfère à l'Assemblée nationale toutes les attributions des chambres des comptes. Avec la création de la Cour des comptes, par la loi du 16 septembre 1807, l'Empire « rétablit » (selon le terme de l'époque) une juridiction nationale strictement spécialisée dans le contrôle des comptables. La naissance du régime parlementaire sous la Restauration et la monarchie de Juillet ainsi que le vote du budget de l'État étendent alors les compétences de la Cour des comptes à la vérification de l'exécution des lois de finances, qui font l'objet d'un « rapport public » annuel. Au XXe siècle, les attributions de la haute juridiction sont continûment élargies : contrôle des associations bénéficiant de concours financiers publics ou de lagénérosité publique, des entreprises publiques et des organismes de Sécurité sociale. Avec la réforme constitutionnelle de 1996 créant la catégorie des « lois de financement de la Sécurité sociale », la Cour reçoit la charge d'un rapport public annuel spécifique sur la gestion des finances de la protection sociale. En revanche, depuis la loi de décentralisation administrative du 2 mars 1982, les collectivités locales ne sont plus directement contrôlées par la Cour des comptes, mais par des chambres régionales des comptes. Cependant, la Cour examine en appel les jugements des chambres, dont le Conseil d'État est juge de cassation.