Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
G

gauche (suite)

Si l'on met à part celle-ci, si l'on prend en compte l'évolution du PCF, si l'on se remémore la faiblesse du radicalisme (et aussi celle du mouvement écologiste, lorsqu'il se situe ouvertement à gauche) on constate qu'au début du XXIe siècle la gauche française est dominée par le socialisme démocratique. La France, tout comme l'Italie depuis la naissance du Parti démocratique de la gauche (PDS), se rapproche donc sur ce point de l'Allemagne et de l'Angleterre, dont elle se distinguait par le poids du communisme. La perspective d'une « révolution prolétarienne » paraît définitivement écartée, celle d'une économie mixte avec un secteur public dominant est elle-même compromise. Ne reste donc ouverte que la voie social-démocrate, celle d'une gestion contrôlée de l'économie de marché, dans le but de promouvoir davantage de justice sociale. Cette volonté de pallier les conséquences néfastes de l'ultralibéralisme économique s'accompagne, le plus souvent, d'un libéralisme politique et culturel affiché : défense des droits de l'homme, des minorités, de la démocratie et de la paix dans le monde.

Toutefois, la gauche ainsi définie est loin d'être unie. Elle se compose de plusieurs organisations jalouses de leur identité et de leur indépendance : à la différence du Parti communiste italien (PCI), le PCF ne s'est pas rallié ouvertement à la social-démocratie. Elle ne dispose encore ni d'un programme à court terme pour lutter contre la crise, ni de projets à plus long terme comportant une définition nouvelle du socialisme. Ses composantes sont en désaccord sur la construction européenne, les dissidents de gauche du PS (le Mouvement des citoyens) se rapprochant, dans ce domaine, des positions communistes. Surtout, elle souffre de la faiblesse de ses appareils politiques (le PCF reste un parti de masse, mais le PS ne compte guère que 100 000 adhérents), et du déclin d'un syndicalisme qui, très divisé, ne regroupe plus qu'environ 10 % des salariés : il lui manque donc ce qui constitue un atout de la social-démocratie classique. Aussi, son emprise sur son électorat, qui appartient très largement aux classes moyennes salariées et au milieu ouvrier, se révèle-t-elle fragile. François Mitterrand n'a été élu deux fois au second tour qu'avec un renfort de voix de droite. Alors que la gauche à forte composante radicale était normalement majoritaire au début du siècle, et à nouveau dans les années trente, la gauche socialiste et communiste ne l'a plus été, sauf exception, depuis 1946.

gauchisme.

Défini - et dénoncé - en 1920 par Lénine dans la Maladie infantile du communisme comme une déviation « de gauche » du marxisme, le terme « gauchisme » a connu une nouvelle jeunesse en France avec les événements de mai-juin 1968.

Un mouvement multiforme.

• La postérité en revient à Georges Marchais, futur secrétaire général du PCF, qui, dans un article de l'Humanité en date du 3 mai 1968, dénonce « de faux révolutionnaires à démasquer » : les « groupuscules gauchistes [...] particulièrement actifs parmi les étudiants ». À l'université de Nanterre, par exemple, on trouve les « maoïstes » ; les Jeunesses communistes révolutionnaires, qui rassemblent une partie des trotskistes ; le Comité des étudiants révolutionnaires, lui aussi à majorité trotskiste ; les anarchistes et divers groupes plus ou moins folkloriques. Malgré leurs contradictions, ces groupuscules - quelques centaines d'étudiants - se sont unifiés au sein du « Mouvement du 22 mars », animé par l'« anarchiste allemand » Daniel Cohn-Bendit. Le panorama de cette mouvance politique est assez complet. Les formules de l'article de Georges Marchais - publié le jour de lapremière manifestation étudiante à Paris après l'occupation de la Sorbonne par la police - sont reprises et détournées, les jours suivants, par dérision, par des milliers de manifestants scandant : « Nous sommes tous un groupuscule » et « Nous sommes tous des juifs allemands ». Le substantif « gauchiste », dépréciatif à l'origine, sert, depuis lors, à désigner un certain nombre de formations d'extrême gauche qui occuperont les colonnes de la rubrique « Agitation » du journal le Monde jusqu'au milieu des années soixante-dix : la Gauche prolétarienne (maoïste) tient la vedette jusqu'en 1972, la Ligue communiste (trotskiste) de 1973 à 1975. La plupart de ces groupes ont été dissous par le gouvernement le 12 juin 1968, mais ils se reconstituent sous d'autres noms.

Les voix du gauchisme.

• Ils s'expriment aussi dans une presse aux titres évocateurs : la Cause du peuple-J'accuse, Tout, l'Idiot international, Le torchon brûle, Lutte ouvrière, le Libertaire, le Cri du peuple, Humanité rouge, Rouge, le Front libertaire, Cahiers de mai, Front rouge, Jeune révolutionnaire, vendus en kiosque (à 96 130 exemplaires par mois en 1971, selon le ministère de l'Intérieur) et surtout par les militants. Cette presse est parfois interdite et saisie ; certains directeurs de journaux sont condamnés et emprisonnés. Le relais est alors pris par des intellectuels tels que Jean-Paul Sartre ou Simone de Beauvoir, qui assurent la direction des publications, et donnent leur nom et leur caution, au nom de la liberté d'expression.

Diversité des modes d'action.

• Outre leurs divergences doctrinales, les groupes gauchistes se différencient par leurs tactiques et leurs modes d'action : spectaculaires, fondés sur l'action directe et parfois violente, pour la Gauche prolétarienne ; plus souterrains, en profondeur et tablant sur la durée, pour les trotskistes implantés chez les étudiants et les lycéens (et, en partie, à l'origine des manifestations de ces derniers en 1971 et 1973), alors que les maoïstes privilégient, pour leur part, les liens avec la « classe ouvrière », le « peuple » (en particulier, par le départ en usine de ceux que l'on nomme les « établis »). Le gauchisme français - à la différence de ses homologues italien ou allemand, appelés, symptomatiquement, « gauche » ou « opposition extra-parlementaire » - est marqué non seulement par son nom, qui fait étroitement référence au marxisme, mais aussi par sa confrontation avec le Parti communiste français. Les gauchistes, qui se sont regroupés avant 1968 dans l'opposition à la guerre du Viêt-nam, ont été les vecteurs et les haut-parleurs de la contestation multiforme des années post-68, qui entendait, à la fois, « transformer le monde » et changer la vie. Les utopies vont se dissoudre dans la crise économique, puis dans l'État socialiste.