Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Barère de Vieuzac (Bertrand),

homme politique (Tarbes 1755 - id. 1841).

Bertrand Barère de Vieuzac incarne une capacité politique peu répandue pendant la Révolution : celle de durer malgré l'exposition au plus vif du pouvoir.

Ses biographes ont hésité entre deux qualifications : « géant de la Révolution » ou « habile rhéteur ». Comment peut-on devenir le porte-parole du Comité de salut public, être désavoué par Robespierre le 8 thermidor an II (26 juillet 1794), être thermidorien le 10, mais accusé en ventôse an III (mars 1795) ? Cette vie politique adhère au processus révolutionnaire dans ses multiples reformulations. Est-ce pour autant que la tactique s'oppose à la conviction ?

Un député jacobin.

• Élu député du tiers de Bigorre à 34 ans, ce fils de procureur, avocat au parlement, dispose en 1789 d'une assise provinciale et parisienne. Dès la réunion des États généraux, il est de tous les débats importants. Constituant actif, il fait restituer aux descendants des protestants leurs propriétés invendues, travaille à la création du département des Hautes-Pyrénées, adopte des positions radicales en faveur du séquestre des biens des émigrés et du contrôle des contributions par le seul pouvoir législatif, s'oppose au lobby colonial. Membre de la loge des Amis de la vérité, jacobin, il s'oppose à Barnave et à Sieyès. Élu par son département à la Convention, il n'accepte que par défaut le régime républicain. Il joue alors un rôle de médiateur entre montagnards et girondins, et préside le Comité de législation. Président de la Convention à partir du 29 novembre 1792, il prend parti contre l'appel au peuple, vote la mort du roi, rédige la proclamation au peuple français annonçant son exécution. S'il prononce l'appel à la « levée des 300 000 hommes », il s'oppose à la création du Tribunal révolutionnaire. Membre du Comité de salut public dès le 7 avril 1793, il prend position contre les girondins, mais aussi contre la Commune dans les événements des 31 mai et 2 juin.

Le héraut.

• Barère devient le porte-parole du Comité de salut public parce qu'il associe impartialité, vertu morale et radicalité, la seule qualité révolutionnaire qui soit. Avant de fustiger la « légèreté académique » avec laquelle Barère parle de la guerre, Robespierre a loué les services de celui qui présente les rapports sur la confiscation des biens des individus mis hors la loi, l'établissement du gouvernement révolutionnaire, les mesures à prendre contre les étrangers, puis contre les Anglais, la mise en accusation de la reine, la langue nationale, l'assistance aux malheureux... Mais, lorsque Barère fait entrer Carnot au Comité de salut public, le 14 août 1793, ce dernier ne cesse de s'opposer à la politique sociale de Robespierre et de se heurter à Saint-Just sur la conduite de la guerre. Barère le soutient objectivement par ses récits de bataille enflammés. Ce ne sont pas des personnes qui sont en jeu mais des conceptions politiques opposées. Par pragmatisme, Carnot et Barère admettent que la guerre défensive puisse devenir une guerre de conquête, pourvu que la République française y trouve son intérêt. À l'inverse, pour Robespierre et Saint-Just, il faut mener une guerre défensive radicale contre l'ennemi anglais mais ne pas se laisser subvertir par la soif de conquête.

Le conciliateur coupable.

• Le 5 thermidor, Barère prononce un décret de réconciliation des comités, lequel divise en fait l'assemblée entre partisans de Carnot et partisans de Saint-Just. Le 7 thermidor, Barère évoque la renaissance des factions dont seraient responsables Robespierre et Saint-Just. Le 8, Robespierre accuse ses ennemis et, si Barère reste attentiste le 9, il prononce le lendemain la « Proclamation au peuple français » qui donne la version officielle du 9 Thermidor : « Le 31 mai, le peuple fit sa révolution, le 9 thermidor, la Convention nationale a fait la sienne ; la liberté applaudit également à toutes les deux. » Quelques mois plus tard, ce ténor de l'an II est l'un des quatre grands coupables condamnés à la déportation par les thermidoriens. Il s'évade et confirme son engagement jacobin par des écrits, en particulier sur les colonies et l'Angleterre, et, enfin, tente à nouveau de se faire élire dans son département.

Barnave (Antoine Pierre Joseph Marie),

homme politique (Grenoble 1761 - Paris 1793). Jeune avocat au parlement de Grenoble, il participe, dès 1787, à l'agitation anti-absolutiste et à la campagne pour la convocation des états généraux de 1789.

Un engagement précoce.

• Dans ses écrits, imprégnés de la philosophie politique de Montesquieu, il se prononce en faveur de la séparation des pouvoirs et d'une Constitution à l'anglaise, mais accuse bientôt la magistrature de n'agir qu'à son seul profit. Durant l'été 1788, il est, avec Mounier, l'un des artisans de la résistance active du Dauphiné et contribue, notamment dans la décisive assemblée de Vizille, au rapprochement entre ordres privilégiés et notables bourgeois. Député aux états généraux de 1789, il y œuvre pour la réunion des ordres et le vote par tête, et prête le serment du Jeu de paume, dont il a écrit la formule avec Le Chapelier. Dès lors, devenu l'un des plus actifs dirigeants du parti patriote - il participe à la fondation du Club des jacobins, dont il rédige le règlement -, il s'oppose aux monarchiens et forme, avec Duport et Lameth, le triumvirat qui impose ses vues à la Constituante jusqu'en 1791. Promoteur du compromis entre notables et monarchie constitutionnelle, il a pour premier souci de contenir tant la Contre-Révolution aristocratique que le mouvement populaire. Mais ce grand orateur, aux capacités de réflexion peu communes, s'attire les foudres de la Société des amis des Noirs et des démocrates, et voit son influence et sa popularité décliner à partir de l'automne 1790.

Un retrait tout aussi précoce.

• Après l'arrestation du roi à Varennes, il défend la monarchie constitutionnelle contre la poussée démocratique et républicaine, et prononce, le 15 juillet 1791, un discours important qui consacre l'inviolabilité du roi. Le lendemain, il rompt définitivement avec les jacobins en étant l'un des principaux responsables de la scission des feuillants. Si sa politique triomphe provisoirement, il subit divers échecs à l'Assemblée, et les caricatures le montrent comme vendu à la cour. De fait, entre juillet 1791 et janvier 1792, il entretient une correspondance secrète avec Marie-Antoinette, qu'il conseille, espérant sincèrement rallier la cour à la Constitution de 1791. Sans mandat sous la Législative, il continue de conseiller les ministres, puis se retire en Dauphiné en janvier 1792. La découverte d'un document compromettant dans le cabinet du roi, lors de la révolution du 10 août 1792, provoque son arrestation le 19 août. Transféré à Paris après quinze mois de prison en province, Barnave est condamné à mort par le Tribunal révolutionnaire et guillotiné le 29 novembre 1793. Il laisse une Introduction à la Révolution française, ouvrage clairvoyant, rédigé pendant sa captivité et publié en 1843, qui présente le phénomène révolutionnaire comme l'aboutissement d'une longue évolution économique et sociale.