Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Révolution française (suite)

Le régime va trouver sa légitimité dans ses succès militaires : tandis que les dangers extérieurs persistent et que les complots royalistes sont nombreux, l'armée continue d'identifier la nation à la Révolution. En outre, les réussites militaires assurent des rentrées d'argent et de denrées qui compensent la désorganisation économique. Les opposants sont présentés comme des ennemis, d'autant que les forces des émigrés sont dorénavant intégrées dans les troupes étrangères. En Vendée, Charette et Stofflet sont capturés et fusillés ; en Bretagne, les chouans sont obligés de dissoudre leurs bandes et de limiter leurs opérations. À l'extérieur, la Convention thermidorienne puis le Directoire peuvent se prévaloir de réussites notables. Le succès des offensives françaises et l'épuisement des combattants conduisent plusieurs pays européens à accepter l'ouverture de négociations. Des traités de paix sont signés : traités de Bâle avec la Prusse en avril 1795, puis en juillet avec l'Espagne, de La Haye avec la Hollande en mai. Seuls la Grande-Bretagne et l'Empire d'Autriche continuent la guerre, mais les frontières sont libérées et la Belgique occupée.

Cette situation permet la réorganisation de la vie publique : l'école, l'hôpital, l'armée, font l'objet d'une attention particulière, cette dernière devenant l'une des institutions les plus importantes du régime. La loi Jourdan-Delbrel (1798) jette les bases de la conscription, et celle du 28 germinal an VII (17 avril 1799) autorise la pratique du « remplacement », les jeunes gens désignés par le tirage au sort pouvant, moyennant finance, présenter un remplaçant.

En revanche, l'État reste impuissant face aux difficultés économiques et à l'aggravation des conditions de vie. La démonétisation de l'assignat puis du « mandat territorial », l'incapacité à faire rentrer les impôts affaiblissent l'économie, si bien que les emprunts effectués auprès du bey d'Alger et de commerçants de Hambourg, la vente des biens nationaux belges, les envois d'argent depuis l'Italie ne peuvent suffire à redresser les finances publiques, mises à mal par un agiotage effréné. En septembre 1797, le Directoire décrète la banqueroute dite « des deux tiers » : un tiers de la dette publique est consolidé, les deux autres tiers étant remboursés en bons au porteur, qui se déprécient immédiatement. Les créanciers de l'État sont donc brutalement spoliés, entraînant la ruine des rentiers, tandis que les fournisseurs des armées et les spéculateurs s'enrichissent. Le système politique, qui essaie de conjuguer la centralisation administrative, amorcée en 1793, avec l'autonomie accordée aux institutions départementales depuis 1789, ne peut trouver dans le pays de soutiens suffisants. Sa faiblesse résulte de son échec social. Deux années de disette, en 1794 et 1795, ont répandu la misère parmi les couches urbaines pauvres, devenues politiquement muettes. Les écarts sociaux n'ont jamais été aussi provocants depuis 1789 ; la prospérité des nouveaux riches est une véritable insulte face à la déchéance des puissants déclassés ou des jacobins déchus. La jeunesse dorée des villes inaugure des modes vestimentaires qui s'opposent au rigorisme moral et politique de la période précédente, marquant ainsi sa victoire sociale et politique avec ostentation, jusque dans la coupe des cheveux ou l'abandon de la carmagnole.

Alors que les réseaux contre-révolutionnaires connaissent une activité sans précédent, que les jeunes nobles émigrés viennent clandestinement encadrer les chouans, les classes populaires sont écartées de la vie politique. Cela explique l'ultime tentative de résurrection des pratiques sans-culottes faite par Gracchus Babeuf, qui préfigure l'action des avant-gardes sociales des XIXe et XXe siècles tout en prolongeant certains idéaux révolutionnaires. En 1796, Babeuf organise un parti « plébéien » clandestin, formé d'anciens jacobins et de militants sans-culottes de l'an II, et doté d'un « comité insurrecteur » (ou « directoire secret de salut public »), qui fomente un coup d'État. Le projet trouve un écho parmi les ouvriers parisiens touchés par la crise de subsistances. Cependant, le 10 mai 1796, Babeuf est arrêté par la police, qui avait infiltré son mouvement ; traduit, un an plus tard, devant la Haute Cour de justice, il est exécuté en mai 1797. Son procès coïncidant avec la découverte d'un complot militaire imputé à des opposants de gauche, le Directoire réprime violemment les derniers représentants de la gauche jacobine. Ces coups portés à la gauche suscitent, involontairement, la naissance d'une tradition révolutionnaire soucieuse d'égalité sociale et dénonciatrice de la révolution « bourgeoise ». Le climat social s'améliore après 1796, grâce à des récoltes abondantes ; mais si la baisse des prix des denrées alimentaires soulage les classes populaires urbaines, elle entraîne des pertes de revenu chez les producteurs ruraux. Le marasme industriel est général, sauf dans quelques secteurs (coton, charbon et métallurgie), tandis que le trafic des ports de l'Atlantique continue de subir les effets de la guerre avec la Grande-Bretagne et de l'interruption du commerce colonial. L'économie française, exsangue, peine à retrouver un rythme de croissance. Toutes ces conditions difficiles et ces combats politiques complexes permettent de comprendre les contradictions dans lesquelles les dirigeants sont enfermés ; loin d'être seulement un régime « bourgeois », comme l'a assuré une partie de l'historiographie, ou de ne constituer qu'une transition incertaine, le Directoire illustre, par ses errements, la difficulté à entreprendre des choix devant les multiples voies ouvertes depuis 1789 et à ne pas céder à la tentation constante de résoudre les oppositions par la force.

Établi par un coup d'État initial, le Directoire échappe à grand-peine à une succession de tentatives de prises de pouvoir. Le brutal arrêt donné aux progrès des royalistes avait favorisé le retour des idées jacobines, avec Babeuf. Après la répression de ce courant, les royalistes tentent de profiter à nouveau de la situation : ils s'appuient sur leurs réseaux, entretiennent des liens avec les chouans de Bretagne et des déserteurs dans toute la France, et rallient à l'idée d'une monarchie parlementaire des révolutionnaires déçus, comme Carnot ou Pichegru. Ce courant royaliste ayant remporté des succès électoraux, les directeurs républicains et les Conseils « épurés » cassent les élections dans 49 départements et condamnent à la déportation 65 personnes (coup d'État du 18 fructidor an V-4 septembre 1797).