Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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physiocratie, (suite)

Une « science économique ».

• Utilisée par Quesnay, l'expression « science économique » fait florès vers 1770 puis pâtit du discrédit qui pèse sur les physiocrates. Ceux-ci croient en l'existence de lois économiques « naturelles », connaissables grâce à l'arsenal que constituent la logique hypothético-déductive, les inférences réalisées à partir de données concrètes (ainsi les dépenses de propriétaires fonciers), la vérification par la statistique et par l'enquête. L'effort de formalisation de leur description synthétique fait naître un vocabulaire spécifique, dénoncé par d'autres penseurs comme un langage ésotérique de la « secte des économistes ». Cependant, le Tableau économique de Quesnay est l'une des premières tentatives de représentation globale de l'économie sous la forme d'un circuit, explicité par l'ébauche d'une comptabilité nationale. C'est encore une des premières analyses macro-économiques de la société articulée en grands agrégats (les trois « classes »). Ainsi, pour les physiocrates, l'État est garant de la propriété privée de la terre, mais non des droits seigneuriaux, et il ne peut taxer que la source des richesses : par conséquent, l'impôt doit être prélevé sur la « classe propriétaire » (les propriétaires fonciers), bénéficiaire du « produit net » de la terre (le produit total diminué des « avances », à savoir les investissements et les frais d'exploitation), à l'exclusion de la « classe productive » (ceux qui mettent la terre en valeur) et de la « classe stérile » (le reste de la population, qui ne fait que transformer ou consommer la matière). Dans l'Homme aux quarante écus, Voltaire raille cette conception qui réserve la ponction fiscale à l'activité censée être encouragée.

L'école physiocrate.

• La physiocratie est en fait une philosophie radicale des Lumières : la vérité de l'ordre naturel doit être portée à la connaissance de tous, et l'ordre politique, s'y conformer ; se substituera à la société d'ordres une hiérarchie de classes socio-économiques dominée par les propriétaires fonciers. La doctrine se fortifie grâce à des réunions de réflexion (en 1767, « dîners du mardi » du marquis de Mirabeau, père du révolutionnaire), à des périodiques de propagande (Éphémérides du citoyen, puis Nouvelles Éphémérides économiques de l'abbé Baudeau ; Journal de l'agriculture, du commerce et des finances de l'abbé Roubaud), aux premiers manuels d'économie (de Mirabeau : Leçons économiques, 1770, ou Abrégé des principes de l'économie politique avec le margrave de Bade, 1772) et à des ouvrages de disciples tantôt censurés, tantôt pensionnés par le pouvoir royal, tels Mirabeau, Le Mercier de la Rivière, Dupont de Nemours ou Le Trosne. Les adversaires de cette théorie ne sont pas moins actifs : ainsi l'abbé Galiani (Dialogues sur le commerce des blés, 1770), Linguet (Théorie des lois civiles, 1770 ; Réponse aux docteurs modernes, 1771), Necker, (Éloge de Colbert, 1773 ; Sur la législation du commerce des grains, 1775), l'abbé Mably, Forbonnais, etc. Les idées défendues par les physiocrates, comme celles de leurs détracteurs, ont contribué au développement de l'« agromanie » à la fin du XVIIIe siècle, à l'acclimatation du libéralisme et à la professionnalisation de l'économie. Adam Smith et Karl Marx ont salué les apports de la physiocratie à la théorisation économique.

Pichegru (Jean-Charles),

général (Les Planches-près-Arbois, Jura, 1761 - Paris 1804).

Né dans une famille paysanne, Pichegru devient soldat en 1780. Il est sergent-major en 1789 et s'engage en faveur de la Révolution en participant au Club des jacobins de Besançon. En octobre 1792, il est élu lieutenant-colonel d'un bataillon de volontaires et va servir dans l'armée du Rhin. Sa carrière suit dès lors une progression spectaculaire : général de brigade en août 1793, il dirige l'armée du Rhin en octobre, puis celle du Nord en février 1794. Il participe à la conquête de la Belgique, avant de s'emparer, en janvier 1795, de la flotte hollandaise. Il se trouve à Paris en avril, quand éclate l'insurrection populaire du 12 germinal. La Convention lui confie le commandement des forces de répression. En mai, alors qu'il a rejoint l'armée de Rhin-et-Moselle, il est approché par des agents royalistes. Contre une forte somme d'argent, il s'engage à servir la restauration de la monarchie. De fait, il mène très mollement la campagne d'été de 1795, à tel point qu'il se rend suspect et doit démissionner en mars 1796. L'année suivante, Pichegru est élu au Conseil des Cinq-Cents et se pose en dirigeant royaliste. Le coup d'État de fructidor ruine ses espoirs : il est déporté en Guyane, d'où il s'évade en 1798 pour se réfugier à Londres. Il participe au complot de Cadoudal, mais il est arrêté à Paris, en février 1804. On le retrouve mort dans sa cellule le 5 avril. Assassinat ou suicide ? La seconde hypothèse semble plus probable, car Bonaparte avait intérêt à ce que Pichegru puisse témoigner dans le procès contre Cadoudal et Moreau.

Picquart (Georges Marie),

officier dreyfusard, l'une des principales figures de l'Affaire (Strasbourg 1854 - Amiens 1914).

Issu d'une famille alsacienne catholique assez aisée qui a opté pour la France en 1872, Picquart poursuit une très brillante carrière après sa sortie de Saint-Cyr. En juillet 1895, il devient chef du contre-espionnage français, avec le grade de lieutenant-colonel. C'est dans ces nouvelles fonctions qu'il est mêlé à l'affaire Dreyfus.

En mars 1896, il découvre, en examinant une liasse de documents provenant de l'ambassade d'Allemagne, une pièce - le « petit bleu » - qui, confrontée avec le « bordereau » attribué à Dreyfus deux ans plus tôt, innocente le capitaine condamné. Commençant seul une nouvelle enquête, Picquart découvre le vrai coupable : le commandant Esterhazy. Mais ses chefs lui recommandent la prudence. N'acceptant pas de couvrir ce silence, tout en demeurant conscient de ses obligations de réserve, il entre en conflit avec ses supérieurs. Le ministre de la Guerre l'éloigne alors de Paris : il est affecté en Tunisie, en décembre 1896. En décembre 1897, il est rappelé à Paris pour être interrogé par la justice militaire, qui le fait incarcérer au mont Valérien, le 13 janvier 1898. Les événements ultérieurs devenant favorables aux dreyfusards, il est libéré le 13 juin 1899. Ce séjour en prison lui confère la stature d'un véritable « héros ». Promu général, il est récompensé, après l'Affaire, par Clemenceau, qui le nomme ministre de la Guerre en 1906. Il meurt, prématurément, des suites d'une chute de cheval.