Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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préhistoire (suite)

Le temps des amateurs

Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, les fouilles préhistoriques se systématisent. Elles visent à distinguer des périodes successives, dénommées d'après la faune (« âge du renne », « âge de l'aurochs ») ou d'après des noms de sites (« acheuléen », « magdalénien »), et supposées universelles. Le modèle est celui de la géologie, et les fouilles s'efforcent donc de distinguer des couches superposées, chacune caractérisée par des types d'outils spécifiques, dits « fossiles directeurs ». Les terrasses de la Somme et les grottes du Périgord sont des lieux de recherches privilégiés ; les noms de périodes définies sur des sites français sont ensuite repris pour l'ensemble de l'Europe et même au-delà. Le système le plus achevé est celui de Gabriel de Mortillet, responsable du Musée des antiquités nationales, fondé par Napoléon III, en 1867 : il distingue quatorze périodes, dont nombre d'entre elles sont toujours en usage dans la science préhistorique.

Mais si l'archéologie grecque et romaine a été le fait de professionnels, étant pratiquée par des universitaires, les fouilles préhistoriques, quant à elles, ont été menées par des notables éclairés : magistrats, comme Piette, qui fouille au Mas d'Azil et à Brassempouy ; médecins, comme Capitan et bien d'autres ; ecclésiastiques, comme les abbés Breuil ou Bouyssonie, qui découvrent la première tombe néanderthalienne en 1908 ; instituteurs, comme Peyrony, aux Eyzies. Il s'agit dans certains cas de militants républicains, pour lesquels la mise en évidence d'une « histoire naturelle de l'homme » sert à contrecarrer les dogmes religieux. La découverte de peintures préhistoriques dans la grotte espagnole d'Altamira (1879) relance le débat sur le psychisme des premiers hommes.

Préhistoire et protohistoire n'ont cependant en France que peu de soutien institutionnel car, contrairement à d'autres pays, elles ne jouent qu'un faible rôle dans la constitution de l'identité nationale d'un pays unifié de longue date. Dès le début du XXe siècle, la préhistoire s'appuie, en Allemagne comme en Europe centrale et septentrionale, sur un puissant réseau de chaires universitaires et de musées régionaux. Il n'en est pas de même en France : le pays prend bientôt un net retard scientifique, aggravé par la saignée démographique de la Première Guerre mondiale, puis par la crise économique de l'entre-deux-guerres.

Le renouveau des méthodes

Il faut attendre les années 1960 pour assister à un renouveau général de la préhistoire en France. De nouvelles méthodes de datation sont découvertes, fondées sur la mesure de l'évolution physico-chimique dans le temps de certains matériaux : dégradation du carbone 14 dans les restes organiques (de loin, la méthode la plus employée, mais qui ne remonte guère au-delà de 40 000 ans), transformation du potassium en argon, absorption progressive de certains éléments du sol (thermoluminescence, résonance paramagnétique, fluor, uranium), enregistrement de l'intensité et de la direction du champ magnétique terrestre (archéomagnétisme). Certaines méthodes sont restées expérimentales (racémisation des acides aminés, hydratation des obsidiennes), d'autres comportent de nombreuses limites, presque toutes admettent une large marge d'incertitude (de plusieurs siècles au moins pour le carbone 14). Une seule, la plus simple, peut fournir des dates certaines si les échantillons sont de qualité : c'est la dendrochronologie qui, par le comptage des cernes annuels de croissance des arbres, peut dater à un an près, et jusque vers 6 000 ans avant notre ère environ, l'année d'abattage d'un arbre - notamment pour les poteaux de construction d'une maison. Même si le bois ne se conserve qu'exceptionnellement, cette méthode a permis d'évaluer les marges d'erreur des autres méthodes.

Outre les procédés de datation, de nombreuses autres méthodes d'analyse se sont développées : identification des pollens des plantes (qui permet de reconstituer l'environnement et l'économie agricole) ; étude des résidus chimiques dans les poteries, indiquant leur contenu originel ; analyse microscopique des traces d'utilisation sur les outils de pierre ; identification de l'origine géologique des matières premières (argile des poteries, outils de silex, d'obsidienne ou de roches diverses, cuivre, etc.), qui nous renseigne sur la provenance et la circulation des objets ; composition chimique des ossements humains, qui varie avec le mode d'alimentation, etc. En outre, l'informatique a permis de traiter des quantités d'informations considérables, en même temps qu'elle conduisait à réfléchir sur les mécanismes de raisonnement des archéologues. Cette batterie de méthodes, qui ne cesse de s'enrichir, apporte des informations essentielles à la connaissance des modes de vie passés ; elle a aussi permis de ne plus s'intéresser seulement au classement chronologique des civilisations anciennes, mais à la reconstitution minutieuse de leur économie et de leur société.

L'étude du fait social

Les méthodes de fouilles en ont été transformées, car elles ne pouvaient plus se contenter d'une collecte des objets jugés les plus significatifs, dans le seul but d'établir la succession des couches archéologiques. Ce changement est allé de pair avec une évolution des sciences humaines en général et avec la diffusion à l'intérieur de ces sciences du structuralisme, mode d'approche qui met l'accent sur l'étude d'un phénomène, d'une société, à un même moment du temps, plutôt que dans le temps. Cette perspective, apparue d'abord en linguistique avec Saussure, est étendue à l'ethnologie par Lévi-Strauss, puis à la préhistoire par Leroi-Gourhan. Venu significativement de l'ethnologie, ce dernier, après la Seconde Guerre mondiale, applique l'approche structuraliste aux méthodes de fouilles, à l'étude des techniques et même à l'analyse de l'art paléolithique. Même si les archéologues soviétiques ont, dès les années 1920, commencé à fouiller de larges surfaces afin de retrouver l'organisation d'un campement ou d'un village, ce n'est qu'avec Leroi-Gourhan que ce point de vue commence à s'imposer peu à peu en France.