Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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monarchie absolue. (suite)

Dans un climat d'inquiétude religieuse, le monarque cristallise sur sa personne les élans de la culture populaire en faveur d'un roi paternel, protecteur, guérisseur ; les cérémonies, les voyages des souverains, développent ce culte. À la Renaissance est par ailleurs favorisée l'héroïsation du prince, à la fois beau, valeureux et sage, comme en témoigne le célèbre tableau de François Ier du château de Fontainebleau. En outre, la dure rivalité avec Charles Quint pousse à la consolidation des liens entre le roi, le royaume, l'État et la nation française ; d'ailleurs, la guerre ne cessera d'être « le plus puissant facteur de transformation de la monarchie » (Roland Mousnier). Les historiens sont divisés sur l'interprétation à donner de l'interaction entre cette transformation et l'évolution de la société française. Plutôt que de lier l'« absolutisme » aux intérêts d'une seule catégorie sociale (noblesse ancienne, noblesse de robe ou bourgeoisie) ou de n'envisager celui-ci que comme le couronnement de la société d'ordres, on peut observer la coïncidence entre la montée du pouvoir absolu et l'exacerbation des rivalités entre des classes sociales ou des fractions d'ordres rivales. L'influence des guerres de Religion prête moins à discussion : des travaux récents (ceux de Denis Crouzet, notamment) confirment qu'après l'affaiblissement du prestige royal et les menaces contre l'unité du royaume, le besoin de sécurité et d'autorité a largement contribué à accentuer, sous Henri IV, les inflexions multiformes vers la monarchie absolue.

L'affirmation de la souveraineté indivisible et les ultimes légitimations.

• À la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, cette affirmation passe d'abord par l'énoncé plus ferme de certains principes, parmi lesquels deux sont décisifs. Le premier se résume dans « l'unification des deux corps du roi » (Michèle Fogel), c'est-à-dire, d'une part, le corps physique et mortel, d'autre part, le corps symbolique et abstrait, autrement dit la fonction royale qui unit la couronne et le royaume sur le mode de l'immortalité. Ainsi, l'un des premiers, Michel de L'Hospital interprète la maxime « le mort saisit le vif » dans le sens « l'autorité passe sans interruption du roi défunt à son successeur légitime ». Jean Bodin reprend l'idée quelques années plus tard, et, au moment de l'assassinat d'Henri IV (1610), la continuité dynastique s'impose au bénéfice du jeune Louis XIII. Le second postulat stipule que la souveraineté ne peut se partager et appartient donc tout entière au roi légitime. À partir du dernier quart du XVIe siècle, ce principe est défendu par de nombreux juristes (Jean Bodin, la République, 1576 ; Guy Coquille, Institution du droit des Français, 1605 ; Charles Loyseau, Traité des seigneuries, 1613). Cette théorisation répond notamment aux thèses monarchomaques et tyrannicides (qui légitiment l'éviction ou l'assassinat d'un souverain jugé indigne) ou bien s'oppose aux résurgences des entreprises de partage de la souveraineté (Ligues diverses...). En 1632, Cardin Le Bret énonce la formule qui résume l'évolution : « La souveraineté n'est pas plus divisible que le point en géométrie. »

Dans le même temps, on commence à invoquer la raison d'État. Cardin Le Bret explique notamment que « pour subvenir à une nécessité pressante pour le bien public, le prince a la puissance de disposer des terres des particuliers contre leur volonté ». Il s'agit évidemment pour le roi d'accroître les ressources de l'État sans consulter les corps de la nation - on remarquera que les états généraux ne sont plus réunis après 1614. Richelieu, quant à lui, précise que, lorsque la sûreté du royaume l'exige, la raison d'État peut prévaloir sur la justice ordinaire.

La théorie du droit divin achève la systématisation de la monarchie absolue à la française. Progressivement, à partir de 1614, on passe de l'idée que le roi agit à l'image de Dieu à celle selon laquelle il détient directement son pouvoir de Dieu. Le roi se définit lui-même comme « lieutenant de Dieu sur terre », n'ayant donc de compte à rendre qu'à Dieu (voir, par exemple, les Mémoires de Louis XIV). Bossuet, « théologien prenant le relais des juristes » (François Bluche), n'invoque plus, comme justification de l'autorité royale, que l'origine divine alors que les juristes et la tradition associaient des légitimités croisées. Cet aboutissement n'implique pas la disparition des limites au pouvoir royal.

L'étendue et la pratique des pouvoirs.

• Charles Loyseau résume les prérogatives royales en cinq « actes de haute ou suprême souveraineté, à savoir faire loix, créer officiers, arbîtrer la paix et la guerre, avoir le dernier ressort de la justice et forger monnoye ». Cette définition omet le droit de prélever l'impôt. Louis XIV n'a plus ces scrupules, qui écrit dans ses Mémoires : « Les rois sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposition pleine et libre de tous les biens [...] pour en user comme sages économes, c'est-à-dire selon les besoins de l'État. » C'est aussi à cette époque que se manifeste avec force la prérogative première évoquée par Loyseau, celle de législateur. Traditionnellement, par ses ordonnances (relatives à des questions générales), ses édits (consacrés à un point particulier) et ses déclarations (simple apport de précision sur un texte antérieur), le roi dit le droit. À partir du XVIIe siècle, et surtout après 1665, cette fonction essentielle se traduit non seulement par la juxtaposition de lois, mais aussi par l'établissement des codes qui tendent à créer un droit français unifié.

En parallèle s'étend et se renforce le champ des interventions directes du roi et d'un gouvernement soumis et davantage organisé. L'autorité absolue du monarque se manifeste de trois manières. En premier lieu, le roi prend toutes les décisions en dernier ressort et la disparition du titre de « principal ministre » va dans le sens de la personnalisation tandis que la théâtralisation du cérémonial de cour manifeste la fusion totale entre la personne royale et la chose publique. En deuxième lieu, la réorganisation du gouvernement central vise à augmenter l'efficacité administrative tout en accentuant la maîtrise royale du choix des conseillers et des personnels en dehors des considérations de rang nobiliaire. Enfin, l'envoi systématique, après la Fronde, de commissaires du roi - les intendants de police, justice et finances - développe le contrôle plus direct des provinces à partir du centre de l'État, même s'il faut prendre garde aux modalités effectives de cette centralisation.