Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
M

mort (suite)

La laïcisation est si profonde qu'elle résiste aussi bien aux guerres meurtrières de l'Empire qu'aux volontés de retour en arrière des souverains d'après 1815, et même au zèle conquérant de l'Église catholique triomphante du XIXe siècle. Encore faut-il en souligner l'inévitable lenteur : à la fin du XIXe siècle se déroulent toujours des cérémonies héritées du XVIIe siècle, telle la translation des ossements de l'ossuaire de Trégastel, dont le peintre Poileux Saint-Ange a laissé une description presque photographique. De même, la pompe funèbre ne disparaît des enterrements que bien après le milieu du XXe siècle. Ce ne sont pourtant là que des survivances.

L'Église catholique elle-même a pris beaucoup de recul par rapport aux excès du culte des morts. La presque langoureuse et, en tout cas, l'interminable mort de la Dame aux camélias (1848) indique déjà clairement les voies de l'avenir : l'important réside désormais, et de plus en plus, à mesure que se laïcise la société et que s'élève le niveau de vie, dans les moments qui précèdent la mort. Cette dernière se cache, peu à peu, au XXe siècle, à la maison de retraite, à l'hôpital, si bien que la médicalisation de la mort devient un enjeu de société, à la fin du siècle : à la tuberculose, longtemps mal soignée, ont succédé le cancer et le sida. C'est sur ce terrain que se situent les problèmes éthiques et sociaux, à propos du coût des traitements, de l'acharnement thérapeutique, de la mort assistée et, dans un autre registre, du suicide. Dans ce contexte, qui se double de l'apparition quantitativement importante d'un « quatrième âge », se développe le souci d'accompagnement des mourants, signe tragique de l'effacement de solidarités très anciennes.

Il n'en demeure pas moins qu'au lieu de nous préoccuper, comme au XIIIe siècle, de ce qui suit la mort, nous nous préoccupons aujourd'hui de ce qui la précède. La place sans cesse croissante des rites de la Toussaint, la générosité avec laquelle nous entretenons le culte des héros - monuments aux morts, noms de rue, « panthéonisation » -, indiquent peut-être que ce bouleversement culturel a laissé, sinon des remords, du moins quelques regrets.

Moulin (Jean),

homme politique et résistant (Béziers 1899 - au cours de son transfert en Allemagne, 1943).

Son père, élu local du Parti radical et franc-maçon, lui inculque un profond sentiment républicain. Après des études de droit, Jean Moulin entreprend une carrière administrative. Il est, successivement, le plus jeune sous-préfet (Savoie, 1925), puis le plus jeune préfet de France (Aveyron, 1937). Lors de son passage en Savoie, il se lie avec Pierre Cot, député du département, et participe à plusieurs cabinets de ce dernier, de 1932 à 1938 (par exemple, au ministère de l'Air, en 1936). Même s'il n'adhère pas au Parti radical, il est politiquement proche des « Jeunes-Turcs » du parti (Cot, Mendès France, Zay) et partage leur engagement antifasciste et antimunichois. Culte du service de l'État, jacobinisme, attachement viscéral à la République et antifascisme sont, à la veille de la guerre, les traits dominants de la pensée politique de Jean Moulin.

La Résistance.

• Son engagement dans la Résistance apparaît comme le prolongement de ses positions d'avant-guerre. En juin 1940, préfet d'Eure-et-Loir, il tient tête aux Allemands et tente de se suicider plutôt que de parapher un texte infamant pour l'armée française. En novembre 1940, Jean Moulin est destitué par le gouvernement de Vichy. Après avoir pris contact avec divers groupes de résistants, il gagne Londres, en octobre 1941, où il se rallie au général de Gaulle. Celui-ci le désigne comme son représentant en France et le charge de réaliser l'unification de la Résistance intérieure.

Le 1er janvier 1942, Jean Moulin est parachuté dans la région des Alpilles. Sa mission consiste à unifier les trois grands mouvements de la zone sud (Combat, Libération, Franc-Tireur). Au printemps 1942, il commence par mettre en place des organes communs, tels le Bureau d'information et de presse - une sorte d'agence de presse de la Résistance, confiée à Georges Bidault - et le Comité général d'experts - animé par François de Menthon et Alexandre Parodi, et chargé de réfléchir aux réformes pour l'après-guerre. Il prend également les premières mesures en vue de l'unification militaire, en organisant un service radio, ainsi qu'un service des opérations aériennes et maritimes. En novembre 1942, il institue un comité de coordination des trois grands mouvements de la zone sud, un premier pas vers la fusion de ces derniers dans les Mouvements unis de Résistance (MUR), en janvier 1943. Revenu à Londres, il reçoit de nouvelles instructions du général de Gaulle, en février 1943. Élevé au rang de ministre du Comité national français, il a dorénavant pour mission d'unifier l'ensemble de la Résistance dans un Conseil national placé sous l'autorité de la France combattante.

Pourtant, les divergences ne manquent pas entre Moulin et les chefs de la Résistance intérieure, en particulier Frenay, le principal dirigeant de Combat : ceux-ci s'opposent à la séparation entre le politique et le militaire qui leur est imposée (constitution de l'Armée secrète, sous le commandement du général Delestraint) ; ils critiquent également le refus de l'action immédiate que leur oppose Moulin et, surtout, sa volonté de réintroduire les partis politiques. Aidé par le travail de Pierre Brossolette et du colonel Passy en zone nord, Moulin parvient, en mai 1943, à former le Conseil national de la Résistance (CNR), qui réunit mouvements de résistance, partis politiques (dont le PCF) et syndicats. Le 27 mai, lors de sa première réunion, à Paris, le CNR présidé par Jean Moulin proclame son allégeance à de Gaulle. Le 21 juin, à Caluire, dans la banlieue de Lyon, Jean Moulin est arrêté par la Gestapo avec les responsables militaires des MUR. Torturé par les agents de Klaus Barbie, il ne parle pas. Épuisé, il meurt lors de son transfert en Allemagne.

La mémoire de Jean Moulin fait l'objet de douloureux débats. La République gaullienne choisit de faire de lui le héros posthume de la Résistance. Après l'impressionnant transfert de ses cendres au Panthéon et le magnifique hommage rendu par André Malraux en 1964, Jean Moulin va donner son nom à quantité de rues ou de lycées. Pourtant, à la suite des attaques de Frenay (l'Énigme Jean Moulin, 1977), certains, contre toute vraisemblance historique, ont voulu voir en lui un agent soviétique.