Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Laplace (Pierre Simon, marquis de),

mathématicien et physicien (Beaumont-en-Auge, Normandie, 1749 - Paris 1827).

Contrairement à la légende, Laplace n'est pas issu de la petite paysannerie normande : d'origine modeste, il compte cependant dans sa famille quelques personnalités influentes, notamment un conseiller du roi. Il poursuit d'ailleurs un cursus représentatif d'un tel milieu : collège local, puis université à Caen. C'est là, entre 1766 et 1768, qu'il s'initie aux mathématiques. Remarqué par d'Alembert, il entre, quelques années plus tard, en 1773, à l'Académie des sciences. Il publie alors de nombreux travaux, seul ou en collaboration avec les plus grands esprits du temps, tels Condorcet ou Lavoisier, avec lequel il fonde, dans un mémoire de 1783, la calorimétrie. Au cours de la Révolution, ce savant reconnu s'engage dans la rénovation du système institutionnel scientifique : il est membre de la commission temporaire des poids et mesures (dont il est exclu pendant la Terreur), puis professeur à l'École normale, membre de l'Institut. Rallié à Bonaparte dès Brumaire, il est couvert d'honneurs, devient sénateur puis comte d'Empire. Véritable maître de la physique française, il publie alors ses principaux ouvrages, dont Exposition du système du monde (1796), sur l'origine du système solaire, et Théorie analytique des probabilités (1812).

Laplace a largement contribué à la mathématisation des phénomènes physiques. Athée rigoureux, il incarne, par ses travaux et par sa carrière, cette génération de savants formés sous l'Ancien Régime qui a mis en place, entre 1794 et 1815, les nouveaux cadres intellectuels et sociaux de l'activité scientifique.

La Revellière-Lépeaux (Louis Marie de),

homme politique (Montaigu 1753-Paris 1824).

Jusqu'en 1789, il vit en propriétaire terrien, après des études de droit et une éducation marquée par un prêtre violent, qui l'aurait rendu contrefait - ce qui lui aurait inspiré un fort anticléricalisme. Élu aux états généraux de 1789, après avoir fait connaître ses principes égalitaires, il se fait remarquer en réclamant, parmi les tout premiers, la déchéance du roi après Varennes. Un temps membre de l'administration départementale du Maine-et-Loire, il est élu à la Convention en 1792 ; il vote alors la mort du roi mais s'oppose à Marat. Tentant d'éviter la scission entre girondins et montagnards modérés, il doit se cacher en 1794 pendant le paroxysme de la Terreur. Il n'est réintégré qu'en mars 1795, défendant toujours une ligne républicaine modérée, hostile au royalisme renaissant. Il participe à la rédaction de la Constitution de l'an III, siège au Conseil des Anciens - dont il devient président -, avant d'être élu Directeur en octobre 1795. Il reste toutefois fervent républicain, luttant autant contre les menées royalistes que contre les babouvistes ; mais il se préoccupe surtout de la lutte religieuse, souhaitant détruire la puissance papale. Il soutient un nouveau culte, la théophilanthropie, sans l'appui des autres Directeurs. Opposé aux menées de Sieyès et de Bonaparte, il est poussé à démissionner en juin 1799. Il refuse ensuite de prêter serment à l'Empire, et se retire définitivement de la vie publique pour rédiger ses Mémoires.

La Reynie (Gabriel Nicolas de),

premier lieutenant général de police de Paris (Limoges 1625 - Paris 1709).

Issu d'une famille de robe, président au présidial de Bordeaux en 1646, il obtient ensuite une charge de maître des requêtes au Conseil d'État. En 1667, Louis XIV confie à ce serviteur dévoué la charge de lieutenant général de la police à Paris, qu'il vient de créer pour surveiller la capitale dont il se méfie. De cette fonction, Saint-Simon a pu dire : « Ce fut en plein un ministère, bien qu'incognito. » Disposant de pouvoirs étendus malgré les conflits avec les échevins et les tribunaux, travaillant directement avec le roi et Colbert, La Reynie quadrille Paris d'un réseau de commissaires et d'informateurs. Surveillant le courrier, contrôlant l'imprimerie, réprimant la mendicité, il régit « crottes, lanternes et catins », dote la ville d'un éclairage public, rénove le pavé, veille à l'approvisionnement en eau et en blé, réorganise le guet. Son travail participe du maintien de l'ordre public quotidien (deux fois par semaine, au Châtelet, le bureau de police juge les flagrants délits), du règlement des scandales familiaux (par les lettres de cachet sont enfermés fils rebelles, épouses coupables, maris pris de folie) et des affaires politiques. Il instruit, en 1679-1680, l'affaire des Poisons, mais Louis XIV freine son zèle lorsqu'il apparaît que Mme de Montespan y est impliquée. Quand il quitte sa charge en 1697, il laisse le souvenir d'un magistrat probe et d'un administrateur actif.

La Rochefoucauld-Liancourt (François Alexandre, duc de),

philanthrope et homme politique (La Roche-Guyon 1747 - Paris 1827).

Issu de la haute aristocratie, grand maître de la garde-robe du roi, il incarne ce courant de la noblesse éclairée soucieuse de progrès économique. Après un voyage outre-Manche en 1769, il fait de sa terre de Liancourt une sorte de ferme-modèle, où il tente d'acclimater les innovations culturales anglaises. Dans un esprit de bienfaisance et de progrès, il encourage la diffusion de l'activité manufacturière, finance la future école d'arts et métiers de Châlons, et soutient les premières expériences de vaccination.

Aux états généraux de 1789, il représente la noblesse du bailliage de Clermont-en-Beauvaisis. À la Constituante, où il est très actif, ce réformateur modéré anime le comité de mendicité. Il rédige de nombreux rapports sur l'état des hôpitaux et sur l'organisation des secours publics, qui, selon lui, doivent être réservés aux seuls invalides, inaptes au travail. Aux autres, un emploi doit être proposé, voire imposé.

Très proche du roi, La Rochefoucauld-Liancourt s'efforce de concilier les idées nouvelles et la monarchie. À Louis XVI demandant, le 12 juillet 1789, « c'est donc une révolte ? », il aurait répondu « non, sire, c'est une révolution ». Au lendemain du 14 juillet, il contribue au rappel de Necker. Après la fuite à Varennes, il continue de défendre la prérogative royale, et participe au Club des feuillants. La chute de la monarchie, le 10 août 1792, le conduit à émigrer, d'abord en Angleterre, auprès de son ami Arthur Young, puis en Amérique. Il reprend alors le titre de duc que détenait son cousin La Rochefoucauld d'Enville, et voyage à l'intérieur des États-Unis, méditant sur le sort des Indiens et des Noirs, et étudiant le fonctionnement des prisons. Rentré en Europe en 1797, il ne peut regagner la France que sous le Consulat, en 1799. Il reprend alors, à Liancourt, ses activités tournées vers le progrès économique et social. Fait pair de France en 1815, il siège au Conseil des hospices, prône l'amélioration du régime pénitentiaire et l'abolition de l'esclavage. En 1818, aux côtés du baron Delessert, grand industriel et banquier, il fonde la première caisse d'épargne, dans le but d'enseigner aux pauvres les vertus de la prévoyance : la philanthropie se veut ici moralisatrice. Fortement teintée de conservatisme social, la pensée de La Rochefoucauld-Liancourt paraît toutefois trop libérale à Charles X, qui écarte définitivement celui-ci de toute fonction gouvernementale en 1825.