Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
C

cathares. (suite)

Une hérésie des xiie et xiiie siècles

Le catharisme constitue l'une des expressions de la contestation hérétique qui se manifeste en France dans la seconde moitié du XIIe siècle. Celle-ci puise à deux sources essentielles : l'anticléricalisme, attisé par l'enrichissement de l'Église et la volonté d'accéder directement - sans médiation cléricale - à la parole de Dieu, d'une part ; et le désir d'un retour à la simplicité de la vie évangélique, que les hérétiques partagent d'ailleurs avec certains courants réformateurs de l'Église, de l'autre. Parmi les différentes dissidences qui se développent alors, celle des cathares est sans doute la plus radicale, puisqu'ils estiment que l'Église ne peut pas se réformer. Voilà pourquoi le catharisme fut perçu par l'institution ecclésiale comme un danger majeur. Au-delà de la dissidence anticléricale, il construit une contre-Église, et se pose comme un rival du catholicisme. Et l'hérésie « contamine » - pour utiliser un vocabulaire de l'infection courant chez les prédicateurs - rapidement des régions entières.

Géographie de l'extension du catharisme.

•  La première attestation de l'hérésie cathare date de 1163 : le concile de Tours condamne alors l'hérésie nouvelle qui se répand dans le Midi. Peu après, des cathares sont interrogés par un évêque dans le château de Lombers, près d'Albi. À la même époque - les années 1164-1167 -, d'autres témoignages émanent de la France du Nord : Nicolas, évêque de Cambrai, évoque la condamnation, en Allemagne, d'un clerc « convaincu de l'hérésie des cathares ».

Il ne faut donc pas considérer le catharisme comme un phénomène spécifiquement méridional. On en rencontre aussi des foyers importants dans des régions situées plus au nord, notamment à La Charité-sur-Loire, en Flandre et en Champagne. Hors des frontières du royaume de France, il est connu en Italie du Nord et dans les Balkans. Mais il est vrai que sa terre d'élection reste le midi de la France. Pas tout le Midi : ni le Midi atlantique ni l'espace rhodano-provençal ne semblent avoir connu l'hérésie cathare proprement dite. Celle-ci ne concerne qu'une partie du comté de Toulouse centrée autour du Lauragais, avec comme principaux points d'appui Carcassonne, Béziers et, surtout, Albi. C'est dans cette région qu'une ébauche d'Église cathare hiérarchisée apparaît dès la fin du XIIe siècle ; elle s'articule sur la communauté de Fanjeaux, dirigée par le bisbe (dérivé languedocien du terme épiscopus, « évêque ») Guillabert de Castres.

Le dualisme cathare.

•  Même si le « néocatharisme » contemporain insiste sur la haute spiritualité des hérétiques, le succès de l'hérésie s'explique avant tout par sa simplicité doctrinale et liturgique. Encore faut-il avouer que l'écrasante majorité de nos sources sur la foi des cathares émane de ceux qui cherchaient moins à la comprendre qu'à la disqualifier (que ce soit les orthodoxes ou d'autres hérétiques, tels les vaudois, dont la polémique avec les cathares a laissé des témoignages à la fin du XIIe siècle). C'est pourquoi certains historiens considèrent aujourd'hui l'hérésie médiévale comme un produit du discours de l'orthodoxie : ceux qui s'opposent à l'Église sont traités d'hérétiques et, de ce fait, finissent par le devenir. Pourtant, les registres de l'Inquisition permettent parfois d'entendre, derrière la gangue du discours répressif et normatif, la voix des accusés. Aussi peut-on tenter de définir - à grands traits - la doctrine et la pratique cathares.

Le catharisme est un dualisme. Pour les « bonshommes » - les simples croyants -, le monde est le théâtre d'une lutte permanente entre le bien et le mal. Le principe du bien appartient au monde de l'esprit, tandis que la matière et la chair sont des créations du mal. L'homme est pris entre les deux règnes : il est un esprit empêtré dans la matière, dont il doit se défaire pour atteindre au bien. Jésus-Christ (dont le corps n'était qu'apparence) a montré le chemin. Il peut sauver les hommes, non par sa souffrance, mais par son enseignement. Or l'Église dissimule la réalité de cet enseignement, refusant de reconnaître la portée révolutionnaire des Évangiles, qui, seuls, sont divins, car l'Ancien Testament est l'œuvre du mal.

Le catharisme offre à des esprits tourmentés une religion rassurante : seuls les « parfaits » sont tenus à un strict ascétisme. Pour les autres, c'est-à-dire l'immense majorité des croyants, une certaine liberté de mœurs est permise. S'initier à l'hérésie n'est donc ni difficile ni contraignant. Le culte cathare se rapproche de l'Église des premiers temps du christianisme. La liturgie est ramenée à un sacrement unique : le consolamentum, l'imposition des mains, qui, à la fin de la vie, arrache le « consolé » à la matière pour lui frayer un passage vers le monde de l'esprit.

Quelles origines orientales ?

•  Les historiens ont longtemps cherché des origines orientales au dualisme cathare, l'assimilant aux hérésies manichéennes qui se développaient alors aux marges de l'Empire byzantin. On a soutenu l'hypothèse d'une influence de l'hérésie bogomile (d'origine bulgare) que les chevaliers de la deuxième croisade (1147-1149) auraient découverte et introduite en Occident. Dans le même ordre d'idées, certains historiens ont longtemps affirmé l'existence - aujourd'hui très contestée - d'un « concile » cathare en Lauragais, à Saint-Félix-de-Caraman, vers 1167, où un évêque de Constantinople nommé Niquinta aurait initié les communautés languedociennes aux doctrines manichéennes issues de Bulgarie.

L'historiographie traditionnelle n'aurait-elle pas été victime d'un effet de la propagande antihérétique, qui assignait une origine étrangère au catharisme pour mieux le disqualifier (et ce, dans le contexte politique de la quatrième croisade de 1202-1204, alors que croissait un sentiment d'hostilité envers les Grecs) ? En présentant le catharisme comme une hérésie venue d'Orient, prédicateurs et inquisiteurs masquaient les liens très ambigus qui unissent toujours dissidence et orthodoxie. En effet, point n'est besoin d'aller chercher en Bulgarie les origines du dualisme : le catharisme développe, en réalité, une tendance dualiste du christianisme, que la scolastique, à ses débuts, avait largement exposée.