Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Juifs (suite)

Les persécutions se poursuivent durant les XVe et XVIe siècles, entraînant le départ de la majorité des Juifs du Dauphiné et de Savoie. En Provence, où l'on compte environ 30 000 Juifs dispersés dans une soixantaine de localités lorsque la province passe sous souveraineté française en 1481, les villes où ont éclaté des manifestations populaires d'antijudaïsme demandent l'une après l'autre l'expulsion des Juifs. Les ordres d'expulsion, édictés à partir de 1498, sont définitivement appliqués en 1501.

Les communautés juives sous l'Ancien Régime

À la fin du Moyen Âge, ne demeurent donc plus sur le territoire de la France que quelques familles juives en Savoie, une petite communauté à Nice, 2 000 âmes en Avignon et dans le Comtat, quelques milliers en Alsace. La Lorraine accueille de nombreux Juifs à partir du XVIe siècle, tandis que les marranes d'Espagne et du Portugal s'installent dans le Sud-Ouest. L'histoire de la population juive durant cette période est d'abord celle de quatre grandes communautés, établies à l'Est, en Provence et dans le Sud-Ouest.

À Metz, les Juifs ont reconstitué un centre actif à la suite de l'entrée des troupes françaises, en 1552. La garnison, en place dans les Trois-Évêchés, profite des moyens que les Juifs - prêteurs d'argent - mettent à sa disposition, et, malgré les protestations des catholiques de la ville, leur nombre s'accroît régulièrement, tandis que les rois, au nom de l'intérêt de l'État, confirment les privilèges qui leur sont accordés. Dans les duchés de Lorraine, occupés par les troupes françaises de 1633 à 1661, puis de 1670 à 1697, l'opposition de la population locale freine, sans l'interrompre, l'immigration juive ; celle-ci reprend, après 1697, grâce à la politique des ducs qui souhaitent, grâce aux Juifs, favoriser le développement du commerce ; des périodes de réaction s'ensuivent jusqu'à la réunion de la Lorraine à la France (1766), qui entraîne une nouvelle augmentation de la population juive dans cette région.

L'organisation interne de ces communautés repose sur les rabbins et les syndics. Docteurs de la loi, responsables de l'étude, de l'enseignement et de la juridiction, les rabbins sont élus et leur élection est soumise à l'approbation du souverain. Chargés de la police, de la répartition et de la levée des impôts, de la gestion des finances, six à douze syndics sont élus pour trois ans par un système qui assure l'emprise d'une oligarchie de familles aisées. Exclus des corporations qui monopolisent les différentes branches de l'artisanat et du commerce de détail, les Juifs n'ont pas le droit de posséder des biens immeubles - terres et édifices. Ils se spécialisent donc dans le colportage, le commerce des grains ou des bestiaux, ainsi que dans celui des bijoux et pièces d'orfèvrerie, et pratiquent surtout le prêt à intérêt et la vente à crédit. Au cours du XVIIIe siècle, ils sont victimes d'un indéniable appauvrissement.

En Alsace - région caractérisée par un morcellement administratif qui subsiste lors même que l'autorité du roi de France se substitue à celle des Habsbourg -, les Juifs connaissent une grande variété de statuts. Soumis à des mesures restrictives visant leur activité économique, leur capacité juridique et l'exercice du culte, ils sont victimes d'expulsions jusqu'en 1574 en haute Alsace. Au XVIe siècle, on ne compte guère que 100 à 120 familles juives sur l'ensemble de la province ; en 1689, le recensement fait état de 587 familles et leur nombre atteint 3 913 en 1784. Ce développement s'amorce pendant la guerre de Trente Ans, puis s'accentue lorsque l'Alsace passe sous domination française. Certains seigneurs locaux tirent alors profit de la présence des Juifs qui approvisionnent les armées. En 1681, les Juifs d'Alsace se dotent d'un rabbinat. À la fin du XVIIIe siècle, on compte cinq rabbinats officiels. Si la construction de synagogues leur est souvent refusée, les Juifs obtiennent l'autorisation d'exercer discrètement leur culte. Exclus de tous les corps de métier et des corporations, ils vivent de colportage, de friperie, de brocante et de ferraillage, exercent un monopole sur le commerce des chevaux et le prêt sur gages. En majorité ruraux, ils restent les intermédiaires auprès des paysans pour les denrées de première nécessité (bétail, instruments de travail) et le crédit à court terme. À la veille de la Révolution, la communauté d'Alsace est la parente pauvre des juiveries françaises. Elle compte cependant une petite élite, symbolisée par Cerf Berr (Naphtali Hirtz, fils de Berr, 1726-1794), qui œuvre pour améliorer la situation des Juifs (1779-1780 : mémoire adressé à Louis XIV).

Après leur expulsion de Provence en 1501, des communautés juives subsistent cependant dans une douzaine de bourgs ou villes du Comtat Venaissin (Carpentras, Cavaillon, L'Isle-sur-Sorgue, Mornas, Vaison), et également à Avignon, Sorgues, Bédarrides et Gigognan. Tout au long du XVIe siècle, les États du Comtat demandent au pape de décider de l'expulsion des Juifs. Les bulles de Pie V (15 juillet 1569) et de Grégoire XIV (1593) sur cette question restent sans grand effet mais, sous la pression des notables locaux et des commerçants, une législation vexatoire et limitative est mise en place par les papes, ce qui provoque, au siècle suivant, un mouvement d'émigration vers la région de Bordeaux et le Languedoc (1674). Les Juifs sont relégués dans quatre « carrières » (Avignon, Carpentras, Cavaillon et L'Isle-sur-Sorgue), véritables ghettos dont ils ne peuvent sortir que le jour, munis de sauf-conduits et porteurs de signes vestimentaires particuliers (un chapeau jaune ou une marque jaune sur leurs habits ou sur le chapeau noir porté par les hommes). Le nombre de synagogues est limité. Ils sont tenus d'assister à des sermons de prédicateurs chrétiens, ne peuvent avoir à leur service des chrétiens. Il leur est interdit de pratiquer la médecine, d'être propriétaires d'immeubles, maisons ou terres, de se charger des fermes publiques, de faire commerce de marchandises neuves ou de denrées alimentaires. De nombreuses dispositions règlent le prêt à intérêt. Les Juifs se spécialisent donc dans la vente de vêtements usagés et d'étoffes. Malgré les interdictions, ils continuent à exercer le commerce de grains et des céréales ainsi que celui des bijoux. Ils pratiquent aussi le prêt à intérêt, mais les communautés sont souvent elles-mêmes endettées. Répartis selon leurs richesses en trois classes financières, les Juifs sont dirigés par un conseil où chacune des classes est représentée. Les baylons (membres du conseil), responsables de leur communauté devant les autorités chrétiennes, exercent des fonctions de police. Les chantres, ministres principaux du culte, jouent un rôle plus important que les rabbins qui, depuis 1763, tiennent les registres d'état civil.