Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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marine (suite)

Richelieu face aux Espagnols : la naissance de la marine française

Richelieu est le premier homme politique français à concevoir un « grand dessein » maritime pour le royaume. Dès 1626, il obtient de Louis XIII la suppression des anciens amiraux issus de la féodalité, la création, à son profit, de la charge de grand-maître, chef et surintendant général de la Navigation et Commerce de France ; le gouvernement de la plupart des ports du royaume. Il fait venir alors nombre de charpentiers hollandais, crée des chantiers navals à Indret et à La Roche-Bernard et fait construire une première flotte de guerre - dont le fleuron est la Couronne. Allié de la Suède durant la guerre de Trente Ans (1631), le roi dote sa flotte de canons suédois (les meilleurs d'Europe), de chanvre, de mâts, de cuivre, de bois de sapin et autres agrès, créant ainsi les trois premières escadres françaises (1627) : de Guyenne, Bretagne et Normandie, basées respectivement à Brouage, à Brest et au Havre. Trois premiers chefs d'escadre sont alors nommés, et, en 1628, avec l'aide de navires hollandais et maltais, Louis XIII écrase les protestants rochelais, alliés aux Anglais.

À partir de 1635, pour faire face au roi d'Espagne - traditionnel ennemi du Très-Chrétien depuis Charles-Quint -, qui tire sa puissance des « flottes d'argent » du Mexique, le Cardinal impulse une politique coloniale : en 1635, la Martinique est prise par Belain d'Esnambuc ; la Guadeloupe, par Lienart de l'Olive. En 1642 sont créés Fort-Dauphin (Madagascar) et Ville-Marie, future Montréal. Le Cardinal soutient la création de compagnies de commerce, telle celle de Saint-Christophe (1626), et dote les îles françaises d'Amérique d'un gouverneur (1638) et d'un intendant (1642) chargés d'y faire prospérer les premières « habitations » de tabac ou d'indigo.

Une fois les Rochelais battus, les premiers postes de pêche créés outre-mer, les premiers comptoirs de « traite des fourrures » établis, Richelieu donne à la France sa première marine de guerre susceptible de vaincre la puissance maritime dominante : l'Espagne. Dès 1634, il construit la tour Balaguier devant Toulon. En 1635, il achète leur charge aux Gondi, généraux des galères de France depuis 1573, ainsi que leurs îles d'Hyères. La même année, Louis XIII déclare la guerre au Roi Catholique. Aux ordres des neveux de Richelieu, Maillé-Brézé et Pont-Courlay, ou de Sourdis, cardinal archevêque de Bordeaux, les flottes du roi triomphent des galions et galères d'Espagne à Guétaria (1638), Vado (1638), Cadix (1640), Tarragone (1641), Barcelone (1642) et Carthagène (1643). À sa mort, le Cardinal laisse une marine puissante, dirigée par son oncle Amador de La Porte, gouverneur du Havre (1642/1644), et son neveu, Maillé-Brézé, grand maître de la Navigation (1642/1646). Mais celui-ci est tué à Orbitello (1646) alors que meurt Pont-Courlay, général des galères. Lors de la Fronde (1648-1653), la marine, malgré Anne d'Autriche, reine régente et nouveau grand-maître de 1646 à 1650, s'effondre. À la mort de Mazarin, en 1661, elle a quasiment disparu.

« Veaux, vaches, cochons, couvées » symbolisent toujours la richesse fondamentale. Aussi les « gueux de la mer » calvinistes (les Hollandais), indépendants de l'Espagne depuis 1648, détiennent-ils le quasi-monopole du commerce maritime mondial. Ils ne sont que trois millions, mais transportent et distribuent en Europe les épices des Moluques, le poivre, le clou de girofle, la cannelle et le gingembre de l'océan Indien, depuis Batavia. Colbert, qui arrive alors au pouvoir (1661), décide de remédier à cette situation.

Colbert face aux Hollandais : la renaissance de la marine française

Dès 1661, Colbert évince Fouquet, vice-roi des îles d'Amérique et titulaire de nombreuses charges maritimes. Il favorise lui aussi la création de grandes compagnies de commerce : des Indes orientales et occidentales (1664), du Nord, etc., qui ne rencontrent guère plus de succès que celles fondées sous Richelieu. Il crée Sète (1666) et Rochefort (1666), et se lance dans un ambitieux projet de liaison Méditerranée-Atlantique : le canal des Deux-Mers. En 1669, la disparition à Candie du dernier grand-maître de la Navigation, Beaufort, fils et successeur du duc de Vendôme, lui permet de faire supprimer la grande maîtrise par Louis XIV ; de retirer leur pouvoir sur les marines du Levant et du Ponant aux deux secrétaires d'État à la Guerre et aux Affaires étrangères ; de rétablir l'amirauté de France en faveur d'un enfant âgé de 2 ans, le comte de Vermandois, fils du roi et de Mme de La Vallière. Donc, à partir de 1669, Colbert a la haute main sur toute la marine en tant que secrétaire d'État à la Maison du roi, chargé des affaires de Paris, du clergé et de la marine.

Il améliore les ports, cultive le goût du roi pour la mer en installant une flotte miniature sur le Grand Canal de Versailles et dote la marine de structures. Nommés et soldés par le roi, les officiers d'épée - enseignes, lieutenants, capitaines, chefs d'escadre, lieutenants généraux, vice-amiraux - combattront en mer ; les officiers de plume - écrivains, commissaires, intendants - géreront les dépenses ; quant aux officiers de port, ils seront chargés de la conservation des vaisseaux désarmés. Surtout, Colbert entreprend la construction d'une flotte destinée à écraser les Hollandais. Il classe ces vaisseaux neufs, décorés par Puget et Lebrun, en cinq rangs selon leur taille (de 55 à 56 mètres de long, 15 de large) et le nombre de leurs canons de fer ou de bronze. Désormais, le vaisseau de guerre, appelé vaisseau de ligne, car il combat en ligne de file depuis 1664, est totalement dissocié du navire de commerce, autrefois « armé en guerre » à l'occasion d'un conflit.

Fort de ce formidable outil naval (117 vaisseaux, 25 frégates, 44 bâtiments légers, 1 200 officiers, 53 000 gens de mer), Louis XIV livre la guerre de Hollande (1672-1678). En 1676, Duquesne triomphe des Hispano-Bataves en Méditerranée et tue à Agosta le plus célèbre des marins hollandais : Ruyter (1606-1676). Et Louis devient Louis « le Grand » au lendemain du victorieux traité de Nimègue (1678).