Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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folie. (suite)

Cette dialectique est victime du coup d'arrêt culturel, social et institutionnel que Michel Foucault a appelé le « grand renfermement » de l'âge classique. Descartes, dans ses Méditations (1641), exclut la folie de l'activité du sujet pensant : exercice d'une souveraineté subjective qui aspire à la vérité, la pensée ne saurait être insensée. Corrélativement à ce partage philosophique, qui bannit toute complicité entre raison et folie, un processus de ségrégation se met en place : l'édit du 22 avril 1656 prévoit l'aménagement de lieux d'accueil - groupés sous la dénomination d'« hôpital général » - où les malades mentaux seront rassemblés aux côtés des prostituées, mendiants, malandrins et infirmes. La folie se voit assimilée à toutes les formes d'asociabilité improductive. La France, comme l'ensemble de l'Europe, se couvre d'établissements d'internement dont la fonction relève à la fois de l'assistance et de la répression. Témoins de cette prise en charge, les hospices des Frères de Charité - dont le plus célèbre est Charenton, fondé en 1641 -, la Salpêtrière, Bicêtre et les célèbres petites-maisons. Si la situation matérielle des internés reste souvent pitoyable - chaînes, paires de menottes ou fausses manches sont utilisées pour les plus agités -, certains principes, qui prévaudront au siècle suivant, telle la répartition des malades par catégories, contribuent cependant à l'ébauche d'un cadre thérapeutique.

L'institution thérapeutique.

• Le siècle des Lumières marque un progrès dans l'observation du fait clinique, et plus encore dans l'humanisation du sort des malades. Si le statut scientifique des méthodes de Mesmer (1734-1815) et du « magnétisme animal » reste douteux, le mesmérisme n'en aborde pas moins l'hystérie d'une manière qui ouvre la voie à l'hypnose et aux psychothérapies modernes. Mais le grand nom du siècle est incontestablement Philippe Pinel (1745-1826), nommé médecin des aliénés de Bicêtre en pleine Terreur. Bouleversé par les cris et vociférations des malades, il décide de leur faire ôter les fers, puis supprime les saignées répétées et l'arsenal de médications inutiles, qui ne font qu'affaiblir les internés. Dans son Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale (1801), il propose une classification fondée sur le degré de perturbation du comportement - délire partiel, délire généralisé, démence, idiotisme - et insiste sur la nécessité d'établir une relation de parole avec le malade. La rupture théorique et pratique introduite par Pinel fonde la psychiatrie moderne : désormais considérée comme une maladie, la folie est étudiée et traitée dans le cadre d'une nouvelle spécialité médicale. Pinel et son élève Esquirol (1772-1840) sont les initiateurs de l'asile d'aliénés, établissement d'internement qui ne se veut plus un lieu de réclusion, mais d'isolement dans des conditions propices, en principe, à l'action thérapeutique.

À la construction des asiles répond la loi du 30 juin 1838, véritable charte des malades mentaux, que les esprits éclairés réclamaient depuis la fin du XVIIIe siècle. Elle vise un triple objectif : prévoir des moyens d'hospitalisation en asile dans chaque département ; déterminer les modalités d'admission et de sortie de manière à empêcher l'internement abusif ; protéger les biens des aliénés. Demeurée inchangée pendant plus d'un siècle et demi, elle a été récemment modifiée par la loi du 27 juin 1990, qui régit les modalités d'hospitalisation des malades mentaux.

Vers la fin des structures d'enfermement ?

• Plusieurs auteurs ont fait remarquer que l'expression « grand renfermement » s'appliquerait davantage au XIXe siècle qu'au XVIIe. En effet, le nombre des internements passe de 10 000 en 1834 à 43 000 en 1874. Les conditions sanitaires souvent déplorables, la misère physique et morale engendrée par l'emploi fréquent de la camisole de force, contredisent les principes philanthropiques affichés quelques décennies plus tôt, et justifient les protestations contre la « prison asilaire » qui s'élèveront dans la première moitié du XXe siècle. La situation des établissements est, certes, très contrastée : dans le nouvel hôpital Sainte-Anne, ouvert en 1867, le docteur Magnan supprime la camisole de force et préconise la fin de l'isolement cellulaire. Si l'efficacité de l'institution thérapeutique s'avère très limitée - des statistiques des années 1870 donnent une moyenne de 6 % d'aliénés sortis guéris des asiles ! -, l'observation détaillée des cas cliniques se développe sous l'impulsion de Falret, Baillarger, Morel et surtout Jean Martin Charcot (1825-1893), qui identifie les phases des crises d'hystérie et fait d'importantes découvertes neurologiques. Charcot utilise l'hypnose, et prépare le terrain aux découvertes de Freud, qui vient d'ailleurs lui rendre visite à la Salpêtrière en 1885-1886.

Marqué par l'essor fulgurant de la psychanalyse, le XXe siècle ouvre la voie à une compréhension nouvelle des mécanismes de l'aliénation mentale. À la faveur du romantisme, puis des expériences extrêmes de la littérature moderne (surréalisme, notamment), la folie se réintroduit dans le champ culturel. De Gérard de Nerval à Antonin Artaud, elle hante une lignée d'écrivains qui témoignent de sa parenté profonde avec les sources de la pensée et de la création. À des titres divers, Pierre Janet (1859-1947), Jean Delay (1907-1987) ou Jacques Lacan (1901-1981) contribuent à diffuser de nouvelles conceptions qui vont transformer la situation des asiles, saturés au seuil de la Seconde Guerre mondiale. On considère désormais que le psychiatre n'a pas seulement pour tâche de protéger la société du malade, mais de lui restituer un individu capable d'adaptation. Sa fonction médiatrice devient essentielle. Un mouvement de dépeuplement des asiles s'amorce, favorisé par les découvertes de la psychopharmacologie dans les années cinquante. Les thérapeutiques de choc employées durant la première moitié du siècle - de l'électrochoc à la lobotomie - font l'objet d'un discrédit croissant, et sont remplacés par les psychotropes. L'utilisation de médicaments comme les neuroleptiques permet désormais à un nombre croissant de malades d'échapper à la « prison asilaire ». En dénonçant la violence sociale perpétrée par l'acte d'internement, le mouvement de l'antipsychiatrie (Michel Foucault, Maud Mannoni, Gilles Deleuze) a tenté de précipiter (et de déborder) une évolution générale relayée par le ministère de la Santé. Depuis le début des années soixante en effet, une politique de la santé mentale s'est mise en place. La « sectorisation psychiatrique » permet à un territoire géographique de 100 000 habitants de disposer d'un éventail complet de soins intra et extra-hospitaliers ; l'hôpital travaille en liaison étroite avec les structures d'accueil, de postcure et de prévention.