Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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décolonisation (suite)

Après le retour du général de Gaulle au pouvoir, la Constitution de 1958 permet aux peuples africains de choisir leur destin en votant « oui » ou « non » lors du référendum du 28 septembre. Ils peuvent opter entre l'appartenance à la nouvelle Communauté qui remplace l'Union française et l'indépendance totale, en rupture avec la France (choisie par la Guinée de Sékou Touré) ; puis entre les statuts de territoire ou département d'outre-mer et le nouveau statut d'État autonome au sein de la Communauté (retenu par les 14 territoires de l'A-OF et de l'A-ÉF, et par Madagascar). La Communauté se dote d'institutions (la présidence, le Conseil exécutif, le Sénat et la Cour de justice) qui se distinguent mal de celles de la République française. Ses États membres peuvent en sortir à tout moment. De Gaulle ne croit guère à sa durée ; il y voit un cadre juridique pour régler le problème algérien suivant le même principe de l'autodétermination. Dès septembre 1959, la Fédération du Mali - regroupant le Sénégal et le Soudan - et la République malgache demandent à devenir souveraines dans la Communauté ; l'acceptation de leur requête par le gouvernement français transforme la « Communauté rénovée » en une simple confédération. Mais le président de la Côte-d'Ivoire, Houphouët-Boigny, jusqu'alors partisan d'une vraie fédération franco-africaine, réclame l'indépendance pure et simple. Durant l'été 1960, tous les États de la Communauté accèdent ainsi à l'indépendance, puis négocient des accords de coopération avec la France. C'est la fin de la Communauté et de tout lien constitutionnel entre la France et ses anciennes possessions africaines.

Facteurs et limites de la décolonisation française

Le revirement de la politique coloniale française s'explique par une inversion de tous les facteurs - internationaux, internes aux colonies et à la métropole - jusqu'alors favorables à la colonisation.

La Seconde Guerre mondiale a diminué la puissance française et déclassé le pays par rapport aux deux nouvelles superpuissances, qui se réclament de l'anticolonialisme ou de l'anti-impérialisme : les États-Unis et l'Union soviétique. Leur rivalité dans le cadre de la guerre froide les pousse à se disputer les faveurs des nationalismes anticoloniaux. Les dirigeants français tentent alors de persuader leurs alliés américains que la subversion communiste manipule tous les « mouvements de libération nationale », avec un certain succès en Indochine de 1950 à 1954. Mais en Afrique du Nord, particulièrement en Algérie, les Américains reprochent à la politique française de rejeter de plus en plus, par son intransigeance, les nationalismes arabes vers le camp communiste et tentent d'imposer leurs bons offices lors de la crise franco-tunisienne de février 1958. L'ONU, où entrent en nombre croissant les nouveaux États africains et asiatiques nés de la décolonisation, met la France en accusation sur sa politique nord-africaine, presque chaque année de 1952 à 1961. Autour de ces États se forme, en outre, un courant d'idées hostile à toute forme de dépendance, qui appelle à la décolonisation, et apporte aux peuples en lutte une légitimité internationale. La conférence de Bandoung, en avril 1955, constitue l'acte de naissance de ce mouvement dont l'influence est loin d'être négligeable dans les colonies ainsi qu'en métropole. Ainsi, soumis au regard vigilant de la communauté internationale, l'écrasement des révoltes devient de plus en plus difficile.

Dans le même temps, l'équilibre fragile et artificiel des sociétés coloniales est ébranlé quantitativement par l'explosion démographique des populations « indigènes » et leur afflux vers les villes, et qualitativement par le développement d'élites modernes et de nouvelles couches sociales intermédiaires, plus ou moins acculturées par l'enseignement, l'armée, le travail (sur place, ou en métropole). Ce sont elles qui fournissent les cadres des mouvements nationaux. Les élites intellectuelles, souvent acquises - particulièrement en Afrique - à l'universalisme républicain, ont tôt fait d'en percevoir les ambiguïtés et d'en dénoncer l'inapplication : elles ont ainsi retourné à leur profit le discours qui avait servi à justifier l'entreprise coloniale.

En outre, la volonté colonisatrice de la métropole finit par être elle-même remise en question. L'explosion démographique des peuples dominés rend l'idéal d'assimilation économiquement irréalisable et politiquement indésirable. Les relations commerciales privilégiées avec les colonies nuisent à la compétitivité de l'économie française sur les marchés européens et mondiaux. Les capitaux privés tendent à se replier de l'outre-mer vers l'Europe, et les investissements publics, prenant le relais pour financer les plans d'équipement coloniaux, obèrent de plus en plus le budget métropolitain. À partir de 1956, d'aucuns s'interrogent quant à la rentabilité des possessions coloniales : le journaliste Raymond Cartier dénonce ce qu'il appelle l'inversion du vieux pacte colonial aux dépens de la métropole ; Raymond Aron démontre, en 1957, dans la Tragédie algérienne, l'impossibilité d'intégrer l'Algérie à la France. Un seul fait nouveau milite en sens contraire : la découverte de pétrole et de gaz naturel au Sahara (1956) semble garantir à la France son autonomie énergétique, et incite le général de Gaulle à tenter de disjoindre, jusqu'en septembre 1961, le sort du Sahara et celui de l'Algérie.

Cependant, les facteurs politiques restent décisifs. L'opinion publique métropolitaine s'est détachée de l'idée coloniale quand elle a cessé de voir dans l'empire une source d'avantages, et du fait de la multiplication de guerres interminables. Plus que la guerre d'Indochine, restée l'affaire de soldats de métier et de troupes indigènes, ce sont le rappel des disponibles, l'envoi du contingent en Algérie (avril 1956) et l'allongement de la durée du service militaire qui ont fait basculer l'opinion métropolitaine en faveur de la décolonisation ; les troubles de conscience suscités par la révélation de l'usage de la torture en Algérie et les arguments économiques ont, semble-t-il, pesé moins lourd. Les dirigeants de la IVe République ont surestimé l'attachement des Français à leurs colonies, malgré les sondages indiquant, depuis 1956, l'accroissement du pourcentage d'opinions favorables à une paix négociée en Algérie. Au contraire, le général de Gaulle, après avoir relancé une guerre visant à anéantir le Front de libération nationale algérien, a mené la politique souhaitée par la grande majorité des « Français de France » (sinon de leurs élites, beaucoup plus divisées), afin de moderniser le pays et son armée, et de restaurer sa liberté d'action dans le monde. Même s'il n'a pu éviter la révolte des Français d'Algérie et celle d'une partie de l'armée contre sa politique, il a réussi, sans rencontrer d'opposition, une décolonisation de l'Afrique noire présentée comme la continuation de l'œuvre coloniale sous une nouvelle forme : la coopération économique, militaire et culturelle.