Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Moyen Âge, (suite)

Malgré ces difficultés, inhérentes à toute tentative de périodisation, la catégorie « Moyen Âge » reste bien vivante au XXe siècle, tant chez les éditeurs que dans l'organisation des études universitaires, en raison de sa commodité. D'ailleurs, le succès de l'histoire marxiste dans les années 1950-1960 en a conforté l'idée : entre la période antique, caractérisée par l'esclavage, et la période moderne, marquée par l'accumulation capitaliste, s'insère la période féodale, qui se distingue par le servage et un mode de production spécifique, où une minorité de seigneurs vivent du travail d'une masse paysanne opprimée. Néanmoins, on admet en général aujourd'hui que cette périodisation a surtout un sens dans le cadre de l'Europe occidentale.

Le cadre géographique de la civilisation médiévale.

• Ce cadre diffère de celui des civilisations romaine ou grecque, filles de la Méditerranée. L'Europe s'est en effet détournée de l'Orient et de l'Afrique, et elle a progressivement étendu ses bornes vers l'est et le nord. Dès la fin du IVe siècle, la scission Orient/Occident est en germe dans celle des deux Empires ; Rome subsiste à l'est, où Constantinople ne cède qu'en 1453 devant les Turcs, mais s'effondre à l'ouest, où de petits États romano-barbares s'installent, tous chrétiens. La papauté, malgré sa romanité, se rapproche des Francs et couronne Charlemagne en l'an 800. L'incompréhension politique et religieuse entre Orientaux et Occidentaux grandit (« querelle du filioque »), tandis que le grec n'est plus guère compris en Occident. La rivalité, à partir du Xe siècle, des missions de la papauté et du patriarcat de Constantinople aboutit au schisme de 1054, qui passe alors inaperçu mais oppose à terme une Europe de l'Est orthodoxe, dirigée par Byzance puis par Moscou, à une Europe de l'Ouest latine, où le pape est l'autorité de référence. La limite des deux expansions fait basculer la Pologne et la Croatie à l'ouest mais la Serbie à l'est. Au sud, l'aire de la civilisation médiévale est plus limitée que celle de la civilisation romaine. En effet, l'Afrique et le Moyen-Orient sont progressivement conquis par les Musulmans, qui, vers 711, s'établissent en Espagne, puis dans les îles de la Méditerranée. Celle-ci n'est plus mare nostrum mais une frontière peu sûre et disputée. Au nord, le limes romain épousait le tracé de la vallée du Rhin ; l'Empire carolingien porte la frontière à l'Elbe. Au cours du Xe siècle, les royaumes scandinaves, la Pologne, la Bohême, sont christianisés par Rome. Au XIIIe siècle, la Chrétienté latine atteint des bornes stables.

Unité et diversité de l'Occident médiéval.

• À l'intérieur de cet Occident médiéval chrétien et latin, la diversité est grande en raison de l'extension chronologique (plus d'un millénaire) et géographique. Un monde sépare le paysan contemporain de Clovis du Parisien vivant sous le règne de Saint Louis. Pourtant, le Moyen Âge représente une unité incontestable pour le chercheur, auquel il offre des sources maîtrisables et, dans l'ensemble, peu lacunaires. Même si le manuscrit reste un objet coûteux, copié à la main par une minorité de clercs cultivés, le recours à l'écrit s'accentue dès le XIIe siècle, malgré la persistance de la culture orale. Aux sources littéraires, issues de l'élite, s'ajoutent d'autres écrits : actes du pouvoir, registres notariés, comptabilités ou livres de famille, fréquents surtout en Italie. Dans les années 1960, les sources s'enrichissent des résultats des observations aériennes et des fouilles de villages, châteaux ou cimetières, aptes à nous éclairer tant sur la culture matérielle que sur les croyances.

Les acquis de la période médiévale portent en effet sur une maîtrise croissante de la nature et de l'espace. À un monde sous-peuplé, en majorité rural, peu défriché, faisant pâle figure au haut Moyen Âge auprès des villes musulmanes ou byzantines, succède un monde « plein », défriché jusqu'à la limite du possible, où la population paysanne est regroupée auprès du château et de l'église paroissiale. La diffusion des techniques (moulin, charrue, rotation des cultures et parfois assolement), l'accroissement des surfaces cultivées, permettent à une population plus nombreuse de vivre mieux, même si les profits de la croissance bénéficient fortement aux seigneurs ou au marché urbain, qui en absorbe les surplus. De l'essor des campagnes résulte celui des villes, où se regroupent marchands en tout genre, artisans des métiers, toute une société diversifiée qui ne dépend plus uniquement de la terre et dont l'effort est peu visible aux yeux des théologiens prompts à dénoncer le goût de l'argent et à interdire aux riches le royaume des cieux. Néanmoins, si la plupart des villes médiévales sont d'origine antique en Europe du Sud, des villes nouvelles apparaissent, le réseau urbain se hiérarchise et d'autres rapports se créent entre la ville - siège du marché mais aussi du savoir, du pouvoir religieux (la cathédrale) et du pouvoir politique - et son arrière-pays. L'essor économique de l'Occident, désormais plus dynamique que l'Orient, contribue à remettre en question les schémas de l'organisation sociale en vigueur dans la société médiévale. La trifonctionnalité était née, dans les années 1020-1025, d'éléments carolingiens provenant des écoles d'Auxerre réorganisés. Les clercs devaient prier, les chevaliers combattre et les laboratores travailler pour nourrir ceux qui assuraient leur salut ou leur protection. Mais, quand le travail des laboratores commence, au moins pour une partie d'entre eux, à être lié à la diffusion du savoir ou à la circulation de l'argent, la catégorie perd son nom pour devenir, dès le XVe siècle, un « tiers état » fourre-tout, où les paysans côtoient assez artificiellement les officiers royaux.

L'unité de l'époque médiévale tient aussi de la diffusion de la foi chrétienne et de la culture latine. Tout chrétien est membre d'une paroisse, de son baptême à son mariage et à son enterrement dans le cimetière (ce dernier étant, contrairement à l'époque antique, situé au cœur du village ou de la ville). La paroisse est lieu de prière mais aussi lieu de sociabilité. Le conformisme religieux, précisément défini au début du XIIIe siècle, est général. Dans une société où l'individu isolé n'est rien, où l'État est longtemps peu présent, dans une société hantée par la peur de l'écart et de la damnation mais solidaire face aux difficultés, il faut s'intégrer dans la communauté. Sur la profondeur de la foi du plus grand nombre, les historiens sont partagés. Y a-t-il une adhésion des lèvres ou du cœur à l'enseignement de l'Église ? La diffusion des hérésies, la présence de superstitions populaires multiples, ont longtemps été interprétées comme des lacunes. On est plus sensible aujourd'hui aux exigences croissantes des fidèles et au développement de l'oraison privée.