Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
E

Empire (Second). (suite)

Le système impérial, qui s'appuie solidement sur la candidature officielle et sur l'obligation du serment de fidélité au chef de l'État, a su éliminer toute forme d'opposition : les républicains sont bâillonnés et privés de leurs chefs, contraints à l'exil ; les légitimistes ont perdu une partie importante de leur clientèle, en raison du soutien qu'apportent au régime le clergé et le parti catholique, comblés de faveurs (augmentation du budget des cultes, application libérale de la législation sur les congrégations) ; les orléanistes sont réduits à une opposition de salon. Toutefois, des éléments de faiblesse sont a posteriori discernables. L'absence de parti bonapartiste a contraint le régime à s'appuyer sur des notables conservateurs, ralliés plus qu'idéologiquement attachés à l'Empire, présents au sein du gouvernement, du corps préfectoral et des assemblées. Le parti républicain est, quant à lui, « plus contenu que corrigé », comme le montrent les élections de 1857, où il gagne cinq circonscriptions sur neuf à Paris, et enregistre de bons résultats dans les grandes villes de province. À ces nuances près, l'Empire apparaît comme une construction politique stable qui dispose de la confiance des élites, notamment économiques.

Croissance économique et modernisation

Le Second Empire est marqué par une expansion économique sans précédent et par l'affirmation de la révolution industrielle. L'impulsion est venue de Napoléon III : influencé par les idées saint-simoniennes, il aspire à donner à l'État un rôle essentiel dans le développement économique via une politique de dépenses productives finançant les grands travaux et la modernisation de l'appareil industriel. Il entend ainsi résorber le chômage, améliorer la productivité, faire progresser la consommation. Le régime est servi par une conjoncture mondiale favorable : doublement de la masse monétaire, accroissement de la circulation financière, afflux des capitaux stimulant une Bourse rassurée par la stabilité politique retrouvée.

La France connaît alors quatre révolutions économiques décisives. Le crédit se transforme, avec l'extension des succursales en province, l'amplification des opérations de la Banque de France, et la création de banques de dépôt mettant en relation épargnants et investisseurs. Le Crédit mobilier des frères Pereire en fournit l'exemple le plus spectaculaire, malgré son échec final. Plus durables seront le Crédit industriel et commercial (1859), le Crédit lyonnais (1863), et la Société générale (1864), qui profitent de l'amélioration des techniques de drainage des capitaux, facilité par l'introduction du chèque bancaire (1865).

La deuxième révolution concerne les transports, et d'abord le chemin de fer. Le réseau exploité passe de 3 248 à 16 465 kilomètres. L'État favorise la concentration des compagnies, après leur avoir concédé des lignes pour une longue durée d'exploitation (99 ans). Les axes principaux sont achevés, dès la fin des années 1850, par six grandes compagnies. Cet accroissement du réseau ferroviaire permet l'unification du marché agricole français, la commercialisation des produits de l'agriculture, l'accélération de la croissance industrielle par les commandes induites dans la métallurgie et le bâtiment. La même concentration s'observe dans le transport maritime (fondations de la Compagnie générale transatlantique et des Messageries maritimes), malgré une modernisation plus lente.

L'évolution de la politique douanière est plus progressive, en raison de l'opposition des milieux protectionnistes. Elle est imposée par le traité de commerce franco-anglais du 23 janvier 1860 qui supprime la prohibition, la remplaçant par des droits inférieurs à 30 puis à 25 % de la valeur des marchandises, la France bénéficiant en retour d'une réduction de tarifs sur les vins, et d'une franchise concernant les produits manufacturés. Ce traité est suivi d'accords semblables avec la plupart des États européens. La libéralisation des échanges permet de freiner la hausse des prix industriels et de moderniser les entreprises financières qui, contraintes de s'adapter à la concurrence étrangère, bénéficient d'une aide de l'État ; ses effets sur le commerce extérieur sont plus difficiles à mesurer, en raison du ralentissement de la croissance dans les années 1860.

La révolution de l'urbanisme est la plus spectaculaire. Elle concerne surtout Paris, que l'empereur entend transformer, pour des raisons de prestige, mais aussi par nécessités économique, sanitaire et stratégique. Secondé par l'énergique préfet de la Seine, le baron Haussmann, dont les conceptions architecturales ont par ailleurs été discutées, il engage une audacieuse entreprise. D'imposantes artères se substituent aux rues tortueuses du centre de Paris ; les grands boulevards sont percés ; les édifices publics, utilitaires ou culturels se multiplient : reconstruction des Halles avec l'édification des pavillons de Baltard, construction des gares, du nouveau Louvre, de l'Opéra Garnier. L'aménagement d'espaces verts (les bois de Boulogne et de Vincennes ; les parcs Monceau, Montsouris et des Buttes-Chaumont) constitue une innovation en matière d'urbanisme. Agrandi par l'annexion des communes périphériques, le Paris du Second Empire va peu changer jusqu'au milieu du XXe siècle. L'ensemble est cependant réalisé au prix d'un endettement considérable : l'opposition dénonce « les comptes fantastiques d'Haussmann », tandis que le Tout-Paris, grisé par la fête impériale, réserve un triomphe aux Contes d'Hoffmann, l'opéra d'Offenbach. En province, l'« haussmannisation » concerne plusieurs villes (Marseille, Lyon, Bordeaux), mais les élus locaux se plaignent d'être peu soutenus dans leur politique urbaine.

Ces évolutions importantes ont permis l'achèvement de la première révolution industrielle, marquée par la mécanisation et la concentration. Cette dernière est favorisée par l'adaptation de la législation : les sociétés anonymes par actions peuvent être constituées sans autorisation, grâce aux lois de 1863 et 1867. La modernisation industrielle s'opère surtout dans la sidérurgie, révolutionnée par le convertisseur Bessemer (1855), et dominée par quelques grandes firmes telles que de Wendel et Schneider, dans l'industrie mécanique lourde et dans l'industrie chimique minérale. Elle est moins affirmée dans le bâtiment et le textile, où le « capitalisme familial » persiste ; la mécanisation du peignage et du tissage de la laine provoque, toutefois, la régression du tissage à bras.