Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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Manifeste des 60,

texte publié le 17 février 1864 justifiant des candidatures ouvrières aux élections législatives.

Napoléon III a des ambitions sociales et recherche de nouveaux soutiens à partir de 1860. Il peut s'appuyer sur le groupe du Palais-Royal, réunissant des saint-simoniens, tel Chevalier, et des publicistes, autour du prince Napoléon, dit « Plonplon », et du journal l'Opinion nationale. Quand, en 1863, les monarchistes et les républicains, alliés, obtiennent une trentaine de députés, l'empereur encourage la formation d'un mouvement ouvrier revendicatif, mais qui ne mette pas en cause le régime. Aux élections partielles de 1864 à Paris, Henri Tolain, ouvrier disciple de Proudhon, et organisateur de la délégation ouvrière française à l'Exposition universelle de Londres en 1861, se présente en vain contre le républicain Louis Garnier-Pagès. Les républicains le taxent d'agent du « césarisme plonplonien ». Pour se justifier, il publie dans l'Opinion nationale un manifeste signé par soixante ouvriers. Il y fait l'éloge du suffrage universel et qualifie la France impériale de « pays démocratique ». Mais il affirme la nécessité d'avoir des députés ouvriers qui serviront, mieux que des bourgeois, libéraux ou non, la cause des prolétaires. Il s'agit d'abroger la loi qui interdit de « [nous] entendre pour défendre pacifiquement notre salaire » et l'« article 1781 » qui privilégie, face au juge, la parole de l'employeur contre celle des salariés. Il réclame aussi une « instruction professionnelle » et l'alphabétisation gratuite et obligatoire, pour sortir les enfants du « milieu démoralisant et malsain des fabriques », et proteste, car les femmes « désertent forcément le foyer pour un travail excessif, contraire à la nature et détruisant la famille ». Il termine en expliquant qu'il ne s'agit pas de « rêver [...] partage, maximum, impôt forcé », mais de prôner « la liberté du travail, le crédit, la solidarité » assurant l'égalité en droits « pour la gloire et la prospérité d'un pays qui nous est cher ». Se retrouvent ici le mélange proudhonien de revendications concrètes, de modération politique, de souci éducatif et de moralisme. Même si les candidatures imitées de celle de Tolain se soldent par un échec - les ouvriers continuant de voter pour les opposants libéraux bourgeois -, une volonté d'autonomie ouvrière se dégage, l'année même de la création à Londres de la Ire Internationale. C'est aussi une étape dans l'évolution de l'Empire, avant le droit de grève, qui sera accordé en mai 1864, l'abolition de l'article 1781 en 1866, ou l'affirmation de la liberté de réunion en 1868.

Manifeste des 121,

pétition lancée, en septembre 1960, contre la guerre d'Algérie, et plus précisément pour le « droit à l'insoumission ».

Ce manifeste, qui constitue le point culminant de l'engagement des intellectuels au cours de la guerre d'Algérie, est signé par cent vingt et une personnalités : des artistes (Alain Cuny, Simone Signoret...), des écrivains (Simone de Beauvoir, Jean-Louis Bory, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Claude Roy, Claude Simon, Jean-Paul Sartre...), des éditeurs (Jérôme Lindon, François Maspero) et des universitaires (Henri Lefebvre, André Mandouze, Jean-François Revel, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet...).

La déclaration, qui se conclut par un plaidoyer en faveur du peuple algérien, est interdite de publication en France, mais elle est diffusée dans des périodiques étrangers tels que Tempo presente ou Neue Rundschau. En France, Vérité-Liberté, qui voulait la faire paraître, est saisi, tandis que le Monde donne, dans son édition datée du 30 septembre, la liste des signatures initiales, complétée par d'autres, mais sans le texte de la pétition. En réponse au manifeste résolument anticolonialiste, une pétition d'intellectuels favorables à l'Algérie française et intitulée « Manifeste des intellectuels français » est publiée. Probablement initiée par des universitaires, elle abonde en signatures de personnes de générations différentes (des universitaires, tels Pierre Chaunu et François Bluche ; des écrivains, tels Antoine Blondin, Roger Nimier, Roland Dorgelès, Jules Romains...) et prouve la capacité d'une droite intellectuelle de se mobiliser. Une troisième pétition vient même compléter cette « guerre des manifestes » : émanant d'une gauche modérée, qui plaide en faveur d'une paix négociée, elle réunit des représentants de la Fédération de l'Éducation nationale, de la Ligue des droits de l'homme, avec Daniel Mayer, mais aussi des figures de l'intelligentsia, tels Roland Barthes, Edgar Morin ou Vladimir Jankélévitch.

manufactures royales privilégiées,

entreprises de fabrication industrielle qui bénéficient d'un statut particulier sous l'Ancien Régime. Certaines sont la propriété directe de la couronne.

Elles réunissent des artisans hautement qualifiés, et fournissent la cour en produits de luxe et de prestige tels que les tapisseries des Gobelins et la porcelaine de Sèvres. Mais la plupart sont des entreprises privées auxquelles la monarchie a octroyé un privilège qui est synonyme de nombreux avantages. Accordé en général pour vingt ans, et renouvelable, le privilège consiste d'abord en un monopole de fabrication et de vente d'un produit donné, dans un rayon géographique déterminé. Il peut s'étendre au royaume tout entier : ainsi celui de la Manufacture de glaces de Saint-Gobain, fondée en 1665. Il s'accompagne souvent de subventions, d'exemptions douanières (dispenses de péages et d'octrois à l'intérieur, et de taxes aux frontières) et d'avantages personnels (privilèges de juridiction ; exemptions de taille, de corvée et de milice ; non-dérogeance pour les entrepreneurs nobles ; possibilité de naturalisation pour les ouvriers étrangers). Enfin, le droit de marquer les produits aux armes du roi constitue un label de qualité, et dispense les fabricants de tout contrôle corporatif. En retour, ceux-ci doivent s'engager à maintenir un certain niveau de production et, souvent, à former des ouvriers.

Le plus souvent, ces privilèges sont attribués à une entreprise (un fabricant ou une société d'actionnaires). Mais ils peuvent aussi être collectifs, l'ensemble des fabricants d'une ville en bénéficiant : ainsi la Manufacture d'armes de Saint-Étienne, qui rassemble une douzaine d'entreprises. Le but recherché est double. Il s'agit d'abord de soutenir une industrie nationale de produits de luxe - par exemple, les draperies fines de Sedan et de Louviers - mais aussi d'importer en France les techniques étrangères les plus performantes. L'installation du Hollandais Van Robais, à Abbeville, en 1665, illustre cette politique de transfert technologique.