Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
V

Vichy (régime de). (suite)

Refondre la société

Le projet pétainiste porte en lui la volonté de rétablir la société française sur ses assises traditionnelles. Cette ambition précipite les pétainistes dans une véritable boulimie législative, sans que les résultats soient toujours à la hauteur de leurs espérances.

Le monde du travail bénéficie de la plus grande sollicitude. En ce domaine, l'ambition est immense, puisqu'il s'agit d'éradiquer en France les ferments de la lutte des classes - que l'on juge responsable de l'affaiblissement du pays et, donc, de la défaite - et de lui substituer la collaboration des classes dans un cadre corporatiste. Dans le monde paysan, la réforme corporatiste, souhaitée depuis longtemps par les agrariens et la majorité des syndicalistes paysans, est rapidement instaurée. La loi du 2 décembre 1940 crée la « Corporation paysanne », fondée sur les deux principes de l'organicisme et de l'autonomie. Les anciens syndicats disparaissent et sont remplacés par une organisation unique et obligatoire, qui regroupe aussi bien les ouvriers agricoles que les exploitants, propriétaires ou non. La Corporation est bâtie sur une logique pyramidale, depuis le syndic de village jusqu'à la commission nationale d'organisation corporative, elle-même placée sous la protection du « maréchal-paysan ». Malgré ses intentions, la Corporation n'autorise pas l'autonomie du monde paysan. Non seulement les rigueurs du temps imposent un strict contrôle de la production agricole, mais les services du ministère de l'Agriculture ne se laissent pas facilement dépouiller de leurs prérogatives. Dès 1942, la réforme est vidée de sa substance et détournée au profit d'un interventionnisme administratif accru.

Dans le monde ouvrier, les ambitions pétainistes rencontrent beaucoup plus d'hostilité. Ces difficultés résultent d'abord des divergences de vue qui opposent les responsables vichystes. Le premier ministre du Travail de Vichy, René Belin, souhaite établir un système qui autorise la pleine autonomie du monde du travail, façon singulière de renouer avec le vieil idéal proudhonien d'autogestion ouvrière. Les pétainistes de stricte obédience, tel le colonel Cèbe, mettent davantage l'accent sur la nécessité d'imposer la collaboration des classes, quitte à s'inspirer des modèles corporatistes fascistes. Au terme de laborieuses discussions, la Charte du travail n'est promulguée qu'en octobre 1941. Assez proche de la charte mussolinienne de 1927, elle impose la collaboration des classes par l'établissement, pour chaque profession, d'un syndicat unique et obligatoire. La Charte, que Pétain considère comme le grand œuvre du régime, connaît un retentissant échec, qui est d'abord la conséquence de son extraordinaire complexité administrative. En outre, la volonté officiellement affirmée de traiter sur un pied d'égalité ouvriers et patrons est démentie par l'établissement des comités d'organisation qui associent, pour gérer la pénurie, administration et patronat, à l'exclusion des représentants ouvriers. Enfin, il est plus facile d'abolir la lutte des classes par décret que de susciter l'engouement du monde ouvrier. Celui-ci demeure méfiant, sinon hostile, et, malgré leur caractère obligatoire, les adhésions aux syndicats officiels sont peu nombreuses. Au reste, le climat social est loin d'être serein. Les difficultés du ravitaillement, puis, à partir de 1942, les menaces de départs forcés vers l'Allemagne, suscitent des grèves plus nombreuses qu'on ne le croit. Après l'exemplaire conflit des mineurs du Nord du printemps 1941, la région lyonnaise, à l'automne 1942, est frappée par une importante vague de grèves. À cette date, la Charte du travail n'est déjà plus qu'une coquille vide et les syndicats clandestins qui se réorganisent sont beaucoup plus à même d'encadrer le monde du travail.

L'éducation est l'autre priorité fondamentale des pétainistes : l'objectif est non seulement de réformer un système éducatif accusé d'avoir conduit au désastre de 1940, mais aussi de forger « l'homme nouveau » capable de bâtir « la France de demain ». Dans ce domaine encore, le succès n'est pas au rendez-vous. Voire, le régime finit par perdre le contrôle de certaines de ses institutions et, à partir de 1943, sous la pression des Allemands, il doit démanteler ce qu'il a créé. L'école républicaine est accablée de tous les maux. Ses programmes trop ouvertement anticléricaux sont dénoncés pour avoir contribué à diviser artificiellement la jeunesse, tandis que ses instituteurs, réputés être pacifistes, socialistes et anticléricaux, deviennent les « bêtes noires » du régime. Il est également reproché à l'école de la IIIe République - argument que d'ailleurs ne rejettent pas les résistants - d'avoir développé un enseignement trop abstrait, obsédé par la manie des classements et des prouesses intellectuelles, coupé de la « vraie vie » et qui, au total, a négligé la formation du corps et du « caractère ».

Vichy s'attache donc d'abord à ruiner l'anticléricalisme de la République. Les programmes de morale sont révisés par la réintroduction des devoirs envers Dieu et l'enseignement confessionnel reçoit d'importantes subventions. Le corps enseignant est soigneusement épuré et, dès le mois d'août 1940, plusieurs milliers d'instituteurs et de professeurs « mal pensants » sont destitués. Point d'orgue de cette contre-offensive antilaïque, les écoles normales d'instituteurs sont supprimées en septembre 1940. Concernant le contenu de l'enseignement, les ministres successifs, auxquels est adjoint un Secrétariat général, s'attachent à développer l'« enseignement général et sportif ». Les programmes sont profondément refondus (par Jérôme Carcopino, en 1941) pour permettre l'introduction de la pratique du sport et de diverses activités d'éveil. Ces initiatives échouent largement, tant en raison du manque chronique de moyens, malgré les efforts du Secrétariat général, que de la sous-alimentation croissante des enfants, qui interdit les exercices sportifs prolongés et éveille l'inquiétude des parents.