Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
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République (IIIe). (suite)

Toutefois, cette apparente continuité masque des déséquilibres sous-jacents. La société française n'est plus celle de l'avant-guerre. La catégorie des petits rentiers a été durement éprouvée par l'inflation. Cette dernière est jugulée par la « stabilisation » de 1928, mais le « franc Poincaré » n'a plus que le cinquième de la valeur du franc or de 1914. En outre, une distorsion de plus en plus marquée se fait jour entre la philosophie de l'individualisme libéral et les processus engendrés par la concentration croissante des moyens de production.

Les années 1930 : la crise et les évolutions décisives.

• À la fin de 1931, la crise économique atteint la France, plus tardivement que d'autres pays occidentaux. Le ralentissement de l'activité frappe le commerce, l'artisanat, la petite entreprise, l'agriculture ; le chômage s'étend chez les salariés ; le déficit budgétaire s'accroît. Les radicaux et les socialistes, majoritaires à la suite des élections de 1932, restent divisés sur la nature des mesures de rigueur financière qui, de plus en plus, semblent s'imposer. L'instabilité ministérielle qui en résulte - cinq gouvernements radicaux se succèdent en 1932-1933 - contribue à donner du régime une image d'impuissance et d'instabilité. À cela s'ajoute le poids de plusieurs scandales financiers (Hanau, Oustric, Stavisky), qui compromettent une partie, d'ailleurs limitée, de la classe politique. Dès lors, la IIIe République doit affronter la plus virulente vague de contestation de son histoire, vague qui revêt un aspect multiforme : agitation ligueuse (Jeunesses patriotes, Francisme, Croix-de-Feu), mécontentement des anciens combattants, critiques de cercles d'intellectuels - sceptiques quant à la capacité du régime parlementaire à résoudre la crise morale et sociale. La manifestation sanglante du 6 février 1934, organisée par des ligues de droite et des anciens combattants, provoque la chute du gouvernement radical d'Édouard Daladier.

Pour faire face à la menace de déstabilisation, deux formules sont successivement mises en œuvre. La première est l'union nationale, dans la tradition du « poincarisme ». Le gouvernement formé par Gaston Doumergue s'appuie sur une majorité qui regroupe la droite, le centre droit et les radicaux autour d'un programme de défense du franc - devenu le symbole de la sauvegarde des classes moyennes et du régime - et de réforme de l'État. L'échec est patent : la politique de déflation accentue le ralentissement de l'économie ; les mesures visant à renforcer l'exécutif se heurtent aux défenseurs des prérogatives du Parlement, nombreux chez les radicaux. Aussi, en 1934-1935, un second type de coalition se forme-t-il, héritier de la défense républicaine et du Cartel des gauches : le Front populaire, qui remporte les élections de juin 1936. Mais ce rassemblement des gauches revêt un visage nouveau : il n'est plus dominé par le Parti radical, mais par la SFIO, devenue le premier parti de gauche, dont le chef, Léon Blum, assure la direction du gouvernement ; le Parti communiste, sorti de sa marginalité, y joue un rôle important, sans toutefois accepter que ses membres assument des responsabilités ministérielles. La lutte contre les ligues factieuses et un programme de relance de l'économie par la consommation constituent l'essentiel de son programme, mis en œuvre jusqu'en 1938, date de la dislocation du Front Populaire.

Les radicaux, appuyés sur le centre et la droite, ont alors la tâche difficile de gérer le pays jusqu'au désastre de juin 1940.

Par-delà les renversements de majorités, d'importants changements se manifestent au long des années 1930. Le rôle des acteurs collectifs dans la vie publique se trouve définitivement confirmé : avec les groupes de pression patronaux et syndicaux, les cercles d'intellectuels, les associations d'anciens combattants, les partis de mieux en mieux structurés et centralisés, la « République des comités » connaît une mutation décisive. La puissance publique, pour faire face aux tensions sociales, élargit son champ d'intervention. Le Front populaire tente de remédier à la crise économique en stimulant la consommation, et surtout intervient directement dans le domaine social par voies arbitrale (accords Matignon, en juin 1936) et législative (réduction du temps de travail). Enfin, le déséquilibre des pouvoirs s'atténue en faveur de l'exécutif : la délégation des pouvoirs parlementaires au président du Conseil devient fréquente, à partir de 1934, grâce à la procédure des « décrets-lois ».

Les périls extérieurs et la fin du régime.

• Ces évolutions auraient sans doute évité à la IIIe République une fin brutale, si les événements extérieurs n'avaient joué un rôle décisif dans le naufrage du régime. Il est, certes, aisé de discerner les faiblesses de la politique extérieure des années 1930. Trop longtemps, les dirigeants conservent leurs illusions sur la sécurité collective et tardent à resserrer les alliances contre l'Allemagne. Les hésitations à se rapprocher de l'Union soviétique, par peur du communisme, compromettent largement les efforts pour réduire les tensions internationales. Enfin, le choix de la stratégie défensive se révélera désastreux au moment de l'épreuve. Ces faiblesses diplomatiques et militaires expliquent le manque de réaction devant les coups de force hitlériens : la remilitarisation de la Rhénanie en 1936, l'invasion de l'Autriche en 1938, le rattachement du territoire des Sudètes, arraché à la Tchécoslovaquie, en septembre 1938, et approuvé par les accords quadripartites de Munich, le dépècement de la Tchécoslovaquie en 1939. Il faut remarquer, toutefois, que l'effort de réarmement, entrepris à partir de 1936, a été réel, bien que tardif. Surtout, les gouvernements partagent l'état d'esprit pacifiste, largement répandu : le souvenir des massacres de 1914-1918 est encore présent, la conscience de l'affaiblissement démographique du pays, très vive. Incontestablement, des sentiments xénophobes et antisémites s'emparent d'une partie de l'opinion à partir de 1936, liés à la peur du conflit que pourraient susciter les étrangers réfugiés en France. Toutefois, quand la France s'engage dans la guerre en septembre 1939, le défaitisme n'est pas l'attitude dominante, bien qu'une nouvelle « union sacrée » ne puisse se constituer, les communistes se déclarant hostiles à la guerre par solidarité avec l'Union soviétique. Mais, autant que la stratégie défensive, l'espoir d'un accord avec l'Allemagne, chez une partie du personnel dirigeant, est générateur de l'attentisme de la « drôle de guerre ». La défaite de mai-juin 1940, qui, en quelques semaines, aboutit à la dislocation totale du dispositif français, foudroie littéralement la IIIe République. Les députés et sénateurs, qui, réunis à Vichy le 10 juillet 1940, confèrent au maréchal Pétain les pouvoirs constituants à une énorme majorité, paraissent reconnaître la faillite du régime. Avec le système parlementaire, ce sont les principes même de la République, le libéralisme et la démocratie, qui semblent condamnés à disparaître. Ces valeurs, cependant, par-delà l'expérience autoritaire de Vichy, devaient inspirer les forces de résistance et le renouveau national de la Libération.