Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
V

Voltaire (François-Marie Arouet, dit), (suite)

Trois œuvres majeures, conçues dans la foulée - bien que destinées pour deux d'entre elles à une très lente maturation -, sont des livres d'histoire : Histoire de Charles XII, le Siècle de Louis XIV (1752), Essai sur les mœurs (1756). Il a voulu rénover l'histoire par la philosophie. De quoi s'agit-il ? D'éliminer les « fables ». De préférer l'étude des peuples, des mœurs, des arts et des techniques, du commerce, à la fascination exclusive pour les rois et les guerres. L'histoire philosophique s'attache donc à la civilisation, aux progrès et aux erreurs de l'esprit humain. Elle dénonce les conquérants, les despotes, les fanatiques, au profit des artisans, artistes, savants, princes civilisateurs. Histoire utile, tournée vers un large public, elle méprise l'érudition pointilleuse et s'intéresse avant tout aux temps modernes. Mais la critique des religions conduit aussi Voltaire sur le terrain des études bibliques, malgré son ignorance de l'hébreu.

Il faut insister sur les vingt-cinq Lettres philosophiques (1734), une des grandes œuvres de Voltaire, la première où s'expriment pleinement son style philosophique et sa vision du monde. Contrairement au Montesquieu des Lettres persanes (1721), il refuse toute intrigue romanesque, au profit d'un plan qui définit clairement les thèmes majeurs de sa philosophie et des Lumières : la religion (I-VII), la politique (VIII-IX), le commerce et la médecine (X-XI), les sciences (XII-XVII), la littérature (XVIII-XXIV) et, enfin, une vive critique de Pascal, c'est-à-dire du christianisme (XXV). Dans cette comparaison très sérieuse et très spirituelle entre l'Angleterre, protestante et libérale, et la France, catholique et absolutiste, cette dernière n'a guère pour elle que le goût littéraire et les grandes académies ! Le livre fut aussitôt brûlé par le bourreau, et Voltaire dut fuir à Cirey, dans le château lorrain de sa belle et savante compagne de cœur, Mme du Châtelet.

Le jeu du pouvoir.

• Il poursuit l'étude des sciences (Éléments de la philosophie de Newton, 1738-1740), de l'histoire, sans nullement renoncer à la poésie et au théâtre. Sans renoncer non plus au désir d'approcher le pouvoir. Grâce à la mort, en 1743, du principal ministre, le cardinal de Fleury, il devient, de 1745 à 1747, historiographe de France, académicien et gentilhomme, poète officiel et rédacteur anonyme de textes diplomatiques.

Incroyablement habile à flatter et à séduire, Voltaire n'a pourtant jamais pu réussir longtemps auprès des princes. Dès 1747, il est en disgrâce à Versailles, et son séjour à Berlin, de 1750 à 1753, auprès du roi Frédéric II de Prusse, se termine encore plus mal, par une arrestation humiliante à Francfort. Louis XV lui interdisant Paris, il finit par s'installer à Genève (1755), puis à Ferney (1760). Voltaire, à plus de 60 ans, loin des rois, s'invente alors une nouvelle vie de richissime châtelain philosophe. Seul l'argent garantit la liberté de l'homme de lettres, écrit-il dans une autobiographie distanciée, contemporaine de Candide (Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire, écrits par lui-même, publié en 1784). La stratégie qu'il propose aux philosophes est bien de s'appuyer sur les princes et les élites européennes pour diffuser les Lumières. Mais est-il bien utile de faire de Voltaire le zélateur du « despotisme éclairé », expression forgée au XIXe siècle ?

La terre tremble et Candide jardine.

• Candide ou l'Optimisme (1759) est devenu son livre le plus fameux. On le rattache d'ordinaire au Poème sur le désastre de Lisbonne (1756), qui déclenche une querelle européenne car l'auteur s'y demande comment un Dieu juste et bon permet un tremblement de terre aussi meurtrier (1er novembre 1755, 30 000 morts). En vérité, la question du mal, objection la plus terrible à l'existence de Dieu, traverse toute la philosophie de Voltaire, et la plupart de ses contes.

En effet, à 53 ans, Voltaire s'était risqué à publier enfin un conte (Memnon, qui deviendra Zadig en 1748). Suivront Micromégas (1752), l'Ingénu (1767), la Princesse de Babylone et l'Homme aux quarante écus (1768), Histoire de Jenni ou le Sage et l'athée (1775). Il passe pour l'inventeur génial du « conte philosophique ». En fait, l'expression n'est pas de lui, pas plus qu'il n'a tranché entre contes et romans, ni fixé la liste de ses récits en vers et en prose. Plutôt que de chercher l'improbable définition unique et passe-partout du récit voltairien, mieux vaut souligner combien le romancier se refuse à répéter mécaniquement la même formule, allant même, par exemple dans l'Ingénu, jusqu'aux lisières du roman sensible, alors en pleine vogue.

« Écrelinf ».

• Fermement antichrétien depuis sa prime jeunesse - un rapport de police le signale très tôt -, Voltaire n'entre vraiment en guerre ouverte et violente contre l'Église qu'une fois installé à Ferney (le refus de signer ses textes, sa gloire et ses démentis indignés lui évitent les poursuites judiciaires). De Ferney et des imprimeries suisses va alors déferler sur l'Europe un flot ininterrompu de textes de toute espèce et de tout calibre, qui s'en prennent sur tous les tons et tous les modes au fanatisme, à la théologie, à la Bible, aux conciles, aux papes, aux saints, aux moines et aux nonnes, aux juifs, aux jésuites, aux jansénistes, aux protestants déraisonnables, aux fêtes religieuses et aux jours chômés, aux miracles et aux superstitions. Un slogan, inventé en 1762, les rassemble : « Écrasez l'infâme », qui devient parfois « Écrelinf ».

Mais Voltaire combat aussi sur un autre front, à l'intérieur du camp philosophique, contre les athées (les matérialistes), qu'il n'imaginait pas aussi nombreux chez les « frères » parisiens (Diderot, d'Holbach, Helvétius, etc.). Car l'« illustre brigand du lac » (selon les mots de Diderot) est depuis toujours un déiste (théiste, après 1750), qui ne peut concevoir l'Univers, fixe et ordonné, sans un Dieu créateur. Mais si l'existence de Dieu s'impose à tout esprit raisonnable (sans pouvoir se démontrer rigoureusement), la raison humaine ne parviendra jamais à savoir comment Il agit, pourquoi Il permet le mal, comment l'homme pense, digère, se reproduit, s'il a une âme, s'il est une vie après la mort. La raison voltairienne, malgré son agressivité infernale, est donc une raison fragile, bornée, qui met entre Dieu et l'homme une distance infranchissable. La vraie philosophie se définit d'abord par son ignorance (le Philosophe ignorant, 1766). D'où précisément la nécessité de la tolérance, et la primauté absolue de la morale, une et universelle, sur les dogmes et les rites. Voltaire a répété ces idées partout, mais nulle part mieux que dans les 118 articles du Dictionnaire philosophique portatif (1764-1769), l'incontestable chef-d'œuvre de Ferney, avec l'Ingénu, et la Correspondance, dont subsistent près de vingt mille lettres. Dictionnaire, lettres, textes inclassables : Voltaire excelle dans la forme brève typique des Lumières.