Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
E

Empire (Second). (suite)

Cependant, la croissance industrielle - réelle - est inégale selon les régions, les années et les secteurs d'activité ; les industries de consommation représentent encore l'essentiel de la production, et ne connaissent qu'une progression limitée, à l'exception du bâtiment. L'exportation de capitaux, profitable à la balance des changes, freine la croissance intérieure. Le commerce présente un contraste analogue entre les grands magasins, qui font leur apparition à Paris (Au Bon Marché, puis le Louvre et le Printemps), et le petit commerce de détail. Ainsi, en dépit de mutations spectaculaires, le poids du passé l'emporte encore à la fin de l'Empire : prépondérance de la population rurale (69 %) malgré un début d'exode vers les villes, part dominante de l'agriculture dans l'activité (50 %). Le Second Empire n'en constitue pas moins une étape décisive dans le processus de modernisation de l'économie.

Une politique sociale audacieuse mais décevante

Parallèlement à une politique économique dynamique, Napoléon III mène une politique sociale audacieuse, déterminée aussi bien par l'intérêt que porte l'empereur à la question ouvrière (il a publié, en 1844, un ouvrage intitulé l'Extinction du paupérisme) que par le calcul politique, afin de préserver les chances du bonapartisme populaire. Freinée, au début de l'Empire, sous la pression des milieux conservateurs - priorité est alors donnée au maintien de l'ordre -, elle s'affirme dans les années 1860 : la défection de certains conservateurs pousse alors l'empereur à reprendre l'initiative, en utilisant les services du groupe du Palais-Royal, où se rassemblent des anciens saint-simoniens et des publicistes. Elle se traduit par l'envoi d'une délégation ouvrière à l'Exposition universelle de Londres en 1862, et par la satisfaction de sa principale revendication : le droit de grève, obtenu par la loi de 1864, qui entraîne la tolérance du droit de réunion (1866) et des associations à caractère syndical (1868). Après la formation d'une commission ouvrière consécutive à l'Exposition universelle de 1867, la relance de la politique sociale est marquée par l'abrogation de l'article 1781 du Code civil, relatif à l'inégalité du témoignage du patron et de l'ouvrier, en cas de contestation (1868), par la création de deux caisses facultatives d'assurances sur la vie et les accidents du travail, par l'annonce de la suppression du livret ouvrier en 1870, et par le dépôt de deux projets de loi sur la création d'une inspection du travail et sur l'instauration de caisses de retraite facultatives.

La hardiesse de cette politique contraste avec la timidité de la IIIe République. Le régime n'en tire pas, cependant, les bénéfices. Certes, il a tiré profit de l'apolitisme des principaux dirigeants des chambres syndicales, influencés par Proudhon, et qui contrôlent initialement la Section française de la Ire Internationale, fondée en 1864. Mais, après 1867 et la dissolution de la section parisienne, elle passe sous le contrôle de militants plus radicaux, futurs leaders de la Commune, qui souhaitent mêler les luttes politiques et sociales. Les grèves se multiplient en 1869 et 1870, revêtant parfois un caractère violent, comme à La Ricamarie, et à Aubin, dans le Massif central. Dans les grandes villes, les ouvriers votent majoritairement avec l'opposition républicaine, en 1869 et 1870.

L'échec de l'Empire peut s'expliquer par une paupérisation relative du monde ouvrier : son pouvoir d'achat a connu un début de progression, mais les écarts sociaux se sont creusés, et la promotion est devenue impossible dans l'entreprise. Les avancées sociales sont trop tardives et interviennent à un moment de ralentissement de la croissance et de crises cycliques accentuant la misère. Il est possible, malgré tout, que la politique sociale de l'Empire ait préservé un certain bonapartisme populaire dans des centres industriels ou miniers du nord et de l'est de la France.

Une politique extérieure interventionniste, aux résultats inégaux

Les bonapartistes n'avaient cessé de dénoncer la politique de Louis-Philippe, jugée pusillanime. Napoléon III mène donc une politique extérieure active, marquée par trois guerres continentales et diverses expéditions lointaines. En effet, son horizon est mondial, et tous les continents sont concernés  : le Sud-Est asiatique, qu'il s'agisse de l'expédition franco-britannique en Chine (1860) ou de la conquête de la Cochinchine (1857-1867) ; le Moyen-Orient, avec l'intervention en Syrie (1860) et le percement du canal de Suez (1859-1869) ; l'Afrique, avec la colonisation du Sénégal (à partir de 1855) ; l'Amérique, où s'aventure l'expédition du Mexique (1861-1867). Les motivations sont diverses : stratégiques, religieuses (protection des chrétiens du Liban), économiques (pénétration des marchés asiatique et américain). En Europe, Napoléon III entend revenir sur les traités de 1815, ressentis comme une humiliation pour la France et les Bonaparte, et instaurer un nouvel ordre européen fondé sur le principe des nationalités. Cette politique n'est pas aussi aveugle que ses détracteurs l'ont prétendu. L'empereur répudie le romantisme révolutionnaire, et souhaite asseoir le principe national sur le suffrage universel et le plébiscite. Il n'est pas favorable à la multiplication d'États-nations, auxquels il préfère des confédérations d'États, préludes à une confédération européenne. À la différence de son oncle, il privilégie la négociation sur la guerre, qui est conçue comme un ultime recours. Il veut à tout prix éviter l'isolement de la France et ménager la Grande-Bretagne, artisane de la chute du Premier Empire. Prudent en matière d'acquisitions territoriales, il renonce à son rêve de jeunesse de récupérer la rive gauche du Rhin, ne souhaitant qu'un remaniement des frontières de 1815.

La réussite est-elle à la hauteur des ambitions ? À l'actif du régime, on peut porter la rupture du front des puissances conservatrices qui isole la France depuis 1815, via l'intervention dans le conflit anglo-russe au Moyen-Orient, où la France n'a pas d'intérêts. La guerre de Crimée (1854-1856) consacre l'alliance franco-britannique et la rupture de l'entente austro-russe, et donne à la France une influence diplomatique prépondérante sur le continent, qui est symbolisée par la tenue à Paris du congrès rétablissant la paix. Si les traités de 1815 perdurent, le jeu diplomatique est désormais plus ouvert.