Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
B

biens communaux, (suite)

Formés généralement de bois en taillis, de pâtures, de landes et de friches, les biens communaux participent au bon équilibre de l'économie paysanne et procurent des ressources complémentaires, en particulier aux plus pauvres. Ils fournissent du bois de chauffage ou d'œuvre, permettent le pâturage en dehors des temps de vaine pâture et offrent un appoint alimentaire (châtaignes, champignons).

À partir du XVIe siècle, ils sont l'objet d'une double convoitise : de la part des « coqs de village », qui se dressent contre les paysans pauvres (l'« individualisme agraire »), et des seigneurs, qui luttent contre les communautés paysannes (la « réaction féodale »). Les assemblées d'habitants gèrent les communaux et en réglementent l'usage. Elles peuvent aussi les affermer, les aliéner, voire les hypothéquer. Or, du milieu du XVIe siècle jusqu'en 1659, temps de conflits, les communautés s'endettent et doivent aliéner leurs biens, de gré ou de force. Vers 1650, un officier royal du bailliage d'Étampes dénonce le noble campagnard qui « usurpe les communes ». Malgré l'édit d'avril 1667, les biens « détournés » ne sont pas restitués, et l'édit de novembre 1677 consacre cette spoliation - « le plus grand événement agraire sous l'Ancien Régime », selon l'historien ruraliste Pierre de Saint-Jacob.

Au XVIIIe siècle, le problème des usurpations est réglé grâce à la protection des intendants. Mais les seigneurs, comme « premiers habitants » de la communauté et au nom de leur droit éminent sur leur territoire, avancent devant les cours souveraines l'« imprescriptibilité » de leur droit de triage. Ils réussissent parfois à récupérer le tiers des communaux, présumé seigneurial. En outre, au tournant du siècle, apparaît chez les physiocrates l'idée que les communaux constituent un frein au progrès de l'agriculture. L'édit de 1774 autorise leur partage. Mais les parlements, défenseurs de la tradition, retardent l'enregistrement de la loi (en Bourgogne, jusqu'en 1782), qui est donc peu appliquée. Enfin, la Révolution est d'abord favorable aux thèses des physiocrates : si le décret du 14 août 1792 prévoit le partage obligatoire, la loi du 10 juin 1793 le rend facultatif. Et dès prairial an IV, le Directoire l'ajourne. L'idée du partage définitif n'est toutefois abandonnée qu'en 1816.

biens nationaux,

biens mobiliers et immobiliers confisqués par l'État à l'Église en 1789 (biens de première origine) ou aux émigrés à partir de 1792 (biens de seconde origine) et mis en vente au profit du Trésor public.

Une réponse à la crise financière héritée de l'Ancien Régime.

• En octobre 1789, la Constituante se trouvant confrontée au grave endettement qui avait conduit la monarchie à réunir les États généraux, l'évêque d'Autun, Charles de Talleyrand-Périgord, propose de mettre les biens du clergé à la disposition de la nation pour rembourser la dette et combler le déficit. Le 2 novembre 1789 est votée la loi relative à la confiscation de ces biens, dont la valeur est estimée à trois milliards de livres ; les terres couvriraient 10 % du territoire. Leur mise en vente est décidée le 19 décembre 1789 : une première opération doit porter sur 400 millions, somme pour laquelle sont émis des assignats, billets de 1 000 livres gagés sur les biens nationaux et avec lesquels sont indemnisés les créanciers de l'État. Le 14 mai 1790, il est précisé que les ventes doivent se faire aux enchères au chef-lieu de district ; le prix des biens est fixé à vingt-deux fois leur revenu et les acheteurs, sous réserve d'avoir effectué un versement comptant de 12 à 30 %, peuvent payer le solde en douze annuités avec un taux d'intérêt de 5 %. Mais les ventes se font généralement par gros lots : la vente des biens nationaux de première origine est donc une déception pour nombre de paysans.

Une tentative pour satisfaire la faim de terre des plus pauvres.

• Le 9 février 1792, un décret de l'Assemblée législative remet à la nation les biens des émigrés, des condamnés et des déportés : la mise en vente de ces biens nationaux de seconde origine est décidée le 2 septembre 1792. Le 3 juin 1793, la Convention décrète que les ventes aux enchères des biens fonciers doivent se faire par petits lots, payables en dix annuités, afin de favoriser les achats par les plus modestes, principe appliqué à partir du 22 novembre 1793 à l'ensemble des biens nationaux. En outre, une loi du 13 septembre 1793 autorise les indigents à acquérir de petites parcelles contre un bon de 500 francs délivré par leur municipalité : mal connue, cette mesure n'est guère suivie d'effets. Enfin, le 26 février 1794, tous les biens des suspects sont placés sous séquestre afin d'être vendus au profit de la République : s'ils avaient été appliqués, ces décrets de ventôse auraient mis sur le marché des biens nationaux de troisième origine. Mais, en réponse aux nouvelles difficultés financières de la République, la législation de 1796 supprime la vente en petits lots et les crédits de plus de trois ans : la Révolution a finalement sacrifié la satisfaction des revendications foncières des plus pauvres à la nécessité de gérer un budget déficitaire.

Un bilan mitigé.

• Socialement, la vente des biens nationaux a d'abord profité à la bourgeoisie urbaine, qui a saisi là l'occasion d'affirmer son prestige en constituant de beaux domaines fonciers ou immobiliers. Les spéculateurs se sont enrichis en revendant par petits lots des domaines acquis aux enchères. La noblesse, quant à elle, n'a pas négligé l'acquisition de biens nationaux de première origine, et même elle a réussi, en recourant à des prête-noms, à racheter une partie de ses propriétés. Quant aux paysans, ils ont été parfois gagnants, surtout lorsqu'ils ont pu s'associer : dans le Nord, le Laonnais, la Côte-d'Or ou la Nièvre, ils ont acheté, de 1791 à 1793, deux fois plus de terre que les bourgeois. En bref, les paysans aisés ont été privilégiés par rapport aux plus démunis. La vente en petits lots a toutefois permis une augmentation d'un tiers du nombre des petits propriétaires : ainsi, dans le centre de la Beauce, un salarié rural sur dix est devenu propriétaire. La part acquise par les paysans n'a pas dépassé 15 à 20 % dans les zones périurbaines, de même qu'en Bretagne et dans l'Ouest ; en revanche, elle a été de plus de 50 % en Lorraine, en Alsace, en Bourgogne ou dans l'Aisne, et a même atteint 80 % dans le Nord. Politiquement, la vente des biens nationaux a contribué à attacher à la cause révolutionnaire les acquéreurs et, à l'inverse, dans l'Ouest, à rejeter dans la Contre-Révolution les paysans déçus par les difficultés rencontrées pour accéder à la propriété. La Restauration n'est pas revenue sur ces ventes, préférant indemniser les émigrés.