Dictionnaire de l'Histoire de France 2005Éd. 2005
L

Le Play (Frédéric),

fondateur d'un courant de la sociologie française (La Rivière-Saint-Sauveur, Calvados, 1806 - Paris 1882).

Entré à Polytechnique en 1825, il mène une brillante carrière. Commissaire de l'Exposition universelle de 1855, puis conseiller d'État, il est proche de la cour impériale.

Très tôt, il se préoccupe du rôle social de l'ingénieur, et il entreprend, dès 1834, une étude sur les populations ouvrières européennes. Déçu par la « commission des travailleurs » mise en place par la révolution de 1848, il entend trouver, par l'observation scientifique, une voie médiane entre la révolution et le parti de l'Ordre ; ainsi paraissent, en 1855, les Ouvriers européens. Grâce à un échantillonnage de monographies comparables, Le Play dégage de véritables types familiaux. De cet ouvrage découle une description de la société, régie par quatre institutions : l'entreprise, la famille, l'association, le patronage. Le Play insiste, en particulier, sur la famille comme lieu de formation des attitudes et comportements sociaux. « La famille-souche » (cohabitation de trois générations avec transmission intégrale du patrimoine à un enfant) constitue la pièce centrale d'une utopie mariant les vertus des « sociétés immobiles » (stabilité et aisance dans la frugalité) et les qualités des « sociétés complexes » (liberté), système qu'il développe dans la Réforme sociale (1862), et la Constitution essentielle de l'humanité, (1881). À partir de ce constat, il entend mener une action sociale, de concert avec le patronat catholique (fondation la Société d'économie sociale, en 1856). Par adhésion idéologique ou méconnaissance du politique, ses disciples vont servir de caution « scientifique » à Salazar puis au régime de Vichy.

L'identification de Le Play au régime d'Ordre moral s'est faite au détriment de sa pensée, réduite à la célébration des sociétés patriarcales d'antan. Mais, aujourd'hui, sa démarche et son attention portée aux formes d'organisation familiale trouvent un écho dans certains travaux démographiques ou historiques (Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, l'Invention de la France, 1981).

lèpre.

Comme le prouve l'étude ostéologique des squelettes découverts par les archéologues, la lèpre est connue en France dès le VIe siècle, mais son foyer d'origine est probablement le bassin oriental de la Méditerranée et, plus anciennement encore, l'Inde.

Progressant lentement, l'endémie atteint sa plus grande extension durant le Moyen Âge central (XIe-XIIIe siècle), mais sans jamais affecter, semble-t-il, plus d'un Français sur cent. Bien que le bacille de Hansen, responsable de la maladie, ne se transmette qu'à l'issue de contacts prolongés avec le malade, la lèpre est considérée comme extrêmement contagieuse, depuis les premiers médecins grecs qui la décrivent sous le nom d'elephantiasis. En outre, le terme de lepra, qui finit par s'imposer, désigne dans les traductions de la Bible, plus particulièrement dans l'Ancien Testament, une affection cutanée imposant un strict isolement du malade. Aussi, après un examen médical et souvent une cérémonie religieuse imitée du rituel funéraire, les lépreux se voient-ils enfermés dans des léproseries installées à l'écart des agglomérations et d'où ils ne peuvent sortir qu'habillés de vêtements reconnaissables et munis d'une cliquette formée de trois lamelles de bois pour signaler leur passage. Les serments qu'ils prêtent lors de cette séparation leur enjoignent de s'abstenir de tout commerce charnel, et leurs biens sont parfois confisqués. Certes, les léproseries, présentes au XIIIe siècle jusque dans les plus petits bourgs, sont des organismes charitables, qui prennent d'abord la forme de communautés organisées sur un modèle plus ou moins conventuel, avant de se transformer en hôpitaux gérés par des frères hospitaliers. L'isolement imposé au malade n'en est pas moins douloureux, d'autant que, si la lèpre est incurable, son diagnostic peut en revanche poser problème : l'immunité acquise par des organismes confrontés à la maladie depuis plusieurs siècles en a développé la forme tuberculoïde (caractérisée par des taches claires sur le corps), facile à confondre avec d'autres affections cutanées, entraînant de ce fait l'enfermement de non-lépreux.

L'attitude de la population et de l'Église face aux lépreux est ambiguë : si la maladie qui touche ces derniers est considérée comme la punition de très graves péchés (par exemple, les rapports sexuels durant les règles de la mère), elle peut aussi être perçue comme le signe d'une élection voulue par Dieu, à l'image du pauvre Lazare de l'Évangile, que ses ulcères assimilent à un lépreux. En 1321, les habitants du midi de la France n'en envoient pas moins au bûcher des cohortes de malades qu'ils accusent d'avoir voulu les empoisonner. À partir du XIVe et, surtout, du XVe siècle, la lèpre est en régression, peut-être parce que se répand la tuberculose, dont le bacille crée une immunité envers celui de Hansen. Les léproseries ne comptent plus alors que quelques malades, avant de disparaître à l'époque moderne.

Leroux (Pierre),

publiciste, philosophe et homme politique (Paris 1797 - id. 1871).

Polytechnicien, ancien carbonaro, mais aussi maçon et ouvrier typographe, Pierre Leroux commence en 1824 une carrière de journaliste au Globe - un journal libéral qui se radicalise après la révolution de 1830 - et se rapproche de l'école saint-simonienne. En 1831, Leroux, qui rejette la dimension mystique de l'école, quitte le Globe pour la Revue encyclopédique, et, animé d'idées progressistes et libérales, se rapproche des républicains. Il fonde et dirige notamment l'Encyclopédie nouvelle (de 1836 à 1843) et la Revue indépendante (de 1841 à 1848), qu'il crée avec son amie George Sand. En 1840, dans son livre majeur, De l'humanité, de son principe et de son avenir, il s'oppose à la fois à l'individualisme qui affirme l'impossibilité de l'égalité entre les hommes, et au « socialisme » - terme dont certains lui attribuent la paternité -, en tant que doctrine autoritaire qui écrase les individus au nom de l'unité sociale. La société n'est pas placée au-dessus des individus, mais ceux-ci n'existent pas séparés les uns des autres. Égalité, liberté et solidarité constituent la trinité sociale. Maire de Boussac (Creuse) et député, Leroux participe activement à la révolution de 1848, notamment en prenant la défense des insurgés de Juin et en prônant la limitation de la durée quotidienne du travail. Exilé après le coup d'État du 2 Décembre, il revient en France en 1860, mais renonce à la politique. L'œuvre de Pierre Leroux développe une pensée originale de la démocratie.